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"Le lendemain matin, j'ouvris tous les volets de l'atelier et regardai autour de moi, en quête de quelque chose à faire, d'un meuble que je pourrais toucher sans offenser mon maître, d'un objet que je pourrais déplacer sans qu'il le remarquât. Tout était à sa place : la table, les chaises, le bureau encombré de livres et de papiers. Pinceaux et couteaux étaient alignés avec soin sur le bahut, le chevalet était adossé au mur, les palettes toutes propres étaient placées à côté. Les objets dont il s'était servi dans la composition de son tableau avaient été rangés dans la réserve ou remis en service dans la maison.
Une des cloches de la Nouvelle-Eglise se mit à sonner l'heure. Je m'approchai de la fenêtre et regardais au-dehors. Avant le sixième coup, j'avais pris ma décision. J'allai chercher de l'eau chaude sur le feu, un peu de savon, des chiffons propres et je revins à l'atelier où j'entrepris de laver les vitres. Je dus monter sur la table pour atteindre celles du haut.
J'en étais à la dernière fenêtre quand je l'entendis entrer dans la pièce. Ouvrant de grands yeux, je me retournai et le regardai par-dessus mon épaule gauche.
"Monsieur…", bredouillai-je.
Je ne savais trop comment lui expliquer mon initiative.
"Arrêtez."
Je me figeai, terrifiée à l'idée que j'avais fait quelque chose qui fut contraire à ses désirs.
"Ne bougez plus."
Il me dévisageait comme si un fantôme était apparu dans son atelier.
"Excusez-moi, Monsieur, dis-je, en faisant tomber mon chiffon dans le seau d'eau. J'aurais dû commencer par vous demander la permission.
Mais comme vous ne peigniez pas ces temps derniers…"
Il prit un air perplexe, puis secoua la tête.
"Oh ! les vitres… Non, non, vous pouvez continuer votre travail."
J'aurais préféré ne pas les laver en sa présence, mais comme il restait là, je n'avais pas le choix. Je rinçai mon chiffon, le tordis et le passai à nouveau sur les carreaux, à l'intérieur et à l'extérieur.
Ayant terminé, je reculai pour juger de l'effet. Le jour entrait, limpide. Il se tenait toujours derrière moi.
"Etes-vous satisfait, Monsieur ? demandai-je.
-Regardez-moi encore une fois par-dessus votre épaule."
J'obéis. Il m'observait. Il s'intéressait de nouveau à moi.
"La lumière est plus limpide maintenant.
En effet."
Le lendemain, la table, recouverte d'une nappe rouge, jaune et bleue, avait retrouvé sa place dans l'angle où il travaillait. Il avait placé une chaise contre le mur du fond et accroché une carte au-dessus de celle-ci.
Il s'était remis à peindre."
Afficher en entierRestez en dehors de leurs histoires. Vous pourriez en pâtir. (…) Les femmes qu’il peint, deviennent prisonnières de ce monde. Vous pourriez vous y perdre.
Afficher en entierVous êtes en train de vous faire prendre là où vous ne devriez pas être, Griet, dit Pieter, radoucissant sa voix. Leur monde n’est pas le vôtre.
Afficher en entierll faut un peu de désordre dans la composition pour faire ressortir la sérénité du modèle. Il faut quelque chose qui dérange l’œil tout en lui étant agréable, et ça l’est parce que l’étoffe et son bras sont dans une position similaire.
Afficher en entierLa rivalité rend les hommes possessifs. L’intérêt que vous témoigne votre maître est dû en partie à celui que vous porte Van Ruijven.
Afficher en entier- Si vous regardez cette coiffe un moment, vous vous apercevez qu’il ne l’a pas peinte vraiment blanche mais bleu, violet et jaune.
- Mais tu viens pourtant de me dire que c’était une coiffe blanche.
- Oui, et c’est bien cela le plus étrange. Elle est peinte d’une multitude de couleurs, mais quand vous la regardez, vous avez l’impression qu’elle est blanche.
Afficher en entierAvec moi, nous étions dix à la maison, dont un bébé qui se salissait plus que nous tous.
Chaque jour, je devrais faire la lessive, l’eau et le savon me crevasseraient les mains. J’aurais le visage tout rouge à force de me pencher au dessus de la lessiveuse bouillonnante, j’aurais les bras brûlés par le fer à repasser.
Mais j’étais nouvelle et j’étais jeune, aussi devais je m’attendre à ce que l’on me donne les tâches les plus dures.
Afficher en entierIl travaillait rarement à deux toiles en même temps. Il n'aimait pas passer de l'une à l'autre, mais cela lui permettait cette fois de cacher plus aisément qu'il faisait mon portrait.
Peu de gens le savaient. Van Ruijven était de ceux-là.
C'était bien sûr à sa demande que mon maître avait entrepris ce tableau. Mon maître avait dû accepter que j'y figure seule pour ne pas avoir à me représenter en compagnie de Van Ruijven.
Ce dernier posséderait donc mon portrait.
Cette idée me déplaisait. Tout comme elle devait, je pense, déplaire à mon maître.
Afficher en entierIl s'approcha de ma chaise. Mes mâchoires e contractèrent mais je parvins à garder la tête immobile. Il tendit la main et toucha doucement mon oreille.
Je haletais comme si j'avais retenu ma respiration sous l'eau.
Il frotta le lobe enflé entre le pouce et l'index, puis il l'étira. De l'autre main, il glissa le fil métallique dans le trou et le poussa au travers. Une fouleur brûlante me transperça, m'emplissant les yeux de larmes.
Il ne retira pas la main, ses doigts effleurèrent mon cou et ma mâchoire. Il remonta le long de mon visage jusqu'à ma joue puis, de son pouce, il effaça mes larmes. Il passa ensuite ce dernier sur ma lèvre inférieure. Je le léchai. Il était salé. Je fermai les yeux, il retira ses doigts. Quand je les rouvris, il était retourné à son chevalet et tenait sa palette.
Afficher en entierLes couleurs elles-mêmes compensaient mes difficultés à cacher ce que je faisais. J'aimais broyer les ingrédients qu'il rapportait de chez l'apothicaire, des os, de la céruse, du massicot, admirant l'éclat et la pureté des couleurs que j'obtenais ainsi. J'appris que plus les matériaux étaient finement broyés, plus la couleur était intense. A partir de grains rugueux et ternes, la garance devenait une belle poudre rouge vif puis, mélangée à de l'huile de lin, elle se transformait en une peinture étincelante. Préparer ces couleurs tenait de la magie.
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