Ajouter un extrait
Liste des extraits
Je voyais deux sentiments se mêler sur son visage : la joie de découvrir des souvenirs de sa mère qu’elle avait perdue enfant, et l’irritation de ne plus se rappeler les faits décrits dans le journal de Yusuke. Je restai silencieux un moment, me contentant de la regarder lire ici ou là les passages qui se rapportaient à madame Otai.
Revenue à la première page, elle posa le cahier sur la table. Elle poussa un petit soupir
Afficher en entier« 10 février, ensoleillé. J’ai eu mal au ventre, mais je suis quand même allé à l’école. Parce que je veux pas rester à la maison. Je voulais en parler au professeur, mais on peut pas faire confiance aux adultes. Le professeur va sûrement croire ce que l’autre dira. Personne croit ce qu’on dit. Et puis après l’autre, il se venge.
« Quand je suis rentré de l’école, il était allongé sur le sofa. Pour pas qu’il me voie, je suis tout de suite monté dans ma chambre. Sur mon lit il y avait Chami qui pleurait comme la dernière fois. L’autre a dû encore lui faire du mal.
« Je peux plus le supporter. Il n’a qu’à mourir. »
Afficher en entier« 24 décembre. Ensoleillé avec quelques nuages. Aujourd’hui il a fait très froid. Je grelottais pendant la cérémonie de fin d’études du deuxième trimestre. Mon bulletin s’est amélioré, alors maman m’a fait des compliments. Cette année encore il m’a envoyé un cadeau de Noël. Une maquette de voiture de course. L’année dernière c’était une locomotive.
Papa dit que ce n’est pas bien qu’il ne m’envoie que des jouets. Il dit que les livres, c’est mieux. Il a téléphoné et s’est fâché. La nuit tombée, il a neigé. »
Afficher en entierSayaka garda le silence et pencha la tête, perplexe.
— Non ? insistai-je.
— Je crois que non, dit-elle sur un ton qui manquait de conviction.
— Vous avez déménagé alors ?
— C’est ce que j’ai entendu dire. Il paraît qu’avant on était à Yokohama.
— Jusqu’à quand ?
— Je ne sais pas précisément. Sans doute quand j’étais bébé.
— Mais si ça se trouve, ai-je commencé en tapotant la photo du bout du doigt, vous avez emménagé ici juste avant la rentrée scolaire. C’est logique de planter un arbre quand on arrive dans une nouvelle maison.
Sayaka n’en revenait pas.
— Je n’avais jamais pensé à ça…
Afficher en entier— Je me rappelle la dernière fois que nous sommes passés par ici. Tu te souviens ? Nous étions descendus à la pension je ne sais quoi.
— Hmm…
Je ne lui dis pas que je m’en souvenais aussi.
— Au moment où tu as découvert l’endroit, tu as failli faire demi-tour. Tu disais que tu détestais les love hôtels de ce genre.
— C’est vrai.
J’ai esquissé un demi-sourire.
— Finalement tu t’es résigné et nous y avons dormi, mais le lendemain, tu te souviens ? Quand nous sommes allés faire un tour à Kiyosato, il y avait des rangées de boutiques de souvenirs encore plus clinquantes.
— Aah, quelle horreur!
Afficher en entierNous descendîmes l’escalier et refîmes le tour des pièces du rez-dechaussée.
En faisant, petit à petit, de curieuses découvertes.
Par exemple, nulle part dans cette maison il n’y avait de télévision. Vingttrois ans auparavant, la télévision couleur était déjà répandue. Bien sûr, à
cette époque, certaines familles ne l’avaient pas encore. Mais, dans une maison aussi grande, il aurait été facile d’en installer une quelque part.
Non seulement il n’y avait pas de télévision, mais en plus les appareils
électriques étaient peu nombreux. On ne voyait ni lave-linge ni aspirateur.
Pas même un téléphone.
Afficher en entier— Il y a des choses qui me préoccupent dans les agissements de mon père de son vivant, continua-t-elle posément. Il aimait la pêche, et de temps en temps, les jours fériés, il partait seul, mais parfois c’était bizarre. La veille il ne préparait rien. Il n’achetait pas d’appâts, ne vérifiait pas son matériel. Et il revenait bredouille, sans le moindre poisson. Et ce n’est pas tout : en rentrant, il ne nettoyait pas sa canne à pêche. Alors qu’il n’y manquait jamais d’habitude.
— Tu penses que la pêche était un prétexte et qu’il allait ailleurs ?
— Ça paraît évident, non ?
Afficher en entierSayaka inspira profondément, comme si elle se décidait enfin, et prit une enveloppe marron dans le sac posé à côté d’elle. Elle la retourna au-dessus de sa paume et il en sortit un objet couleur de cuivre et une feuille repliée. Elle les déposa devant moi. L’objet était une clef en laiton à tête de lion. Je dépliai la feuille : un plan sommaire était griffonné à l’encre noire sur du papier à
lettres.
Je relevai la tête.
— Qu’est-ce que c’est ?
Les lèvres de Sayaka s’entrouvrirent lentement.
— L’héritage de mon père.
Afficher en entierMais, tout en feignant de lire ou d’écouter de la musique, je n’ai cessé de penser à cette vieille maison. La chambre où autrefois je faisais mes devoirs, le salon où nous regardions la télévision autour de la table chauffante, la cuisine où je jetais un coup d’oeil discret en rentrant de l’école, le cartable sur le dos, en me demandant ce qu’il y aurait à dîner. Le placard, le couloir, et aussi le sombre débarras.
Afficher en entierJe gardai le silence. Je n’y comprenais rien. Je devinais au ton de sa voix que c’était important. Je devais donc me montrer d’autant plus prudent.
— Il faut que je réfléchisse… J’ai passé ma langue sur mes lèvres avant de continuer : Il y a bien d’autres personnes à qui tu peux t’adresser. C’est très dangereux de nous revoir toi et moi. Tu le sais ?
— Oui. Et j’ai malgré tout pris la décision de t’appeler.
— Mais enfin…
— Je t’en prie, ajouta-t-elle avec effort.
J’avais l’impression de comprendre son état d’esprit. Des yeux qui regardent au loin. Des yeux certainement rougis.
Je soupirai, avant de lâcher un peu brusquement :
— Demain après-midi je suis libre.
— Merci, me répondit-elle.
Pendant six ans, du lycée à la quatrième année d’université, Sayaka et moi avons été ensemble. Ceci dit, nous n’avons jamais échangé de serments passionnés ni vécu de moments inoubliables. Un peu comme si un jour nous nous étions rendu compte que nous sortions ensemble depuis six ans.
C’est elle qui a mis un terme à notre relation.
— Tu me pardonnes, hein ? Je suis amoureuse de quelqu’un d’autre.
Afficher en entier