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J’ai toujours eu une relation très maternelle avec mes bouquins, je leur pardonne tout. Ils peuvent m’arracher l’épiderme s’ils en ont envie, ce n’est vraiment pas grand-chose. Ils peuvent me faire ce qui leurs chante, même me balader aux confins de la folie de temps à autre. Ils m’ont bien fait foirer ma vie jusqu’à présent en ayant toujours à cœur de me faire souffrir. Ils m’ont empêché de voir ma fille grandir, même si c’est plutôt sa mère que mes livres. Elle s’est barrée avec un australien riche aussi riche qu’un émir du Qatar, c’est bien à cause du peu de fric qu’ils me rapportent qu’elle m’a planté un soir de juin. Elle m’a envoyé aller me faire foutre comme on balance une canette vide sur une poubelle d’autoroute, sans vraiment se soucier de savoir si quelqu’un viendra un jour la ramasser, sans remords, sans questions et sans réponses. Ma fille doit avoir sept ans maintenant, et elle croit sans doute que son père, c’est ce dresseur de kangourous, qui habite à l’autre bout du monde, entre une autoroute déserte et une ville sortie tout droit de l’enfer.
Afficher en entierParmi eux, il y'en avait heureusement un qui sortait du lot, Eddy Cokran, un vrai poème à lui tout seul.
Un peu étrange certes, mais tellement surréaliste. Il avait dans son catalogue quelques auteurs intéressant, mais je n'avais pas encore réussi à imposer un de ceux-là à mon comité de lecture Parisien pour pouvoir enfin m’occuper d’un livre et d’un auteur tant soit peu intéressant, si ce n’est pour une histoire d’exemplaires vendus et de retirage en catastrophe. Je lui rendais donc visite très régulièrement. Il me faisait rire, presque aux éclats, et c'était finalement une qualité assez rare dans les sphères que je fréquentais à cette époque. Certes, il ne fallait tout de même pas trop s'attarder à ces fêtes qui étaient malgré tout très courues. Elles finissaient souvent en orgies thématiques, et bien que ce soit un secret de polichinelle dans le milieu huppé de Seattle, les libertins effarouchés de la ville faisaient tout pour y être conviés. Une légende urbaine circulait à son propos ; il paraît qu'il continuait inlassablement à publier un auteur qui lui faisait régulièrement perdre de l'argent, comme un talisman, une espèce de martingale pour porter bonheur à son affaire. Venant de n'importe quel zigoto que je fréquentais à l'époque, j'aurais trouvé ça complètement improbable, trop épique, mais venant de lui, oui, après tout, pourquoi pas ?
Afficher en entierJ’ai toujours su reconnaitre l’amour quand il se présente, j’ai un don pour ça. Matériellement, c’est vrai qu’il ne me sert pas à grand chose, mais aussi rare soit-il, quand il est là, il dégage tellement de beauté intrinsèque que tous les poètes du monde devraient refermer leurs livres et simplement en profiter. Je ne m’exprime pas au sujet de l’amour banal et anodin qui conclut la grande majorité des mariages, mais de l’amour brut, de la roche en fusion qui vous colle à un visage, celui qui vous fait faire n’importe quoi, n’importe quand, parce que vous n’avez pas d’autre choix que d’obéir à l’attraction humaine. J’ai deux amis qui en sont la parfaite illustration, Dudley Calowain et Bérangère Dumont, deux astéroïdes qui en ont payé le prix fort en se télescopant. J’étais au premier rang lorsque cela s’est produit, on ne pouvait faire mieux placé, c’était chez moi, lors d’une réception. Je les revois encore, sur la terrasse, ils se parlaient en face à face, passant inconsciemment en revue tous les gestes du langage corporel synonyme du désir. Ils sont repartis ensemble de la soirée.
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