Extraits

"Je n'ai que cinquante ans. Si j'arrête de fumer et de boire, ou plutôt de boire et de fumer, je pourrai encore écrire un livre. Des livres, non, mais un seul livre, peut-être. Je suis convaincu, Lucas, que tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace."

« - Je sais de quoi vous parlez. J’ai vu des choses semblables, de mes propres yeux, dans cette ville même.

- Vous oublierez. La vie est ainsi faite. Tout s’efface avec le temps. Les souvenirs s’estompent, la douleur diminue. Je me souviens de ma femme comme on se souvient d’un oiseau, d’une fleur. Elle était le miracle de la vie dans un monde où tout paraissait léger, facile et beau. »

« - L’été est effrayant. C’est en été que la mort est le plus proche. Tout se dessèche, s’étouffe, s’immobilise. Il y a déjà quatre ans qu’ils ont tué Thomas. Au mois d’août, très tôt le matin, à l’aube. Ils l’ont pendu. Ce qui est inquiétant, c’est qu’ils recommencent chaque été. A l’aube, quand vous rentrez chez vous, je vais à la fenêtre et je les vois. Ils recommencent, pourtant on ne peut pas tuer la même personne plusieurs fois.

Lucas embrasse Clara dans la nuque :

- Qu’avez-vous, Clara ? Qu’avez-vous aujourd’hui ?

- Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre. Une lettre officielle. Elle est là, sur mon bureau, vous pouvez la lire. Elle m’annonce la réhabilitation de Thomas, son innocence. Je n’ai jamais douté de son innocence. Ils m’écrivent : « Votre mari était innocent, nous l’avons tué par erreur. Nous avons tué plusieurs personnes innocentes par erreur, mais à présent, tout rentre dans l’ordre, nous nous excusons et nous promettons que des erreurs semblables ne se produiront plus. » Ils assassinent et ils réhabilitent. Ils s’excusent, mais Thomas est mort ! Peuvent-ils le ressusciter ? Peuvent-ils effacer cette nuit où mes cheveux sont devenus blancs, où je suis devenue folle ? »

« - C’est quoi la prison ?

- C’est une grande maison avec des barreaux aux fenêtres. On y enferme les gens.

- Pourquoi ?

- Pour toutes sortes de raisons. On prétend qu’ils sont dangereux. Mon père à moi a aussi été enfermé.

L’enfant lève ses grands yeux noirs sur Lucas :

- Toi aussi on pourrait t’enfermer ?

- Oui, moi aussi.

L’enfant renifle, son petit menton tremble :

- Et moi ?

Lucas le prend sur ses genoux, il l’embrasse :

- Non, pas toi. On n’enferme pas les enfants.

- Mais quand je serai grand ?

Lucas dit :

- D’ici là, les choses auront changé et plus personne ne sera enfermé.

L’enfant se tait un moment, puis demande :

- Ceux qui sont enfermés, ils ne pourront jamais sortir de prison !

Lucas dit :

- Un jour, ils sortiront.

- Le père de Yasmine aussi ?

- Oui, bien sûr.

- Et elle ne pleurera plus ?

- Non, elle ne pleurera plus.

- Ton père à toi, il sortira aussi ?

- Il est déjà sorti.

- Où est-il ?

- Il est mort. Il a eu un accident.

- S’il n’était pas sorti, il n’aurait pas eu d’accident. »

« - Comment faire maintenant ?

- Comme avant. Il faut continuer à se lever le matin, à se coucher le soir, et faire ce qu’il faut pour vivre.

- Ce sera long.

- Peut-être toute une vie. »

Mais je vois que ses ongles ont été arrachés. Il a fait de la prison. (p.9).

--Tu t’es occupé de moi pendant des années comme si tu étais mon fils. J’aimerais te remercier. Mais comment remercier tant d’amour et tant de bonté?

Lucas dit : ne me remerciez pas. Il n’y a aucun amour et aucune bonté en moi.

Et quand tu auras trop de peine, trop de chagrin, et si tu ne veux en parler à personne, écris-le. Ça t'aidera. (p.133)

"Parce que tu es grand et beau, et parce que je croyais que Yasmine t’aimait. Mais si elle partie, c’est qu’elle ne t’aimait pas, toi non plus. J’espère que tu es aussi malheureux que moi."

- Je serai peut-être ton fils plus tard. (p.91).