La musique à travers les époques

La double porte claqua sur les murs de marbre nu. La salle de concert était immense. Le plafond s’envolait sous des voûtes peintes, représentant des nuées d’anges sonnant des clairons. Les grandes baies vitrées laissaient passer la lumière du jour, d’une manière si pure, que cela paraissait irréel. Au centre de la pièce, trônait un piano à queue, immense masse noire vibrante et résonnante.

Il s’en échappait une mélodie tribale, qui vous prenait aux tripes. Les accords bestiaux laissaient entrevoir un violent harmonique de percussions. L’intrus avança le dos voûté, comme frappé par cette musique d’un autre âge.

La musique marqua un arrêt, laissant l’intrus apercevoir les cheveux du mélomane. Quand une musique aux tonalités religieuses s’éleva, les notes amenèrent l’importun à s’avancer pieusement, le forçant à admirer les lattes du plancher, comme si une quelconque révélation pouvait s’y trouver.

Un nouveau souffle laissa les notes du piano s’évanouir dans l’immensité de la pièce, enchaînant aussitôt sur un quadrille médiéval aux accords simples et enjoués. Il s’avança de plus en plus rapidement : cela lui permit de discerner la silhouette du pianiste, sautillant sur sa banquette. Il portait un pourpoint vert aux coutures dorées et des gants de lin gris taupe. L’intrus ne put distinguer son visage, car il était penché sur les touches de l’instrument.

Sans crier gare, la musique se métamorphosa en une symphonie passionnée, dont les accords virevoltants s’enchaînaient à une vitesse incroyable. On pouvait alors aisément imaginer un corps de violon se joindre au piano, comme deux amants inséparables. L’intrus se fit repousser par la puissance des harmoniques. Il recula de deux pas, et sentit le regard du maestro se fixer sur lui. Ce dernier ne pouvait distinguer son visage, dissimulé par le couvercle du piano.

L’intrus réussit finalement à contourner l’immense piano vibrant de sons métalliques aux sonorités numériques. Ces dernières l’invitaient à s’approcher. Les basses rythmaient son parcours. Arrivé à l’angle du piano, il aperçut la banquette, et l’homme qui se tenait debout à ses cotés.

La musique déchira les tympans de l’intrus. Ses accords dissonants se faisaient l’écho de sa stupeur. Il restait figé là, à regarder ce joueur de piano improbable, qui lui ressemblait en tout point. Les sons prirent fin quand le pianiste se mit à parler : « As-tu apprécié la symphonie du temps ? »

Sans une réponse, l’intrus prit place sur la banquette et amorça une nouvelle symphonie.