Extraits

Lorsque la mode avait changé et que le pain était devenu ennemi public numéro un, synonyme d'obésité et de problèmes de santé, eh bien, cela n'avait fait que renforcer sa détermination. Si l'on devait se résoudre à consommer moins de pain, raison de plus pour qu'il soit irréprochable et de la meilleure qualité possible !

Chaque soir, elle préparait plusieurs fournées, avec des variantes. Pain blanc classique pour les garçons, pas originaux pour un sou. Pain aux graines de pavot de temps en temps. Parfois au miel et au raisin, un pain grillé et avec un soupçon de beurre jaune de la région, qui était à se damner.

La journée se poursuivait , interminable . A 14 heures , les sauveteurs retrouvèrent le radeau de survie-sorte de canot recouvert d'une tente-du Lark avec à son bord les cinq hommes de l'équipage . Ils dérivaient en direction de Devon . Le Lark avait coulé sans laisser de trace ; ils en étaient sortis juste à temps .

Elle retourna face à la fenêtre et , aveuglée , dut attendre que ses yeux s'habituent à l’obscurité . Puis elle inspira profondément et ouvrit la fenêtre . Le bruit résonna , assourdissant ? dans le silence de la nuit , mais Polly n'y prêta pas garde . Fébrile à force d'angoisse , elle se pencha pour mieux voir .

-Ohé ! , cria-t-elle . Ohé !

La silhouette fit volte-face , manifestement surprise . Et à cet instant précis , quand la lumière du phare arriva sue elle , Polly , horrifiée vit la forme glisser , basculer et tomber , sa jupe gonflée par le vent , ses longs cheveux ruisselant derrière elle .

Sur le chemin du retour , Polly ne cessa de repenser à cette rencontre . Cet homme était plutôt étrange . Pas étonnant que les pêcheurs l'aient baptisé " l 'original " . Il fallait l'être , en effet , pour venir vivre ici , au milieu de nul part . Et comment arrivait-il à subvenir à ses besoins , s'il distribuait gratuitement ses pots de miel à tour de bras , comme ça ? Pourquoi s'était-il montré si accueillant,pour ensuite quasiment la jeter dehors quand elle avait commencé à lui poser des questions un peu trop personnelles ?

En fait , la femme avait toutes les caractéristiques d'un petit pain rond . Derrière son tablier saupoudré de farine , elle formait un cercle parfait . Son visage lui aussi était rond , sa charlotte s'enfonçait dans le gras de la peau de son crâne et ses joues molles pendaient . Ses cheveux , très long , méchés de gris , étaient retenus en un petit chignon circulaire ? En fait , on aurait dit une énorme brioche . Tout de suite , Polly fut séduite .

Polly quitta Plymouth et ses embouteillages , prit la route nationale à travers les collines , le soleil se reflétant dans son rétroviseur . Elle tenta alors de se motiver . L ' avenir lui appartenait .

A ce propos d’ailleurs , elle suspectait deux de ses copines de projeter de l'utiliser à l'occasion comme nounou potentielle , une idée qui lui était absolument insupportable . Elle s'imagina avec horreur être obligée de marcher en permanence sur la pointe des pieds , tout ça pour ne pas abuser de l'hospitalité d'autrui , telle une tatie célibataire qui porterait la casquette de bonne à tout faire, sans solde bien sûr .

"Une chose qui lui avait paru si précieuse seulement quelques minutes auparavant devint, à la faveur de son extraordinaire résurrection, essentielle à partager"

- Le faisceau lumineux ne va pas te manquer ?

Elle le dévisagea, puis s'intéressa de nouveau à la mer qui clapotait, semée de reflets dorés.

- C'est toi, ma lumière, répondit-elle doucement.

Il la serra contre lui, et s'enfouit le visage dans son abondante chevelure.

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