Extraits

Les êtres imaginaires savent écouter comme personne.

Comment se faisait-il qu’elle n’ait pas encore atteint la Piste des Appalaches ? Elle aurait dû, depuis le temps. Elle n’avait pas parcouru plus de cinquante ou soixante pas sur le sentier qui menait à Kezar Notch, soixante-dix à tout casser. Se pouvait-il que la distance entre les deux branches du Y soit aussi considérable ? Non, ça semblait impossible

Accroche-toi à mon bras maintenant.

Serre fort.

Nous allons entrer dans bien des lieux sombres mais je crois connaître ne chemin.

Maintenant, écoute.

Elle s’approcha des buissons, en se disant qu’elle pourrait peut-être en cueillir quelques-unes, histoire de se remonter un peu le moral, mais en fin de compte elle y renonça. Elle n’avait pas faim, et dans l’état où elle était il en aurait fallu plus que ça pour lui remonter le moral.

Tandis qu’elle se tenait à un pas de l’arbre abattu, agitant mollement les mains pour chasser les moucherons, le regard de Trisha s’était arrêté sur un grand pin qui se dressait à une quarantaine de mètres de là. À quarante mètres au nord, si ses calculs étaient justes.

 Je ne suis pas p…, voulut protester Trisha, mais comme elle regardait derrière elle, elle buta sur un rocher qui dépassait du sol couvert de débris humides, trébucha, décrivit un moulinet désespéré de son bras libre pour essayer de ne pas perdre l’équilibre, et s’affala lourdement sur le flanc. Une onde de douleur subite lui vrilla le bas du dos, à l’endroit où le moignon de branche l’avait cognée

Elle fit demi-tour, et au moment où elle s’apprêtait à gravir la pente, une idée lui vint – la plus mauvaise idée de sa vie – et elle fit de nouveau volte-face. L’idée était de continuer tout droit au lieu de regagner le sentier. L’embranchement était en forme de Y. En parcourant l’espace qui séparait les deux branches, elle se retrouverait forcément sur la piste principale.

Pas étonnant qu’il devienne chèvre, vu comme elle lui parle, songea Trisha, puis elle se dit avec acrimonie : Ils ne s’aperçoivent même pas de ma présence. Je pourrais aussi bien être invisible. Après l’Homme invisible, la Petite Fille invisible. Si j’aurais su, j’aurais pas venu. Un moustique lui vrillait l’oreille de sa plainte aiguë. Agacée, elle le chassa d’une claque

Trisha n'avait nullement l'intention d'accélérer l'allure, mais elle s'aperçut soudain qu'elle courait à toutes jambes. Quand elle atteignit les buissons, elle pila brusquement, à bout de souffle, les joues marbrées de minces lignes rouges. Elle tendit en avant ses mains crasseuses, puis les rétracta, car au fond, elle craignait encore que si elle essayait de toucher les baies ses doigts passaient à travers. Les buissons se mettraient à vaciller comme dans l'un de ces films truffés de trucages numérique que Pete aimait tant, et elle les verrait tels qu'ils étaient en réalité : rien de plus qu'un autre enchevêtrement de ronces brunâtres, avides de s'abreuver de son sang, ce sang qui n'allait pas tarder à refroidir et à se figer dans ses veines.

-Non ! protesta t-elle en tendant de nouveau les mains vers les baies.

Son scepticisme persista encore un instant puis...ô merveille ! Les baies de gaulthérie étaient bien là, rondes et douces au toucher.

- Ça me fait suer, dit Pete d'une voix plaintive.

C'était la première véritable parole qu'il prononçait depuis qu'ils étaient descendus de la voiture. Trisha se mit à prier avec ferveur : "Je vous en supplie, mon Dieu, envoyez-nous quelque chose. Un chevreuil, un dinosaure, un OVNI. Si Vous ne le faites pas, ils vont recommencer leur cirque.

Dieu ne leur envoya que quelques moustiques venus en éclaireurs qui n'allaient pas tarder à prévenir le gros de la troupe qu'il y avait de la viande fraîche dans le coin.