La Kahina, reine des Aurès

Dans leur forteresse secrète de Takliât, dont les accès étaient toujours gardés par de jeunes pâtres qui donnaient l'alerte au moindre mouvement insolite, Dahya Tadmut se sentait protégée. Elle s'inquiétait pour son père et ses guerriers. Surtout, elle ne supportait plus les lamentations des femmes et l'agitation des enfants, et les fuyait dès qu'elle le pouvait, s'aventurant seule sur les murailles, sans avoir le droit de franchir la porte du bastion.

Souvent, la nuit, elle allumait un feu à l'abri des remparts, en prenant garde à ce qu'il ne pût se voir de l'extérieur, puis elle frappait sur la peau tendue de son tambourin, de plus en plus vite, chantant et tourbillonnant autour des flammes. Elle inventait des chansons, célébrant selon ses envies la sagesse du désert, le sourire des cascades, la folle prodigalité de la pluie, ou le courage des montagnes pour résister aux ans. Son père lui avait toujours dit qu'il trouvait absurde de n'adorer qu'un seul dieu, quand la Nature recelait tant de merveilles. Les tadmut, les gazelles dont elle portait aussi le nom, étaient ses sœurs, au même titre que sa chamelle blanche et elle était plus attachée à son frère cheval qu'aux multiples gamins des concubines de son père. Les montagnes et le désert, sous un ciel immense, tels étaient son univers et ses dieux.