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Et maintenant, elle devait négocier une nouvelle entrée. Demain. Après une journée passée au téléphone avec des spécialistes de l’intimidation en milieu scolaire, elle ferma son carnet. Et partit comme un chat, à son habitude, sans dire au revoir à personne. Marie avait assez peu d’amis au journal. En fait, elle n’avait pas d’amis dans la vie, point. Elle vivait seule, avec son chien, un labrador d’une riche couleur chocolatée. Elle l’avait appelé Cacao. — C’est vrai, il est brun comme du caca, avaient rigolé ses petits neveux en visite. Et ils étaient partis courir avec le tas de merde sur quatre pattes. Ils l’adoraient. Elle aussi
Afficher en entierVous êtes venu en politique avec beaucoup d’espoir : vous vouliez réformer le système de santé. Avez-vous l’impression d’avoir été une victime des compressions budgétaires ? Pendant la demi-heure qui suivit, le ministre Yvan Juteau ouvrit les vannes. Il vida son sac. Il se vida le cœur. Ce fut d’ailleurs le titre du papier, le lendemain. « Le ministre Juteau se vide le cœur. » Et jamais le politicien ne lui avait pardonné
Afficher en entierLe ministre ne put masquer un mouvement de surprise. Il était décontenancé. Marie attendit. Elle ne le lâcha pas des yeux. — Nous sommes off-the-record ? — Si vous voulez, dit la journaliste. — Mon père était un gros fumeur. Il est décédé du cancer du poumon. J’avais quatorze ans, dit brièvement le ministre. — Et vous êtes demeuré avec votre mère ? Le ministre serra les lèvres. — Sans le salaire de mon père, nous avons eu beaucoup de difficulté à joindre les deux bouts. Ma mère a eu deux boulots toute sa vie. Elle a pris des chambreurs pour que mes frères et moi puissions faire des études
Afficher en entierSaisie d’un haut-le-cœur, elle avait tout jeté. Les légumes, la planche à découper et le couteau. Le lendemain, elle avait annoncé à son patron qu’elle ne serait plus reporter aux faits divers. Elle avait choisi le secteur qui lui semblait le plus éloigné des crimes crapuleux : la politique. Elle était allée trois ans à Québec. Elle avait adoré son expérience politique, même si elle était assez mauvaise dans le brouhaha des points de presse. En entrevue individuelle, cependant, elle était devenue une championne de la confidence
Afficher en entierUn mardi matin, il faisait gris, elle était dans la salle d’audience pour entendre le témoignage du pathologiste qui avait examiné le corps du garçon. David, cinq ans. Le pathologiste avait décrit avec précision les blessures infligées à l’enfant avec un couteau de cuisine. Certaines plaies étaient si larges qu’elles laissaient voir les viscères. L’enfant était mort dans son lit. Mais des « plaies de défense », avait témoigné le pathologiste, montraient que David était éveillé lors de l’agression
Afficher en entierMarie avait lamentablement échoué à toutes les épreuves télévisuelles. Elle bafouillait en direct, le texte de ses topos semblait toujours trop lu, elle n’avait pas la bonne coupe de cheveux, ni les bons vêtements. Sa seule force, c’était l’entrevue. À la fin de la session, la grande dame l’avait fait venir dans son bureau. Une veste pied-de-poule négligemment jetée sur ses épaules, elle lui avait parlé, de cette voix chaude où chaque mot se détachait nettement
Afficher en entierL’histoire de Judith Dubois avait occupé le tiers de la première page de La Nouvelle le lendemain. Les photos de Gros Chef avaient parfaitement rendu l’ampleur de la déchéance des lieux. Et l’histoire de la vieille dame, un mélange d’exploitation, de corruption municipale, de solitude et de vieillesse, était tragique. Ce jour-là, Marie Dumais avait gagné un très gros point rouge sur le tableau des scoops. Le gros-patron-à-barbichette ne l’avait jamais oublié. À la fin du stage, elle avait été engagée
Afficher en entierGros Chef était un photographe à l’historique tumultueux. Son passé d’ancien bum lui avait inculqué un calme qui ne le quittait dans aucune situation. Marie, elle, était tout sauf calme. Dans l’auto, elle était comme une bombe à la veille d’exploser. Ils débarquèrent ensemble devant la maison cachée par une haie de cèdres. Elle frappa à la porte. Pas de réponse. Elle frappa plus fort. Toujours rien
Afficher en entierIl y a treize ans, quand Marie Dumais était entrée comme stagiaire à La Nouvelle, elle n’avait pas du tout le profil de la journaliste, hormis, peut-être, une grande facilité à écrire. Elle n’était pas un jeune loup trilingue et assoiffé de scoops, le modèle préféré des patrons. Elle avait sagement couvert, vite et bien, tout ce à quoi on l’avait affectée. Elle s’était penchée sur le creux historique du dollar canadien, l’inauguration de la promenade des premiers ministres à Québec par Lucien Bouchard. Mais le tableau où les tuteurs de stages marquaient les primeurs d’un point rouge était resté, dans son cas, désespérément vierge. Jusqu’à ce 12 juillet 1997. Elle se souvenait très bien de la date
Afficher en entierMarie referma son journal avec regret, jetant un dernier coup d’œil à la photo de la rue Ontario. En quelques clics, elle trouva le nom de l’école de Sarah Michaud. Puis elle contempla son téléphone avec inquiétude. Le regard qu’on lancerait à une bête, petite mais vraiment méchante. Un piranha. Un scorpion. Un chihuahua passé aux rayons gamma.
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