La Maîtresse du donjon

Tout allait bien.

Ivre de soulagement, Rosalind tourna les talons pour aller quérir des sentinelles. C'est alors qu'elle fut tirée en arrière par deux bras musclés.

Un cri de frayeur lui monta dans la gorge, mais il fut étouffé par la large paume qui lui bâillonna la bouche. Les bras qui l'enlaçaient étaient aussi massifs que des troncs d'arbre ; ils l'écrasaient contre une solide poitrine.

Le cœur de Rosalind se mit à tambouriner, si fort que ses battements l'assourdissaient.

—Quelle surprise.

Bien que ces mots aient été chuchotes d'une voix rauque à son oreille, elle y reconnut l'accent écossais. Son sang se figea dans ses veines.

—La froide sirène est une femme bien vivante, en définitive. Mais je vous préviens : n'émettez pas un son.

La paume s'écarta de sa bouche.

Elle demeura pressée contre le mur de cette poitrine. Bien qu'elle ne vît pas son ennemi, elle devinait à son menton qui dominait sa tête qu'il était d'une taille impressionnante. La peau de bête qu'il portait lui chatouillait le cou, l'odeur de brûlé qui montait de sa cape accentuait ses craintes. Il ne devait pas être content d'elle, après la résistance qu'elle avait menée.

Rosalind combattit la terreur qui l'envahissait en se rappelant les gens de Beaumont, qui comptaient sur elle pour les protéger. Elle devait rester calme. Et ferme. Cherchant sa voix, elle se força à articuler quelques mots.

—Etes-vous le seul qui êtes entré ?

Si elle criait, peut-être que ses gens arriveraient avant que le reste des Ecossais ne s'infiltrent par les brèches.

—Oui, mais ne doutez pas que je vais bientôt être rejoint.

Comme elle prenait son souffle, il la bâillonna de nouveau de sa main.

—Je vous ai prévenue, lass. Si vous criez, ce sera pire pour vous.

Ainsi qu'il l'avait annoncé, des pas se firent entendre dans le corridor obscur. Une autre voix écossaise émergea de l'ombre, les pierres renvoyant son écho.

—C'est la lass de la tour de garde, dit une brute au visage bleu, en s'approchant d'eux. Ce n'est pas un fantôme, mais une jolie petite.

—Oui, jolie de visage et jolie comme archer, aussi, renchérit une autre voix.

Un troisième barbare au visage bleu apparut, descendant d'une corde qui pendait le long du mur. Il n'était pas aussi massif que les deux autres, mais il dépassait encore Rosalind d'une tête. Elle nota qu'il portait une broche en argent qui représentait un griffon, le même bijou qu'elle ferait remarqué sur la cape de son chef.

—C'était ta tête qu'elle visait, Malcolm. Si tu avais été un peu plus lent, elle t'aurait eu.

Malcolm. Rosalind sut à qui appartenaient les bras qui la retenaient prisonnière. Le guerrier aux cheveux noirs qui avait retenu son regard. Le chevalier qui s'était adressé à elle de sous les remparts.

Son corps tout entier tremblait de frayeur, tandis qu'elle se remémorait les méfaits des Ecossais la dernière fois qu'ils avaient attaqué sa citadelle. Le géant s'était posté sur sa droite, le plus mince sur sa gauche. Alors que de la sueur froide ruisselait sur le front de Rosalind, d'autres sauvages au visage bleu apparurent, utilisant la corde.

Tous ses préparatifs pour tenir le siège aboutissaient à rien, parce qu'elle n'avait pas pensé à la tour sud. Les gens de Beaumont allaient souffrir de sa négligence.

Elle devait trouver un moyen de les prévenir.

—Je vais ôter ma main de votre bouche et vous allez me conduire à la grand-salle, lass.

La voix de son assaillant, sourde et menaçante, lui donna la chair de poule. Pensant qu'elle pourrait peut-être retourner la situation à son avantage, elle hocha la tête.

—Par cette porte.

Un plan prit forme dans son esprit, une mesure désespérée pour une situation désespérée.

Tandis qu'elle conduirait les Ecossais vers la grand-salle, elle aurait l'occasion de crier. Il fallait qu'elle soit entendue.

Son assaillant ouvrit la porte de la chapelle et jeta un coup d'oeil à l'intérieur. L'odeur de pin et d'encens monta au nez de Rosalind. Ces parfums qu'elle trouvait si réconfortants d'ordinaire ne pouvaient guère la rassurer, en cet instant.

Elle décida de saisir sa chance.

Saisissant la poignée de sa dague pour en tirer du courage, elle poussa un hurlement à ébranler les chevrons.

La lame froide de l'Ecossais, pressée sur son cou, arrêta son cri.

Elle serra les doigts sur sa dague.

—Diablesse ! Je vous avais...

Les paroles de l'homme moururent dans sa gorge quand Rosalind planta sa dague dans son flanc.

Horrifiée par le liquide chaud qui couvrait sa main, elle combattit la nausée qui l'envahissait. Sa cause était peut-être noble, mais elle n'avait pas l'intention de tuer un homme.