Là où se trouve le cœur

C'est le matin, et à Uppsala, on emmène ses enfants à la maternelle. Victor éprouve toujours de l'appréhension quand il abandonne Ninni à côté des toboggans rouges, et il pense qu'elle le sent, parce que chaque fois elle éclate en sanglots. Aujourd'hui, il a encore plus de mal que d'habitude à se séparer d'elle, et la lèvre de Ninni tremble déjà quand il pousse le portail de l'entrée.

— Tu vas t'amuser à l'école, dit-il d'un ton gai et forcé à la fois.

Il serre sa main très fort.

Les enseignants de la maternelle le lui ont déjà dit cent fois, avec des regards accusateurs : « Vous devez faire comprendre à Ninni qu'il n'y a aucun danger à aller à l'école. Les enfants savent décoder le langage corporel. »

— BONJOUR, Ninni ! s'écrient-ils en ouvrant largement les bras, tout en lui lançant leur fameux regard. Quelle JOIE de te voir ! Tu sais qui est là ? LYDIA !

Mais Ninni est déjà inconsolable, secouée de sanglots à n'en plus finir, ses petites joues couvertes de larmes et de filets de morve. Il l'aime tellement fort, ce petit visage renfrogné. Personne ne peut l'aimer plus que lui.

Est-ce tellement répréhensible de ne pas vouloir laisser son enfant tout seul, quand on sait à quoi ressemble le monde ?

— Ton papa revient après le goûter, dit la maîtresse, comme si elle lui annonçait qu'elle venait de gagner au loto. Et tu sais ce qu'il y a pour le goûter ? De la BANANE ! Je crois que Lydia est partie s'asseoir sur les coussins, dans le coin là-bas. On va voir ? Tu dis au revoir à papa ?

Elle lance un dernier coup d'œil péremptoire à Victor, qui enchaîne, du ton le plus joyeux qu'il peut :

— Au revoir, mon bébé ! Amuse-toi bien aujourd'hui ! Je reviens te chercher à trois heures.

Même s'il doute qu'un enfant de deux ans puisse comprendre le concept des heures. Les enseignants de l'école maternelle croient sûrement qu'il ne le sait pas, ils le prennent sans doute pour un papa qui ne comprend rien aux étapes d'apprentissage d'un enfant.

Et pourtant, il se souvient de l'heure exacte où Ninni a prononcé ses premiers mots.

Les sanglots de sa fille le suivent quand il franchit la grille pour sortir – abandonner son enfant qui pleure, quel déchirement ! – et il déteste les pensées qui lui viennent malgré lui : si ceux qui le pourchassent l'enlevaient maintenant, le dernier souvenir qu'il aurait d'elle, ce seraient ses larmes.

Il jette des regards derrière lui, puis devant lui, vers les buissons qui se trouvent à proximité de la maternelle. C'est difficile quand on ne sait pas à quoi ils ressemblent ; ils sont nombreux, et les visages qu'il a déjà vus peuvent se faire remplacer par d'autres. Mais il n'a pas l'impression qu'ils sont là. Il n'y a que des parents qui emmènent leurs enfants à l'école, des hommes en costume qui claquent les portes de leurs voitures, des étudiants à bicyclette.

Même si rien ne les empêche de porter un costume.

Ils ne prendront pas ton enfant, il entend la voix de Hilla dans sa tête. Penser avec l'accent et le dialecte de sa femme le rassure toujours. S'il lui en parlait, c'est probablement ce qu'elle dirait, mais il ne lui en a pas parlé. Pas encore. Pas tant que les choses ne s'aggravent pas.