Extraits

On a dû accuser ma mère de collaboration horizontale. Je me raccroche à une collaboration sentimentale. Des dizaines de milliers de femmes qui ont eu des enfants avec des Allemands ont été tondues. Publiquement. Trimballées. Cortège de la honte, ceux qui les insultaient, leur crachaient dessus, leur arrachaient leurs vêtements. Ils hurlaient ceux-là même qui s’étaient tus quand on déportait leurs voisins. Proies faciles, les femmes n’en finissent jamais de payer les conflits initiés par les hommes.

Trois options pour ma mère. Jeune allemande accouplée à un homme sans identité lors de ces fameuses soirées. Étrangère engrossée de gré ou de force par un SS, on lui promettait un accouchement en toute discrétion ; une question de vie ou de mort. Ou femme de SS tombée enceinte de son amant ; on garantissait la même discrétion absolue.

La haine s'infiltre dans toutes les démocraties. Elles sont aussi fragiles qu'hier. Les causes sont semblables. La race refait surface. Avec sa sale gueule qui prétend que c'est l'autre qui a un sale faciès. Ca peut recommencer. Ca recommence. Ça a recommencé. En pire: pendant la Seconde guerre mondiale, les gens avaient perdu la tête. Aujourd’hui ils ont perdu le cœur.

L'amour est pris pour une faiblesse, la haine pour une opinion.

La seule race que les SS aient créée est la race des orphelins.

Être considérée comme la fille d'Hitler, c'est comme avoir été violée par un impuissant. Un viol sans traces. Un viol par procuration puisque Hitler voulait tout, sauf se reproduire. Un viol commis non par un de ses hommes de main, mais par un de ses hommes de sexe. Un SexeS. Un homme qu'il rêve d'être. Sur lequel il a droit de vie ou de mort. La vie dont je vais résulter. La mort vers laquelle il va le renvoyer. En évitant d'avoir un enfant qui révélerait ses tares, Hitler se multiplie à l'infinie via ses régiments d'aryens triés sur le volet qui occulteront la supercherie.

Avec le Lebensborn programm, Hitler projetait de tirer sa puissance de son impuissance. Je suis née de cette inversion.

Salir. C’était aussi l’idée des tatouages. Passer d’une identité propre à une entité sale. C’était sale pour les juifs, ce tatouage. Très sale. Parce qu’au chapitre dix-neuf du livre du Lévitique, la Bible interdit le tatouage. La Torah proscrit toute modification irréversible du corps, toute altération de l’œuvre de Dieu. Les nazis se prenaient pour Dieu, et nous étions leur création.

Les représentants, tout d’abord, ces grands lecteurs de l’ombre, ces passionnés de littérature, qui sillonnent les routes pour qu’on puisse encore et toujours toucher cet objet inouï qu’est un livre, se l’offrir, l’offrir, le humer, le glisser dans son sac, l’inviter dans son lit...

Plus un dirigeant raconte n’importe quoi, plus il est cru.

J'ai longtemps rêvé que l'histoire de ma naissance exhibe ses entrailles. Quelle que soit l'odeur qui en surgisse. La pire des puanteurs, c'est le silence. " Je m'appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal.Je m'appelle Hildegard Müller. En fait, je crois que je ne m'appelle pas.J'ai soixante-seize ans. ..