La Matriarche, Livre 1 : Le clan de Dilnaseh

Une trentaine d’enfants était assise par terre, en demi-cercle, autour d’une femme. Entièrement nue. Une femme entièrement nue. Je crois que je restai un instant bouche bée, sans savoir trop comment réagir. Est-ce que c’était… normal ? Elle était assise en tailleur au milieu d’eux. Elle me regardait. Je ne pouvais plus bouger. Belle. Puissante. Etrange.

Elle devait avoir une quarantaine d’années. Ce sont d’abord ses cheveux bruns qui retinrent mon attention, inhumainement sublimes. Brillants, souples, ils tombaient en une parfaite cascade, qui rebondissait dans le creux de ses reins. J’étais certaine que si je les avais pris entre mes doigts, ils auraient coulé, fluides et libres comme l’eau claire d’une rivière de montagne. Tout son corps était musculeux. Sa peau, légèrement hâlée. Et malgré la large cicatrice qu’elle arborait sur le bras droit, comme pour prouver qu’elle était mortelle, tout en elle dégageait une puissance et une grâce divines. Tout en elle chantait, tout était essence d’harmonie, ses épaules rondes, la courbe parfaite de ses hanches, qui tombait abruptement sur ses cuisses inébranlables, la pointe curieuse de ses seins ; tous ses reliefs semblaient résumer à eux seuls le monde et l’univers. Sa toison pubienne elle-même participait à la beauté de l’ensemble, et je ne parvenais pas à trouver quoi que ce soit de vulgaire à son exhibition. Et ses yeux… ses yeux-icebergs, du bleu le plus glacial et le plus profond que jamais il ne m’avait été donné de voir, entourés de cils longs et fournis, me faisaient frissonner sans effort. Elle était tellement belle que j’en avais oublié de respirer, et même oublié que j’étais quelqu’un, quelque-chose, que j’avais un nom, une conscience. Je l’avais vue, elle était devenue le centre du monde, l’entièreté du monde. Elle rayonnait d’un charisme incroyable.

Selon Lucrèce, presque tous les êtres vivants sont recouverts de cuir, de soie, de coquille, de corne ou d’écorce. Ou, concernant l’humanité, de tissus divers. Nous sommes, nous humains, les seuls à pouvoir nous dépouiller de notre armure, car à force de nous couvrir d’artifices, nous avons fait disparaître fourrure et cuir, qui se sont crus de trop. Dilnaseh apparaissait sans aucune protection, aucune parure. On la voyait en sa façon la plus simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice. Jamais on ne fut plus exposé qu’elle ne l’était, et pourtant, elle s’offrait dans une telle entièreté, avec une telle assurance, que cette manière de donner au monde sa faiblesse faisait émaner d’elle une force incommensurable, un charisme rayonnant. Face à ce tableau transcendant, une telle gratitude m’emplit envers celle qui me faisait le don de sa confiance absolue que je me sentis ébranlée au plus profond de moi-même.

Je comprenais l’adoration que j’avais senti dans la voix du soldat, le jour précédent, lorsqu’il m’avait parlé de la Matriarche. Cette femme ne m’avait encore rien dit, elle n’avait fait que rester assise en face de moi, aussi nue que sublime, et déjà, je me perdais dans une émotion proche de la foi absolue.