La légende de la sirène

La porte de l’ascenseur s’ouvrit et Nora Gavin jeta un regard sur le long couloir. Il était mal éclairé, désert et silencieux. Elle sortit et sentit la porte coulisser dans son dos. Aucun panneau, rien pour lui indiquer où elle était censée se rendre. Mais ce devait être le bon endroit. Ses pas produisaient un bruit sourd sur le carrelage, alors qu’elle traversait les flaques de lumière projetées par les néons qui grésillaient.

Atteignant la large porte au bout du couloir, elle mit la main en visière et regarda par la vitre. Éclairée par une simple lampe suspendue au plafond, une silhouette immobile et silencieuse reposait sur une table au centre de la pièce, recouverte d’un drap blanc. Une chevelure roux foncé, emmêlée, dépassait du drap. Tout recommençait une fois de plus.

Nora recula et se plaqua contre le carrelage froid, incapable de parler ou de bouger. La porte commença à s’ouvrir en même temps qu’une voix s’exprimait tout près de son oreille, assez fort :

— Madame, si vous pouviez redresser votre siège…

Elle se réveilla en sursaut, toujours en proie à l’horreur glaçante du cauchemar. Il lui fallut un moment pour se rappeler où elle était. Dans un avion qui avait décollé d’Irlande et la ramenait chez elle à Saint Paul. Elle tenta d’inspirer, mais sa poitrine était encore contractée par la peur.

— Ça va ? s’enquit l’hôtesse.

— Oui… merci.

Les yeux de la femme demeurèrent fixés sur elle, jusqu’à ce qu’elle se sente obligée d’ajouter :

— Un cauchemar.

L’hôtesse hocha la tête d’un air compréhensif et s’éloigna. Nora se redressa, retira la couverture de ses épaules, et se passa les mains dans les cheveux pour s’assurer qu’ils n’étaient pas trop ébouriffés. Elle avait dû sombrer pendant une heure, voire plus. Elle avait le sommeil agité depuis quelques nuits, probablement l’unique raison pour laquelle elle avait réussi à dormir dans l’avion, en plein jour qui plus est ! Il lui semblait qu’une éternité s’était écoulée depuis qu’elle avait quitté son appartement de Dublin, point de départ de cette journée étrange et d’une longueur inhabituelle. Suivre le soleil dans sa course vers l’ouest lui donnait toujours l’impression de remonter le temps.

Elle se frotta le visage avec les mains, cherchant à effacer les images qui semblaient subsister derrière ses paupières. Maintenant qu’elle rentrait, tous les souvenirs qu’elle s’était efforcée de refouler depuis trois ans envahissaient à nouveau ses pensées et ses rêves. Curieusement, elle avait fait ce cauchemar quantité de fois, mais elle n’était jamais entrée dans la salle, n’avait pas une seule fois soulevé le drap. C’était bizarre car, dans la vraie vie, le cauchemar ne s’était pas arrêté à la porte.