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Extrait

Extrait ajouté par Saarah72 2017-06-12T16:30:22+02:00

- Ca, dit Thorn, ce sera à nous de le découvrir. Si, bien sûr, vous êtes toujours disposée à ce que nous enquêtions ensemble.

Il s'était exprimé d'une voix raide, le regard enfoncé dans son verre.

Ophélie remonta ses lunettes sur son nez.

- Vous en doutez ?

- Tant que vous resterez à Babel, si forte que soit la tentation et si grande que soit votre solitude, vous ne devrez avoir aucun contact avec votre famille.

- Je le sais.

- Plus vous approcherez de la vérité, plus vous vous mettrez en danger.

- Je le sais.

- En cas de difficulté, vous ne pourrez peut-être pas compter sur moi. J'ai les pieds et les poings liés par les Généalogistes.

- Je le sais aussi, dit doucement Ophélie. C'est de cela que vous vouliez que nous parlions hier ?

Thorn détacha enfin son regard du verre d'eau pour le braquer sur elle. Ses prunelles pâles projetaient un éclat incisif à travers la pénombre.

- Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit l'autre soir devant l'entrée du Mémorial ? Que je ne voulais pas de vos bons sentiments ?

Ophélie hocha le menton.

- J'étais sincère, poursuivit-il d'une voix implacable. Je n'en veux pas.

Il se renfrogna, comme s'il avait un goût désagréable en bouche. Ses doigts firent valser son verre d'une main à l'autre avant qu'il se décide à le poser.

- Du moins, pas seulement.

Ophélie s'humecta les lèvres. Thorn n'avait pas son pareil pour la faire se sentir tour à tour glacée et brûlante.

- Vous ne ...

- Pas de demi-mesure, la coupa-t-il. Je ne suis pas et je ne veux pas être votre ami.

( ... )

- Je refuse de vivre avec l'impression continuelle de vous mettre mal à l'aise, enchaîna Thorn d'un ton abrupt. Si ce sont mes griffes qui vous rebutent ... je suis conscient d'être peu attractif ... cette jambe ne m'empêchera pas de ...

Il balaya son front d'une main excédée, comme s'il endurait un véritable calvaire grammatical.

Toute la nervosité d'Ophélie disparut aussitôt. Elle se débarrassa de ses gants comme d'une ancienne mue. Les coups durs avaient abîmé Thorn et les dégâts étaient plus considérables au-dedans qu'au-dehors. Elle se fit la promesse de le protéger de tous ceux qui pourraient l'écorcher davantage, à commencer par elle.

Elle s'approcha de manière à bien se tenir dans son champ de vision. C'était une bonne chose qu'il fût assis, ça les mettait à égalité. Il tressaillit quand elle appuya ses mains nues de part et d'autre de son visage. C'était un être anguleux de corps comme de caractère, sans jamais une formule aimable, ni un geste galant, ni un mot d'humour, préférant la compagnie des chiffres à la société des hommes. Il fallait avoir une bonne motivation pour regarder Thorn en face.

Ophélie en possédait une.

Elle embrassa ses cicatrices, d'abord celle qui lui fendait le sourcil, ensuite celle qui lui crevait la joue, enfin celle qui lui traversait la tempe. A chaque contact, Thorn écarquilla davantage les yeux. Ses muscles, à l'inverse, se contractèrent.

- Cinquante-six.

Il désenroua sa voix d'un raclement de gorge. Jamais Ophélie ne l'avait vu aussi intimidé, en dépit des efforts qu'il déployait pour ne rien en montrer.

- C'est le nombre de mes cicatrices.

Elle ferma, puis rouvrit les yeux. Elle le sentit à nouveau, en plus violent encore, cet appel impératif qui lui venait du fin fond du corps.

- Montre-les moi.

Le monde cessa aussitôt d'être mot pour se faire peau. L'ombre blême des moustiquaires, le clapotis de la pluie, les lointaines rumeurs des jardins et de la ville, rien de tout cela n'existait plus pour Ophélie. La seule chose dont elle avait une perception aiguë, c'était Thorn et elle, leurs mains défaisant l'une après l'autre chaque retenue, chaque appréhension, chaque timidité.

Ophélie avait passé ses trois dernières années à se sentir creuse. Elle était enfin complète.

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