Extrait

Elle dégaina Faucille pour farfouiller dans un grand tas d’habits sans avoir à les toucher. Avec la pointe de son épée, elle écarta un long pantalon d’homme qui témoignait du gabarit imposant de Brasier, afin de soulever une petite tunique violette ornée de rubans lacérés au col, maculée de taches de boue séchée.

Une tenue de fillette.

Panama se raidit de tension.

Pourquoi le Damné avait-il ce genre de vêtement dans sa roulotte ?

À cet instant, elle perçut le déplacement d’air ponctué par un bruit infime, qui n’aurait pas été audible pour des oreilles non exercées : celui de pieds nus qui atterrissent sur le sol tout en douceur. Un signal d’alarme pulsa en Panama.

Gros danger deux mètres derrière elle.

Dents serrées derrière son foulard, elle ne releva pas la tête. Elle continua à fouiller dans le monticule de tissus pendant que son agresseur approchait dans son dos avec une furtivité qu’elle n’aurait jamais pu égaler. Elle maudit sa négligence et sa stupidité. La roulotte devait comporter une trappe au plafond qu’elle aurait pu détecter dès son entrée si elle ne s’était pas autant focalisée sur le désordre, puis extasiée sur l’éventail meurtrier.

Elle sut que c’était Beladyn pour une raison simple : elle ressentait les ondes de sa chaleur draconique, plus intenses encore que celles du défunt Fournaise. Au moins, s’il décidait de l’attaquer, Faucille était déjà prête à défendre sa propriétaire. Elle raffermit sa prise autour du manche de son épée et hésita à courir le risque d’ôter son amulette pour qu’il puisse lire dans son esprit.

Elle n’eut pas l’opportunité de s’appesantir plus longtemps sur son dilemme.

Alors qu’elle aurait pu parier qu’elle allait devoir se dégager d’un bras comprimé autour de sa gorge, son adversaire jugea préférable de lui faucher les jambes avec un pied pour tenter de la désarmer dans sa chute et la faire basculer sur le flanc. Avec sa main libre, Panama se raccrocha à la couchette supérieure afin de ne pas être déséquilibrée. Son opposant réadapta son plan en une seconde. Elle eut à peine le temps de se tordre le bras en arrière et de se protéger le dos. À la dernière seconde, Faucille bloqua l’assaut d’une épée dont la pointe lui aurait sévèrement entaillé les côtes. Cela n’aurait pas été un coup mortel, mais suffisamment douloureux et invalidant pour la mettre hors service.

Une gerbe d’étincelles surgit de l’étreinte violente entre les deux lames. Le corps entier de Panama fut ébranlé par la puissance du choc. Une décharge de foudre endolorit son bras et son épaule. La guerrière siffla entre ses dents. Elle bondit sur le côté en imprimant une impulsion sur l’épée de son agresseur. Son épaule percuta le rebord en bois de la couchette tandis qu’elle faisait volte-face, son arme brandie devant elle.

Lentement, Panama leva les yeux vers le visage du mystérieux individu que ses anciens frères assassins surnommaient l’Ombre Damnée.

Un guerrier qui la surplombait de deux bonnes têtes et pesait au moins le double de son poids.

Stature massive, présence envahissante, puissance incontestable.

La roulotte paraissait avoir rapetissé, comme si son ombre de dragon emplissait tout l’espace.

Jeune en apparence, Beladyn arborait un teint couleur de terre cuivrée. Ses cheveux châtains aux reflets blonds effleuraient ses larges épaules alors qu’une barbe de quelques jours assombrissait sa mâchoire carrée. Dans un contexte moins délicat, elle aurait pu le qualifier de séduisant, mais à l’heure actuelle, elle était transpercée par la dureté incandescente de ses prunelles, qui oscillaient entre un bleu vif et un vert d’eau. Leur portée agressive et menaçante était accentuée par l’envergure prédatrice de son corps ainsi que les tatouages tribaux qui grimpaient sur la peau de son cou épais.

Un être aussi brûlant que sauvage, à n’en pas douter.

Changeant son épée de main, il amorça un pas sur le côté en la jaugeant de haut en bas. Elle imita son action avec une prudence similaire, consciente qu’il notait chaque détail utile en vue du combat : Faucille, vêtements, posture de défense et objets cachés – talisman et armes secondaires.

Même si Abink Solani s’avérait encore plus grand et musclé que Khamar sous la forme humaine dont il était prisonnier, sa carrure ne l’empêchait pas de se mouvoir comme une Ombre supérieure. Or, à l’inverse des assassins elfides, sa fluidité animale n’avait pas été façonnée par une longue formation rigoureuse. Elle était innée, car étroitement liée à sa nature de saurien.