Extraits

Bientôt, les trois hommes aperçurent en contrebas une lueur orangé menaçante et bordée de vert.

-Le dieu se trouve là, en bas,répéta Nakor dans un souffle, comme s'il avait peur que l'Obscur l'entende.

-Mais ne va-t'il pas nous voir ? s’inquiéta Magnus.

-Il semble trop préoccupé pou cela, répondit Nakor. En tout cas, la dernière fois, il n'a pas fait attention à moi.

Ils continuèrent à descendre jusqu’à ce qu'une forme émerge au sein de la lueur rouge orangé. A cette distance, il ne s'agissait encore que d'une masse noire dépourvue de forme. Mais, en se rapprochant, les trois hommes se rendirent compte que ses contours ondulaient.

-Qu'est-ce que c'est ça ? chuchota Magnus.

-Le dieu noir, répondit Nakor.

— Le roi ne veut pas me recevoir.

— C’est compréhensible, mère. Cela fait de nombreuses années que père n’est plus en bons termes avec la couronne des Isles. En fait, il n’est en bons termes avec aucun noble, à part ceux qui travaillent pour le Conclave.

— Je suis ta mère ! Je ne te demande pas d’être raisonnable, je te demande d’être d’accord avec moi.

Miranda hurlait.

La douleur brûlante qui enserrait son esprit s’amoindrit pendant un bref instant. À ce moment-là, la magicienne découvrit ce qu’elle cherchait. Le combat qu’elle livrait pour ne pas céder face à ses bourreaux mobilisait la majeure partie de son esprit, mais cela ne l’avait pas empêchée d’affûter un minuscule fragment de sa conscience, afin qu’il se tienne prêt.

Ils attendirent. Quelques minutes avant le repas de la mi-journée, une dizaine de recrues entrèrent dans le dortoir, ôtèrent leur tunique et leur pantalon dégoulinant de sueur et prirent un bain rapide avant d’enfiler des vêtements propres, pendant que leurs inférieurs se pressaient autour d’eux en essayant d’anticiper leurs besoins. Assis en silence à même le sol, aux pieds de Bek, Nakor regarda comment les jeunes guerriers donnaient, presque par réflexe, des tapes ou des coups de pieds à leurs inférieurs quand quelque chose les énervait. Il soupira. Il avait toujours été un vagabond et ne considérait aucun endroit comme son foyer, pas même le village de sa naissance. Mais, pour la première fois de sa vie, il éprouvait la nostalgie de chez lui. Comme il aurait aimé être de retour sur Midkemia – n’importe où, d’ailleurs. À cet instant précis, même le cœur brûlant du désert du Jal-Pur lui aurait paru attirant.

Jim avait presque le tournis à force d’essayer de reconnaître le paysage qui défilait sous lui. De plus, la course déclinante du soleil mettait ses sens à rude épreuve. En effet, le dragon volait vers l’est, si bien que la nuit ne tarda pas à apparaître sur l’horizon. Jamais elle n’était tombée si vite pour Jim, qui s’émerveilla à la vue d’une cité qui apparut en contrebas, scintillante de mille feux dans l’obscurité. La grande lune se leva à l’est du monde et bondit dans le ciel comme si elle faisait du saut d’obstacle, tandis que la petite la suivait plus lentement, comme un chiot derrière sa mère.

Plus ils s’enfonçaient dans le palais et plus l’Isalani avait la certitude que quelque chose de profondément diabolique existait au sein de cette société. Leur art – le peu qu’il y avait – n’était rien d’autre qu’une célébration tordue de leur foi ténébreuse. Nakor était frappé, depuis son arrivée dans la deuxième dimension, par le fait qu’il n’avait rien vu qui ressemble à de la décoration, excepté sur les Dasatis eux-mêmes. Ils possédaient une certaine expression de la beauté – il fallait s’habituer à leur apparence, mais ils formaient un très beau peuple. Cependant, on ne trouvait ni peintures ni tapisseries sur les murs et aucune variation de couleur au niveau des bâtiments et des enseignes. Nakor était convaincu que cela provenait en partie de leur sens des couleurs, très différent de celui des humains. Ils étaient capables de voir en deçà du rouge et au-delà du violet, comme certaines créatures de la première dimension, et ils percevaient la chaleur, ce qui faisait d’eux des combattants terriblement dangereux la nuit.

Il baissa les yeux et constata que l’arbre surplombait une corniche située six mètres plus bas, sur laquelle poussait également un petit bosquet d’arbres. Il aurait aimé pouvoir évaluer la distance qui séparait la cime de ces arbres de l’endroit où il se tenait actuellement. Il repartit donc à petites foulées en regardant plusieurs fois par-dessus son épaule, jusqu’à ce qu’il trouve un endroit où la falaise formait un coude, lui offrant un bon point de vue sur la corniche et ses arbres. Il constata que les plus proches du bord se situaient en fait à neuf mètres sous la falaise. Il effectua un rapide calcul. Il pourrait se laisser descendre jusqu’à ce que ses pieds ne soient plus qu’à six mètres au-dessus de la corniche et seulement trois mètres au-dessus des arbres.

Les soldats finirent par suivre leur exemple. Miranda leva les mains. Songeant que l’heure n’était pas à la subtilité, elle se concentra sur les grandes charnières et transforma en poussière la pierre dans laquelle elles étaient encastrées. Puis, dans un cri, pour mieux diriger sa volonté, elle tendit la main, comme pour pousser quelque chose ; l’air ondula lorsque l’énergie le traversa avant de frapper les immenses battants tel un bélier invisible. Ceux-ci tombèrent à la renverse et heurtèrent le sol en pierre des appartements impériaux dans un fracas de tonnerre.

— Restez là, ordonna Miranda aux servite

Pug fit signe à tout le monde d’attendre que les chevaliers de la Mort se soient suffisamment éloignés. En cas d’affrontement avec une petite bande armée – même dasatie –, Pug ne s’inquiétait guère pour sa propre sécurité. Il se savait capable de tuer la dizaine de cavaliers partis à la poursuite du mirage. Mais, il n’avait aucune envie de prendre des vies dasaties inutilement, même celles de personnes décidées à éliminer l’humanité. Ce peuple était manipulé par des forces noires qu’il ne pouvait contrôler. De plus, Pug savait que cette nuit-là n’était pas une simple succession de massacres au hasard, mais une cérémonie à l’échelle planétaire, un immense rituel de sang où chaque mort et chaque tuerie donnaient plus de puissance à Son Obscurité. S’il pouvait refuser au dieu noir ne serait-ce qu’une demi-douzaine de vies, ce serait déjà ça de pris.

Deux membres de l’Assemblée – Alenca et un magicien du nom de Delkama – venaient juste de faire apparaître une bulle transparente et scintillante à la surface de laquelle crépitaient des plaques d’énergie or et bleu acier. Cette sphère augmenta lentement en faisant frémir plus d’un noble tsurani, d’ordinaire implacable. Il s’agissait d’un sort de protection destiné à s’assurer qu’aucun magicien ne pourrait espionner à distance la réunion sur le point de commencer. Si quiconque tentait de le faire, il ne verrait que trois magiciens s’adressant à l’empereur concernant des questions qui n’avaient rien à voir avec le problème réellement abordé ce jour-là. Ce sortilège complexe était destiné à Leso Varen, au cas où il serait dans les parages et aurait envie d’user de ses considérables pouvoirs pour espionner le Grand Conseil.