Extraits

J'ouvre les yeux ; les referme. Cela ne change rien à la nature de l'obscurité. D'ailleurs je ne sais pas si j'ouvre les yeux ou si je rêve seulement que je les ouvre. Suis-je éveillée ou endormie ? Vivante ou morte ? Suis-je déjà un cadavre ?

Et si elle n'avait plus d'âme à son réveil? Si elle n'était plus qu'une sorte de spectre?

[...]

A quoi ressemblerait un être dépourvu d'âme? Serait-il sourd, muet, sans aucune réaction? Un monstre infâme? Un fou?

Avec une horreur mêlée de fascination, Robert avait regardé Anne Green gravir l'échelle de la potence et le lourd nœud coulant être glissé autour de son cou. Ses derniers mots avaient été: "Puisse Dieu se hâter de me conduire au paradis", mais à peine les avait-elle prononcés que le bourreau la poussait, mettant ainsi un terme à sa vie et à ses prières. De jeunes hommes, ses frères peut-être, étaient alors sortis de la foule, en larmes, et s'étaient pendus à ses jambes afin d'accélérer sa fin. L'un d'eux avait soulevé le corps à plusieurs reprises, pour le tirer ensuite brutalement vers le bas et lui briser le cou au plus vite, et éviter à Anne de longues souffrances. Une vingtaine de minutes plus tard, un sergent en armes avait grimpé tout en haut de l'échelle et, de la crosse de son mousquet, avait frappé et refrappé, avec une extrême violence, a poitrine de la jeune femme afin d'en expulser les derniers souffles de vie. Puis, après une demi-heure au cours de laquelle on n'avait observé ni mouvement, ni saccade, ni souffle, son corps avait été détaché et elle avait été déclarée morte par un représentant de la prison et un médecin.

Secouée de sanglots, elle avait tenté de s'accrocher à sa mère, mais le bourreau l'avait violemment repoussé. "Je suis innocente, avait-elle chuchotée, et ses mots avaient fait le tour de la foule. Puisse Dieu dans sa grande miséricorde prouver que je suis innocente des accusations portées contre moi."