Extraits

- Rien de bien spécifique, en réalité. Les membres de l'équipe des Bleus n'étaient pas conformes à un type unique, chacun était un individu distinct et indépendant. Mais on n'acceptait personne qui n'ait un bon sens de l'humour - quelle que soit la façon dont cet humour s'exprimait. Il y a des gens qui sont tout le temps en train de raconter des blagues; d'autres à qui il suffit de hausser un sourcil au bon moment et, du coup, tout le monde dans la pièce se roule par terre. Un bon sens de l'humour, donc, un goût pour les ironies de l'existence et une capacité d'apprécier l'absurde. Mais aussi une certaine modestie, de la discrétion, de la gentillesse envers les autres, un coeur généreux. Pas de crâneurs ni de sots arrogants, ni menteurs ni voleurs. Un membre de l'équipe des Bleus devait être curieux de tout, grand lecteur, et conscient du fait qu'on ne peut pas plier l'univers à son gré. Un observateur attentif, un type capable de distinctions morales subtiles, un être épris de justice. Il te donnera sa chemise s'il te voit dans le besoin, mais il préférera de loin glisser un billet de dix dollars dans ta poche quand tu ne regardes pas. Est-ce que ça commence à se dessiner ? Je ne peux pas préciser, te dire : C'est ci ou ça. C'est tout à la fois, chaque élément distinct réagit à tous les autres.

- Ce que tu décris, c'est quelqu'un de bien. Purement et simplement.

J'étais un homme perdu, un homme malade, un homme qui se débattait pour reprendre pied, mais sous tous les faux pas et toutes les sottises que j'ai commises cette semaine-là, je savais une chose que je n'étais pas conscient de savoir. A certains moments, pendant ces quelques jours, j'ai eu l'impression que mon corps était devenu transparent, une membrane poreuse à travers laquelle pouvaient passer toutes les forces invisibles du monde-un réseau aérien de charges électriques transmises par les pensées et les sentiments des autres...Le futur était déjà en moi, et je me préparais aux désastres à venir.

Avril 1945 .Mon unité se trouvait en Allemagne , et ces nous qui avons libéré Dachau . Trente mille squelettes ambulants . Vous avez vu des photos , mais les photos ne vous racontent pas comment c'était . Il faut y aller et sentir soi-même cette puanteur , il faut être là et toucher ça de ses propres mains .

Des êtres humains ont fait ça à des êtres humains , et ils ont fait ça avec la conscience tranquille .

Jusqu'alors, j'avais été l'un de ces écrivains obscurs et fervents qui écrivent entre cinq et sept heures du matin, qui écrivent la nuit et en fin de semaine, et qui ne partent jamais nulle part pendant les vacances d'été afin de rester chez eux dans un appartement torride de Brooklyn pour rattraper le temps perdu. Aujourd'hui (...) je me trouvais dans la situation luxueuse d'un gribouilleur indépendant sans autre patron que lui-même.

Je trouve toujours stimulant de découvrir de nouveaux exemples de mes préjugés et de ma stupidité , de me rendre compte que je ne sais pas la moitié de ce que je crois savoir .

« C’était un lieu illusoire qui appartenait à ma tête, et où je me trouvais aussi. Dans ces deux lieux en même temps. Dans l’appartement et dans l’histoire. Dans l’histoire dans l’appartement que j’écrivais encore dans ma tête. »

Tu as de la chance de ne pas avoir d'enfants, Sid. C'est gentil quand c'est petit mais, après, ça te brise le coeur et ça fait ton malheur. Un mètre cinquante, c'est le maximum. On ne devrait pas leur permettre de devenir plus grand que ça.

Que le sang paraît rouge sur le blanc du lavabo de porcelaine, me disais-je. Quelle vivacité elle a, cette couleur et, esthétiquement, qu'elle est choquante. Les autres fluides issus de nous sont ternes en comparaison, de pâles giclées. Salive blanche, sperme laiteux, urine jaune, morve brun-vert. Nous excrétons des couleurs d'automne et d'hiver tandis que court, invisible, dans nos veines, cela même qui nous maintient en vie, l'écarlate d'un artiste fou – aussi rouge et brillant que de la peinture fraîche.

Je m'étais résigné à vivre le restant de mes jours avec un cœur en pièces, et à présent elle me disait que je pouvais vivre avec elle – en un morceau, toute ma vie en un morceau avec elle.

Nick aime l'idée de se balader dans les habits d'un mort. A présent qu'il a cessé d'exister, il lui paraît juste d'adopter la garde-robe d'un homme qui a, lui aussi, cessé d'exister – comme si cette double négation rendait plus complet, plus permanent l'effacement de son passé.