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La Maison appartenait aux grands. C’était la leur. Les éducateurs y venaient pour maintenir un semblant d’ordre ; les professeurs, pour que les grands ne s’ennuient pas, et le directeur, pour que les professeurs ne s’enfuient pas. Les grands pouvaient bien allumer des feux en plein milieu de leurs chambres et faire pousser des champignons hallucinogènes dans les salles de bains, personne n’était en mesure de le leur interdire.
Ils utilisaient des expressions comme : “Rayonnement fibroscopique…” ; “Avoir l’âge de ses os…” ; “Se donner des airs de liturgie…” Ils étaient hirsutes, bariolés et jouaient de leurs coudes pointus avec un air glaçant. Leur énergie négative faisait trembler les vitres, effrayant les chats qui s’étaient réfugiés en dessous. Les grands se mariaient entre eux, s’adoptaient les uns les autres. Il n’y avait pas le moindre espoir de pénétrer ce monde. C’était leur monde, leurs vies. Et leur guerre.
Afficher en entier"Vois-tu, expliqua-t-il, la vie s'écoule pas en ligne droite. Elle est comme ces ronds qui s'élargissent dans l'eau. Et à chaque cercle, les vielles histoires se répètent, de façons légèrement différentes, mais personnes ne s'en aperçoit. Personne ne les reconnaît.
Certes, il est agréable de penser que le temps dans lequel nous vivons est nouveau, flambant neuf, tout juste tissé, mais dans la nature, c'est toujours le même motif qui se reproduit. Et en réalité, il en existe très peu, de ces motifs."
Afficher en entierL'arrivée d'un nouveau était toujours un événement. Ils étaient si différents les uns des autres... Il suffisait de les regarder pour voyager. Et puis c'était tout aussi fascinant de les voir changer petit à petit, d'observer comment la Maison les aspirait pour se les approprier. (p.401)
Afficher en entierIl convoqua son poisson, le fit flotter entre les branches du chêne tel un oiseau à écailles, et le laissa s'ébrouer et nager au milieu des feuilles.
Afficher en entierQuand il n'y avait personne, notre repère paraissait plus petit [...] : chez nous, les habitants n'étaient pas seuls, chacun charriait tout un monde avec lui.
Afficher en entierJe savais que bientôt, au bout du couloir, le Lapin Blanc piafferait d'impatience et sautillerait vers le sabbat de Carroll.
Afficher en entierÀ l’époque, dans mon article sur le Sépulcre, j’avais analysé le mot « patient ». Je l’avais disséqué en microparticules, pour en arriver à la conclusion qu’un patient ne pouvait être véritablement humain, qu’il s’agissait de deux concepts diamétralement opposés. En devenant « patient », un homme perdait son « moi » ; sa personnalité s’effaçait, ne demeurait alors que son enveloppe corporelle, animale, un mélange de peur et d’espoir, de douleur et de rêve. Nulle trace d’humain, là-dedans. L’humain attendait, quelque part, au-delà des frontières du patient, une possible résurrection. Et, pour l’esprit, il n’y avait rien de plus terrifiant que d’être réduit à un corps. D’où ce surnom de « Sépulcre ». C’était le lieu où l’esprit dépérissait. La peur logée dans ces murs était immuable. Enfant, je ne comprenais pas d’où venait ce mot. Les grands nous l’avaient laissé en héritage, en même temps que la terreur que l’endroit leur inspirait. Pour arriver à le comprendre, il m’a fallu du temps, beaucoup de temps…
Afficher en entierLa Maison exige une forme d'attachement mêlé d'inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes... C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a bien quelque chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on cherche à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours.
Afficher en entierSur le canapé du Croisement, cette mocheté de Gaby était vautrée jambes écartées, vêtue d'une jupe si courte qu'on pouvait se demander si c'en était vraiment une. Autour d'elle s'attroupaient des passionnés d'anatomie qui l'observaient avec grand intérêt. Gaby protestait en les frappant à coups de sac, tout en les abreuvant d'injures, sans pour autant cacher le panorama. A mon approche, les voix se turent et tout le monde se redressa d'un bond. Je passai dans un silence gêné que j'emportai avec moi, avec le vermillon de mes joues et la sensation embarrassante d'avoir moi-même pris part à ce spectacle, telle une grand-mère sévère qui aurait surpris son petit-fils dans une situation compromettante. C'était à la fois répugnant et risible.
Afficher en entierLes filles avaient beau être chouettes, c'étaient quand même des filles. Et les filles, ça paralyse. On voulait tous paraître spirituels, mais aucun bon mot ou repartie ne nous venaient. Seulement des paroles banales et des poncifs éculés qui ne méritaient même pas d'être prononcés. Pour le moment, je restais donc coi, m'accoutumant à leur odeur en écoutant les autres.
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