Shirley Jackson n'aura pas eu besoin de publier des dizaines de livres pour marquer la littérature. Une nouvelle, La Loterie, a suffi à laisser une empreinte indélébile dans l'esprit de tous les lecteurs de ce texte, qui fit scandale lors de sa première parution dans le New Yorker. Les autres nouvelles qui composent ce recueil sont autant de diamants noirs, troublants, obsédants, dérangeants. Tout se passe dans de petites villes, avec des commerces de proximité, dans des maisons aux pelouses impeccables et aux salons confortables, et pourtant, sous la plume diabolique de Jackson, ces lieux deviennent incroyablement anxiogènes. Sans qu'on n'ait rien vu venir, le mal s'est installé.
Le matin du 27 juin était clair et radieux, annonçant la chaleur d’une journée de plein été; les fleurs s’épanouissaient à profusion et l’herbe était d’un vert luxuriant. La population commença à se rassembler sur la place, entre le bureau de poste et la banque, aux environs de dix heures. Dans certaines bourgades, il y avait tellement de monde que la loterie durait deux jours et devait être organisée dès le 26 juin, mais ici, avec seulement trois cents habitants, l’opération tout entière ne prenait que deux heures, de sorte qu’en débutant à dix heures du matin, elle se terminait à temps pour que les villageois puissent rentrer déjeuner chez eux à midi.
Voilà une "loterie" que feu René Girard n'aurait manqué d'aligner dans la perspective Spoiler(cliquez pour révéler) du bouc émissaire et de la cérémonie sacrificielle fondatrice. D'ailleurs, peut-être l'a-t-il fait ? La force de la nouvelle résidant surtout dans le comportement "ordinaire" de tous ces participants. Le fait que la seule personne réticente Spoiler(cliquez pour révéler) soit celle "élue" par le sort nous indique d'ailleurs quel est le mécanisme "à l'endroit" ; sortir du lot, c'est se condamner.
Les réactions épidermiques du public qui a découvert ce récit dans le New Yorker peuvent se comprendre ; un tsunami de désabonnements, des lettres de menaces ou demandant des précisions sur ce "rituel" ... En effet l'anonymat de l'auteur n'y a pas résisté.
J'ai aussi beaucoup apprécié les autres nouvelles, bien noires, parfois ambiguës juste ce qu'il faut. Pas de gore ici, tout se joue en finesse et suggestion, le mal se dessine sous le fin vernis des civilités.
Petits bijoux de jais finement ciselés, que l'on se prend à relire avant même d'avoir fini le recueil. Sa forme classique et efficace, le flou qui nimbe le contexte historique ; voilà un livre "de garde", comme on le dit d'un vin, qui ne risque pas de s'éventer avec le temps.
Résumé
Shirley Jackson n'aura pas eu besoin de publier des dizaines de livres pour marquer la littérature. Une nouvelle, La Loterie, a suffi à laisser une empreinte indélébile dans l'esprit de tous les lecteurs de ce texte, qui fit scandale lors de sa première parution dans le New Yorker. Les autres nouvelles qui composent ce recueil sont autant de diamants noirs, troublants, obsédants, dérangeants. Tout se passe dans de petites villes, avec des commerces de proximité, dans des maisons aux pelouses impeccables et aux salons confortables, et pourtant, sous la plume diabolique de Jackson, ces lieux deviennent incroyablement anxiogènes. Sans qu'on n'ait rien vu venir, le mal s'est installé.
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