La Lignée des Dragons, Tome 5 : Ombre sur les jeux

Je me sens fatiguée, étourdie, étrange. Je suis encore presque totalement dans les vapes, mai sun mâl de tête horrible commence peu à peu à se frayer un chemin jusqu'à ma conscience. Petit à petit, d'autres sensations me parviennent. Je suis étendue, la tête surélevée, sur ce qui semble être un plancher de pierre. Mes membres sont lourds. Je ne suis pas uniquement fatiguée, mais également dans un état d'extrême faiblesse. Ma bouche est sèche et j'ai le coeur au bord des lèvres.

-Bois...

Une main me soulève un peu la tête et on me met un verre sous le nez. J'ai tellement soif...J'entrouve la bouche comme je peux et aspire avec plaisir le liquide qu'on y verse...avant de l'identifier.

La panique me prend. Je me mets aussitôt à suffoquer, crache le liquide et scelle mes lèvres. Je veux me débattre, ouvrir les yeux, mais la pièce est sombre et ma vue brouillée. De plus, j'ai à peine tenté de lever les bras du sol qu'un violent étourdissement me prend et je m'amollis complètement, perdant presque connaissance, J'ai tout de même le temps de sentir quelque chose qui n'aide en rien à me rassurer : je suis entravée par des chaînes. Reprenant difficilement mon souffle, je refuse d'avaler une goutte de plus malgré le verre brutalement sur mes lèvres et dont le contenu coule maintenant sur mes joues.

-Dans ta position, ce n'est pas très raisonnable, tu sais...

Cette fois-ci, je reconnais la voix et mon sang se glace dans mes veines : Della !

-Allez, ma chérie. Ouvre la bouche. J'ai réussi à te faire boire hier, je te ferai bien boire aujourd'hui. Tu ne veux quand même pas me forcer à te faire du mal...Si ?

Mes lèvres restent scellées, mais c'est bien tout ce qu'il me reste la force de faire. Alors c'est Della qui m'a fait porter le verre la veille ? Pour m'affaiblir et me cueillir plus facilement aujourd'hui, j'imagine.

Ma tête retombe sur son appui et une main au longs ongles me saisit la gorge en augmentant tranquillement sa poigne à chaque seconde. À la limite d'une pression mortelle, Della relâche mon cou, se penche à mon oreille et murmure :

-Tu sais très bien que je pourrais le faire. Mais tu as de la chance...Je n'en ai pas envie. Pas maintenant. Pas encore...

Ses doigts caressent mes cheveux avec une cruelle tendresse alors que je tente de retrouver un semblant de souffle avec ma gorge endolorie. Je l'entends claquer des doigts et quelqu'un s'agenouille près de moi pour me passer un linge humide sur le visage afin de me nettoyer de la sueur et de l'eau noire.

-Ça suffit comme ça, Etarcos. Retourne dans ton coin. Voilà. Bon garçon...

Je ne peux guère exprimer ma surprise autrement que par un faible gémissement. Etarcos? Ici ? Della l'a hypnotisé, sans doute...

-Oui, chère cousine. Tu as bien compris, ton ami le philosophe est ici. Et honnêtement, je ne tiens pas à lui autant qu'à toi, alors si tu ne bois pas cette eau, la prochaine chose que tu goûteras sera une coupe de son sang.

Je pleure des larmes de rage et d'impuissance. Quand elle approche à nouveau le verre, je n'ai d'autre choix que de boire. Mon corps, sentant la menace, tente de rejeter le poison, mais je me force à avaler.

-C'est bien ma chérie. Tu es une bonne fille.

Le verre est déposé et Della m'embrasse le front. Elle me tient. Elle joue avec moi. La rage me dévore le coeur alors que je sens le poison se propager. Elle reprend ses caresses sur ma tête et mon visage.

-La fin approche...La partie est jouée et presque terminée. Tu dois t'en douter, mais la dose était mortelle. Tu vas doucement t'éteindre et je serai la dernière source de chaleur de ton agonie. Profites-en. Bientôt, je vais devoir t'abandonner pour aller régler quelques petites choses. Peut-être aurais-tu préféré que je t'achève au couteau ? Je pense que c'est ce qu'Ébrisucto croit que je t'ai infligé aussi. Mais après tout... Pourquoi se presser ? La lame blanche est bien moins cruelle que le poison. Le poison allonge l'agonie. Donne de l'espoir. L'espoir brisé, lorsque la fin arrive, fait plus mal que la lame. Sir et Iref ont jusqu'à demain pour te retrouver avant que tu ne succombes. Tu crois qu'ils vont y parvenir ?