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Extrait ajouté par venusee 2013-06-04T00:36:20+02:00

Chapitre 19

Son corps musclé paraissait souple et dur, prêt à bondir à la moindre alerte. Il était grand, hâlé et la fixait de ses yeux d'obsidienne rendus plus ténébreux encore par des sourcils très bruns. Sa bouche sensuelle frémissait... Aurora nota ses traits réguliers, le nez aquilin, la moustache bien taillée. Il avait les pommettes hautes et son visage maigre exprimait une passion impérieuse. Il crispait les mâchoires avec arrogance comme s'il avait toujours vu ses ordres exécutés.

Aurora effleura son corps du regard, sa taille fine et son ventre plat. Mais elle ne s'attarda pas, rougissant devant les culottes moulantes qui mettaient en valeur ses cuisses nerveuses et son corps viril.

La jeune fille fut sensible à son élégance. A l'exception d'une chemise blanche au jabot de dentelle fine, il était vêtu de drap noir. Il portait un sombrero au large bord et une cravate de soie chatoyait à sa gorge, piquée d'une perle. Sur les manches de son gilet et le long des jambes de son pantalon courait une fine bande de brocart blanc. Une large ceinture de cuir lui serrait la taille, fermée d'une grosse boucle d'argent travaillé. Aurora remarqua le revolver à crosse de noyer niché dans un holster taillé sur mesure. Plus insolite en ces lieux, une inquiétante rapière d'argent pendait à son côté, retenue par un étroit fourreau. Il piétina soudain et ses éperons d'argent cliquetèrent contre les marches. Il tenait à la main une paire de gants noirs et un fouet qu'il faisait claquer distraitement contre une botte.

Malgré tout ce raffinement, Aurora sentit en lui une force indomptée qui l'attira et l'effraya tout à la fois. Cet homme n'avait pas la malveillance de Don Rodolfo mais, en cas de besoin, déploierait sans doute la même cruauté implacable. Il ne laisserait rien ni personne s'interposer entre lui et l'objet de son désir... Elle frémit. A l'exception de Nicolas et de quelques peones, il n'y aurait personne pour la défendre.

Il la dévisageait toujours, comme s'il ne pouvait la quitter du regard.

Elle était là, bien réelle. Ce n'était plus le visage du portrait mais une femme de chair et de sang, visiblement émue par son apparition. Elle était plus belle qu'il n'avait cru possible. Comment avais-je pu oublier ? Cette pensée lui traversa soudain l'esprit. Etrange question puisqu'il ne la connaissait que d'après la miniature. Et pourtant... Chaque mèche de cheveux lui était familière. Il caressa du regard les petites boucles qui avaient échappé aux nattes serrées et flottaient gracieusement autour de ses pommettes. Son visage charmant, ses yeux saphir, ses lèvres mutines, jusqu'à la veine qui battait à sa gorge invitaient à des baisers...

Son coeur lui martelait la poitrine, il respirait à peine, la gorge serrée par une émotion inconnue. Un élan de passion l'enflamma soudain. Courir vers elle, l'enlever dans ses bras, et l'embrasser, l'embrasser jusqu'à ce qu'elle crie grâce et s'abandonne à son étreinte... A cet instant, il jura qu'un jour, elle lui appartiendrait.

— Mon amour, souffla-t-il, ma poupée...

Aurora n'entendit rien, transportée comme lui dans un état second. C'était comme s'ils avaient traversé ensemble des centaines d'existences, tirés l'un vers l'autre par une force irrésistible jusqu'en ces lieux magiques. Une brise plaintive murmura dans la jungle, effleurant les arbres comme pour les réveiller. Un silence haletant tomba soudain sur Esplendor, qui sommeillait depuis trois siècles en attendant cette rencontre.

Il est venu. Enfin mon bien-aimé est là, songea Aurora sans s'expliquer cette intuition.

Puis une brume noire l'engouffra et elle perdit con-naissance.

Raul bondit pour la retenir. D'un geste tendre, les mains tremblantes, n'arrivant pas à croire qu'enfin elle était dans ses bras, il souleva la silhouette gracile avec mille précautions et la porta à l'intérieur. Il s'orienta sans hésiter dans l'enfilade des pièces jusqu'au petit salon. Il ne s'en étonna même pas : au premier regard sur le manoir, il avait su qu'il y serait chez lui.

Il allongea doucement la jeune fille sur le canapé. Puis, remarquant un vase rempli de fleurs, il trempa son mouchoir dans l'eau fraîche pour lui caresser les poignets et le front. Soudain il s'assombrit. Il en aurait pleuré de rage ! Avait-il oublié la malédiction qui le frappait ? Un instant d'inattention et il avait ouvert son coeur... Elle était si belle ! mais déjà elle s'était évanouie à sa simple vue. Dans une heure, dans un jour, que lui arriverait-il s'il cédait à l'amour? Elle subirait le même sort que tous ses êtres chers...

Les paupières de la jeune fille battirent et elle ouvrit les yeux.

— Doña Aurora, dit-il poliment en maîtrisant l'envie de la reprendre dans ses bras, vous sentez-vous mieux ?

— Vous connaissez mon nom ? Mais comment ? s'émerveilla-t-elle, croyant rêver pour de bon.

— J'étais un ami de Don Basilio et Doña Francisca. Votre frère m'a souvent parlé de vous. Je m'appelle La Aguila... A-t-il évoqué nos relations ?

— Non, monsieur mais quand je suis arrivée à Esplendor, je l'ai trouvé... gravement malade. Parfois il ne savait plus qui j'étais. Il — Il est mort, acheva-t-elle dans un sanglot.

— Oui, c'est pourquoi je suis venu, expliqua Raul d'une voix douce mais réservée.

Comme il aurait voulu l'attirer plus près, la serrer contre sa poitrine et la protéger ! Elle était trop délicate, trop vulnérable pour porter seule le poids de ce deuil.

— Pardonnez-moi, mais... Vous paraissez très faible. Où sont les domestiques ? Puis-je appeler quelqu'un ?

— Non, je vous en prie, c'est inutile, répliqua- t-elle en reprenant ses esprits. Cette canicule... C'est la chaleur qui m'a incommodée, voilà tout. Quant au peu de domestiques qui me restent, ils travaillent aux champs ou en cuisine. Comme vous pouvez l'imaginer, avec la mort de mon frère, les temps sont durs. J'ai bien peur que nous ne soyons pas en mesure de recevoir... Avez-vous une longue route derrière vous ?

— Oui, j'arrive du Texas, aux Etats-Unis. Je ne suis pas venu en invité, mademoiselle. Je crains de vous infliger une grave déception mais... Avant de mourir, votre frère m'a légué la plantation. Il m'a fait parvenir l'acte notarié par son valet, Gilberto Huelva. Je suis le nouveau propriétaire.

— Non ! suffoqua la jeune fille. C'est impossible !

— Je vous assure que si, señorita. Voici le document, dit le vicomte en retirant le papier de sa poche. Vous pourrez le faire vérifier par un homme de loi, naturellement, mais je pense qu'il est en règle.

La jeune fille fixa l'acte de propriété, abasourdie. Même sans être experte en la matière, il lui parut authentique... Bien qu'elle eût du mal à déchiffrer les mots, elle reconnut l'écriture et la signature de son frère. A en juger par les caractères tremblés, il était sans doute très affaibli quand il avait choisi son héritier.

Elle rendit le document à Raul d'un geste lent, encore un peu étourdie. Tout l'argent dépensé, toute l'énergie consacrée aux travaux, tous les désastres récents ne serviraient à rien. Esplendor ne lui appartenait pas. Il n'avait jamais été à elle !

— Je ne sais quoi dire, monsieur, murmura-t-elle, désespérée, les yeux assombris par des ombres funestes.

Comment pouvait-elle savoir si Basilio avait été assassiné, maintenant ?

— Il me faudra quelques jours pour préparer mes bagages...

— Doña Aurora ! intervint Raul sans attendre, pressé d'éclaircir le malentendu.

Perdre cette merveilleuse jeune fille quand il venait à peine de la trouver ? S'il ne pouvait l'aimer, du moins lui offrirait-il sa protection !

— Vous n'imaginez pas que je vous chasserais de chez vous, n'est-ce pas ? Je me suis mal exprimé... Vous devez rester, bien sûr. Don Basilio était mon ami : comment pouvez-vous croire que je vous jetterais dehors ?

» Je vous en conjure, dit-il en lui prenant la main. La mort de votre frère, la plantation, le climat, mon arrivée...

Tout cela vous a accablée, votre malaise en est la preuve. Même pour un étranger comme moi, il est visible que vous êtes épuisée de fatigue et de chagrin. Ne prenez pas une décision hâtive que vous regretteriez plus tard. Vous y songerez dans quelques jours, quand vous aurez pris un peu de repos et que vous vous sentirez mieux. Vous aurez tout le temps de reconsidérer la question.

» Jusque-là, vous serez chez vous à Esplendor. Si Basilio avait su que vous étiez en route, il ne m'aurait pas légué le manoir, c'est évident. Je ne vous en ai parlé que pour vous libérer des travaux que vous avez entrepris. Je vous jure que mon intention n'était pas de vous expulser.

Aurora le dévisageait, n'en croyant pas ses yeux. S'il avait pu lire dans ses pensées ! Il se tenait devant elle — l'homme de ses rêves, l'inconnu du passé... Un seul regard, le frôlement de sa main lui faisaient battre le coeur. Elle aurait aimé poser la tête sur son épaule, sentir ses bras se refermer sur elle pour la protéger du reste du monde. Comme elle aurait voulu se décharger de ses soucis sur ses larges épau-les ! Elle se sentait si frêle tandis qu'il paraissait si fort...

Heureusement qu'il ne se doutait de rien ! Il l'aurait crue folle à lier — ce qu'elle était peut-être. Sinon pourquoi son plus cher désir serait-il de rester près de lui à Esplendor ? Elle l'avait rencontré quelques minutes auparavant et pourtant croyait le connaître depuis des siècles.

Mon coeur, mon âme...

— C'est très aimable à vous, dit-elle enfin. Un peu de repos serait appréciable en effet. Ensuite je réfléchirai mieux. Il me semble avoir pris tant de décisions, dernièrement... (Aurora se frotta les yeux d'un geste las, espérant soulager une brusque migraine et n'aspirant plus qu'à s'allonger.) Mais votre femme sera peut-être contrariée de trouver tant d'étrangers sous son toit.

Raul sourit.

— Je ne suis pas marié, Doña Aurora, dit-il, et à l'exception de ma mère, qui est restée en Espagne et de mon cousin qui habite au Texas, je suis seul au monde. Si vous partez, je n'aurai personne pour me tenir compagnie.

Aurora s'inclina. Elle ne pouvait plus refuser, ayant connu la solitude, elle aussi.

— Très bien, monsieur, murmura-t-elle. Je demeurerai à Esplendor le temps d'y voir plus clair.

— Je vous assure, monsieur, j'ai tout essayé! s'écria Ijada sur un ton hystérique devant la colère du Hollandais, paniquée à l'idée d'encourir sa vengeance. J'ai descellé une corniche de marbre pour écraser le petit garçon quand il passerait mais il en a réchappé. J'ai allumé un incendie dans la cuisine pour au bout du compte ne blesser qu'un enfant de ma propre tribu! Sangre de Cristo! Vous savez ce que les Iquitos me feraient s'ils l'apprenaient ? J'ai glissé un scorpion dans le lit de ma maîtresse. Mais Lupe, qui n'a pas les deux pieds dans le même sabot, l'a découvert en préparant le lit et l'a écrasé avec une chaussure. Je n'ai vraiment rien négligé pour qu'ils fassent leurs malles, mais en pure perte !

— Peu importe, conclut Paul Van Klaas en haussant les épaules, provisoirement calmé, j'ai vu la soeur. C'est une petite fleur fragile. Elle ne résistera pas longtemps à la jungle sauvage ! Bah... Elle abandonnera ses projets assez vite, à mon avis, et partira d'elle-même.

— Possible, acquiesça Ijada, mais... il y a du nouveau. La fille ne compte plus depuis l'arrivée d'un étranger à Esplendor. Il a en sa possession le document que vous cherchiez, monsieur, l'acte de propriété. Don Basilio lui a légué la plantation avant de mourir et envoyé ce voleur de Gilberto Huelva lui porter le papier. Voilà pourquoi je ne pouvais pas mettre la main dessus !

Le Hollandais se rembrunit mais Ijada poursuivit sans s'en apercevoir.

— La maison est sens dessus dessous depuis que ce La Aguila a tout repris en main — avec la bénédiction de la soeur ! Elle s'est alitée, surmenée par le deuil et les travaux, et lui a donné carte blanche. Il a commencé par congédier tout le monde. « Des paysans superstitieux et des Indiens qui ne veulent pas fournir une vraie journée de travail ? Ils peuvent aller voir ailleurs ! » a-t-il déclaré. Et il a embauché des brutes pour les remplacer, des mercenaires du Texas à qui la jungle ne fait pas peur — et une vieille légende indienne encore moins. Ils en ont défriché davantage en huit jours que les indigènes en un mois ! Je suis à bout d'idées. On dirait que votre plan a échoué...

Le Hollandais crispa la mâchoire. Dire qu'il était si près du but ! A quelques jours près, Esplendor aurait été à lui, il en était certain... Il explosa de rage. Il y avait un trésor enfoui dans le parc — ou du moins une carte dissimulée dans la maison, indiquant l'emplacement du butin ou la route d'El Dorado — et il le trouverait par n'importe quel moyen !

Si seulement Don Basilio lui avait vendu la plantation ! Mais non, cet imbécile avait voulu garder l'or pour lui et s'était mis à fouiller la terre. Paul n'avait pas pu s'y résigner. Il avait ordonné à Ijada d'empoisonner Basilio à petit feu pour que l'on soupçonne une fièvre tropicale. Doña Francisca vendrait sans difficulté, elle.

Malheureusement, elle avait bu un verre destiné à son mari... La dose était trop forte pour sa constitution et la jeune femme n'avait pas survécu.

Mais Paul n'avait pas perdu espoir. Le couple étant seul au monde, la plantation tomberait entre ses mains dès qu'elle serait remise en vente ! Et puis la soeur était arrivée, avec un deuxième frère... Impossible de les faire décamper. Pourtant Ijada n'avait pas ménagé ses efforts... Et maintenant cet étranger !

Paul grinça des dents, exaspéré. Il ne mettrait jamais la main sur le trésor, au train où allaient les choses...

— Ce La Aguila, est-il impressionnable ? demanda le Hollandais à Ijada.

— Pas exactement, señor, c'est même tout le contraire. Il vaut mieux être de ses amis... Il a beaucoup d'or, bien plus que la soeur et il est très puissant. C'est un brujo, j'en suis sûre, monsieur, car la maison a changé depuis qu'il est là. C'est inexplicable... Il a embauché une main-d'oeuvre différente, bien sûr mais... C'est à croire qu'Esplendor s'est réveillée d'un long sommeil de plusieurs siècles, la maison vit, monsieur. Elle l'a accepté. Elle veut qu'il reste ! Mais pourquoi, je n'en ai pas la moindre idée...

— Allons, Ijada, protesta Paul, agacé, ce ne sont que des superstitions ! C'est une maison, pas un être humain, bon Dieu ! Tu sais ce qui te reste à faire : les éliminer les uns après les autres.

Ijada devint blême et se mordit la lèvre.

— Excusez-moi, señor, mais c'est impossible.

— Et pourquoi donc ?

— Don Basilio... Sur son lit de mort, il m'a accusée de l'avoir empoisonné en présence de sa soeur, qui n'en a jamais reparlé depuis. Elle a sans doute pensé qu'il délirait de fièvre, comme je le lui ai dit. N'empêche que maintenant c'est Lupe qui prépare tous leurs repas et ils ne touchent pas à ce qui vient de moi.

— Bon Dieu ! hurla le Hollandais, hors de lui. Je trouverai donc autre chose ! Rentre, maintenant et tiens-moi au courant suivant la procédure habituelle, conclut-il sur un ton cassant.

— Vous ne voulez pas de moi ce soir, monsieur ? hasarda Ijada, honteuse de s'humilier ainsi.

Dire qu'elle le suppliait, maintenant !

— Pauvre idiote ! Tu as tout gâché. Je n'ai même pas envie de te regarder !

Il sauta à cheval et se retourna vers elle :

— Si tu veux que je t'aime, ma petite tulipe, il faut m'obéir mieux que ça.

Ijada le regarda s'éloigner, seule avec sa frustration, avant de s'enfoncer à son tour dans la jungle obscure.

CHAPTER 20

Il n'était plus question de quitter Esplendor, qu'Aurora le veuille ou non : Nicolas s'était brisé la jambe en construisant une cabane dans un arbre et ne pourrait voyager avant plusieurs semaines.

Soulagée que la blessure de son frère soit bénigne mais inquiète de côtoyer Aguila plus longtemps, la jeune fille ne savait quoi penser de cette pirouette du destin.

Aguila... Elle ne l'aimait pas, c'était certain. Après tout, elle ne le connaissait que depuis quelques jours. Mais il la hantait, il occupait toutes ses pensées.

Avait-il été son amant par le passé, comme le lui dictait son instinct ou n'était-il qu'un étranger ? Divaguait-elle sous l'empire de la folie ? Elle avait peut-être succombé à la fièvre tropicale qui avait emporté Basilio et Francisca... Mais elle ne ressentait aucun des malaises qui l'avaient accablée sur l'Amazone. Au contraire, depuis l'arrivée de cet inconnu, sa santé s'améliorait. Pourtant elle n'était pas dans son assiette...

Aguila lui inspirait un grand respect et elle admirait son efficacité. Il s'était renseigné sur Esplendor avant de venir et s'était préparé à affronter toutes les embûches. Les hommes qu'il avait amenés avec lui — des bandoleros et des comancheros, essentiellement — étaient durs à la tâche et ne craignaient pas de rester sur la plantation après la nuit tombée. En peu de temps, le domaine avait déjà pris tournure.

Tout en restant parfaitement courtois, sans jamais critiquer les initiatives d'Aurora ni rappeler qu'il était le propriétaire en titre, Aguila avait suggéré de concentrer leur énergie sur le défrichage. La maison pouvait attendre, en dehors de quelques réparations de première nécessité.

— Les travaux seront terminés plus vite si nous ne dispersons pas nos forces, señorita, lui avait-il expliqué.

Aurora n'avait pas sourcillé même si au fond, elle était vexée de le voir dominer la situation avec tant d'aisance alors qu'elle s'y était enlisée. Il connaissait son affaire, lui. Ne possédant aucune expérience, la jeune fille n'avait pu se hisser à la hauteur de la tâche malgré toute sa détermination. Mais elle apprendrait à son contact et un jour, quand elle posséderait ses propres terres, elle saurait comment les exploiter.

— Bonsoir, salua-t-elle poliment Aguila en pénétrant dans la salle à manger pour le souper.

— Doña Aurora, dit Raul en se levant pour lui tendre une chaise, comment vous sentez-vous, ce soir ? Mieux, semble-t-il. Vous paraissez reposée. Je présume que l'accident de Nicolas n'était pas sérieux.

— Non. L'os se remettra vite, je pense. Dans l'intervalle, il ne peut voyager. Je suis navrée, señor, mais nous devrons abuser de votre hospitalité plus longtemps que prévu.

— Aurora, murmura le vicomte en repoussant son assiette, puis-je vous appeler par votre prénom ? J'aimerais tant que nous soyons amis. (Elle hocha la tête et il poursuivit.) Il est temps que nous ayons une discussion sérieuse. J'ai beaucoup réfléchi à l'avenir d'Esplendor et j'ai une proposition qui, je crois, devrait satisfaire nos intérêts respectifs.

Raul s'interrompit, notant qu'il avait piqué sa curiosité comme il l'espérait.

— Don Basilio était un réfugié politique. Ne niez pas, je sais que c'est la vérité. Montoya n'était pas son vrai nom, ni le vôtre... Donc vous aussi, vous avez dû fuir l'Espagne comme votre frère.

» Mais ne vous alarmez pas. Je me moque bien de savoir qui vous avez offensé à la cour et je n'ai nulle intention de vous faire extrader par les autorités péruviennes, si c'est à cela que vous pensez. Je n'ai pas moi-même quitté ma patrie dans les meilleures circonstances... Ma tête est sans doute mise à prix et bien plus cher que la vôtre ! J'espère que vous voilà rassurée.

Il sourit, une lumière dansant dans ses yeux sombres. Qu'il serait bon de rire avec lui, songea Aurora. Il défierait la mort avec le même panache ! Réconfortée, elle reprit brusquement courage.

— Mais continuez, je vous en prie.

— Hors d'Espagne, où vous ne pouvez rentrer, vous n'avez ni amis ni parents vers qui vous tourner, n'est-ce pas?

— C'est exact. C'est pourquoi nous sommes venus au Pérou retrouver Basilio.

— Et maintenant il est mort... Il ignorait tout de vos projets, sinon, il ne vous aurait pas oubliée dans son testament. Mais voilà qu'il me lègue sa plantation, c'est-à-dire toute sa fortune...

»Aurora, je ne peux vous déposséder de ce qui vous revient de droit — ma conscience me l'interdit. Mais par ailleurs, vous ne sauriez diriger seule le domaine. N'y voyez pas une critique. Etant donné les circonstances, vous aviez pris un assez bon départ mais ce n'est pas suffisant: Esplendor doit être reconstruit de fond en comble. Et il faudra beaucoup plus d'argent que vous n'en possédez — à ma connaissance. Voici ce que je vous propose: devenez mon associée à part égale dans cette entreprise et restaurons la propriété ensemble.

Aurora resta muette de stupéfaction. Elle ouvrit la bouche pour refuser mais se ravisa...

Nicolas, Lupe et elle pourraient naturellement s'installer à Belém ou ailleurs, une fois que la jambe de son frère serait remise. Mais combien de temps s'écoulerait avant qu'Aurora ne manque de fonds ? Elle devrait alors s'adresser à ses parents...

A moins qu'elle ne trouve un emploi ? Mais elle n'avait jamais travaillé de sa vie et les quelques mois passés à Esplendor l'avaient convaincue de son incompétence. Par ailleurs, les salaires étaient très bas en Amérique du Sud — voire inexistants puisqu'on y achetait encore des esclaves ! Qui l'embaucherait dans ce cas ?

Elle ne pouvait viser qu'une place de gouvernante mais sans expérience ni référence aucune, elle n'inspirerait pas confiance. Alors que deviendraient-ils, Nicolas, Lupe et elle?

Après tout, la proposition d'Aguila était honnête. Depuis son arrivée, il s'était toujours montré d'une courtoisie irréprochable et ne lui avait jamais manqué de respect. Or que lui offrait-il ? Une chance d'assurer son avenir, en ne lui demandant que son amitié en échange. Elle serait stupide de refuser !

Elle respira profondément. Après cela, le cours de sa vie serait à jamais changé...

— Señor, déclara-t-elle d'une voix émue, j'accepte avec plaisir.

Raul se détendit et poussa un soupir de soulagement. Elle restait! Il ne l'avait pas perdue...

— Merci, mon Dieu, souffla-t-il entre ses dents, merci...

Pourtant les jours suivants, Aurora eut maintes fois l'occasion de regretter sa décision. Aguila était exaspérant : il ne se passait pas de jour sans qu'elle essuie une rebuffade de sa part. Et il ne s'en rendait même pas compte !

Se refusant à devenir un poids mort sur la plantation, Aurora tentait de participer aux opérations. Mais à chacune de ses instructions, Aguila donnait un contrordre — poliment mais sans discussion possible. La prochaine fois qu'elle l'entendrait dire « Aurora, tout irait bien plus vite si... », elle allait hurler !

Il lui causait un pénible sentiment d'inutilité, voire même d'infériorité mais à chaque fois qu'elle voulait le lui expliquer, il faisait la sourde oreille.

— Ne vous souciez de rien, Aurora, lui dit-il. Diriger un domaine est un travail d'homme, après tout. Vous avez déjà vos propres responsabilités avec la maison et votre frère.

— Mais je ne veux pas dépendre de vous ! s'écria-t-elle. Vous aviez dit que nous serions associés à part égale.

— Eh bien ? Ai-je pris une seule décision importante sans vous consulter ?

— Non... répliqua-t-elle de mauvaise grâce.

Il lui avait effectivement demandé son avis, mais sans jamais en tenir compte !

— Bon. Si vous n'avez pas d'autres questions... Les hommes attendent.

Et l'affaire était close !

Oh... fulminait Aurora, si une fois, une seule, je pouvais faire fondre cette réserve glaciale... Je ne m'attendais à rien de tel ! Aguila est mon bien-aimé, l'inconnu du passé : alors pourquoi ne s'intéresse-t-il pas à moi ? Il ne me manifeste pas la moindre affection ! Pas un geste, pas un regard, pas même un sourire qui me prouve que lui aussi, il se rappelle... Serait-il possible qu'il ignore le lien qui nous rapproche ? Cette distance qu'il maintient entre nous n'aurait alors rien de surprenant... Et si je me trompais du tout au tout ?

Quel dilemme ! Ces interrogations devenaient une véritable torture...

Raul restait indéchiffrable.

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