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Ce fut le plus gros tremblement de terre jamais recensé, comme si, face à la brutalité des machines mêlée à l'imposture et au vol, la Terre avait subitement exprimé sa colère. Dans un spasme géant, elle avait craché son dégoût pour l'homme, pour sa bêtise et son égoïsme.
Afficher en entierElle découvrit son ami assis contre le mur de la terrasse.
- Je l'ai toujours su, dit-il sans lever les yeux vers elle.
Sa voix avait une tonalité bizarre, mate et sans relief.
- J'ai vécu à côté de mes parents comme si j'étais un étranger. Nous n'avions rien à faire ensemble. Cette maladie dense, je la connais. Elle empêche d'avoir des sentiments normaux. Elle empêche d'exprimer l'amour et l'attachement. Il y a le monde des autres. Et le sien qu'on sait différent, et qui reste obscur parce que rien ni personne ne vient jamais lui donner de réalité.
Les paroles de Quirin ressemblaient à une marée froide et butée.
- Je me suis toujours attendu à ce que mes parents disent un jour, "Tu n'es pas le nôtre, il faut partir maintenant". Ils étaient fiers de moi, c'est ce qu'ils affirmaient. Mais leurs yeux me fuyaient. Je n'arrivais pas à savoir ce qui était vrai ou faux chez eux parce que je ne savais pas lire les émotions sur leur visage. C'est ta mère qui me l'a appris. Son visage est comme un livre. Elle m'a appris le sens des sourires. Elle jouait avec moi l'étonnement, la joie, la peur, le dégoût. Mais à part elle ... Dehors ... Dans la vraie vie... Personne ne peut comprendre ma manière d'entendre le monde, de le voir, de le sentir.
- Brun et Paule se sont compris pourtant.
- Peut-être. Peut-être qu'il y a eu un miracle.
- C'est toujours un miracle de s'aimer. Des milliers d'individus et seulement deux qui se reconnaissent.
- Des statistiques.. grommela Quirin.
- Elles ne veulent rien dire ici. Le Haut-Pays n'aime pas les calculs. Il aime les arbres, les chèvres, le vent et il se fiche de les aligner en colonnes de chiffres. Moi, je te comprends. Je te comprends très bien.
Elle posa la main sur son épaule, il sentit sa chaleur irradier.
- On ne peut plus se quitter maintenant. On a beaucoup de chance, murmura Ness. Tu as des choses à apprendre et moi aussi. Qui nous sommes... Ce que nous sommes en train d'inventer...
Il posa sa joue sur la main de Ness et ferma les yeux. Il n'était peut-être qu'une grande coquille vide, pourtant quelque chose de doux avait été lancé par Ness et descendait tout au fond de lui.
pp 339-340
Afficher en entierNess et Zéno savouraient le silence habité de la forêt quand ils perçurent le tintinnabulement d'une clochette. Le bruit se rapprocha puis une chèvre déboucha entre les arbres. Elle se dirigea aussitôt vers Ness et la dévisagea, curieuse. Ness, qui n'avait jamais vu une telle bête de si près, fut vivement touchée par son regard intelligent, confiant et tendre. Devant la tranquillité de l'animal, elle pensa que les humains ressemblaient à des fous bien trop agités. Tout ce qu'ils s'aévertuaient à construire brillait par sa complexité détraquée. Au lieu de rendre le monde plus habitable, les humains utilisaient leur intelligence pour mettre en place une domination subtile ; pour échafauder des lois alambiquées et injustes ; pour alimenter une administration anonyme derrière laquelle quelques privilégiés pouvaient cacher leurs méfaits. Toute cette intelligence gaspillée, quelle crève-cœur... La matière grise aurait pu servir à résoudre les problèmes, à rééquilibrer le monde, à l'embellir.
pp 334-335
Afficher en entierUne combattante, voilà ce qu'elle était devenue. Il ne fallait pas avoir peur du conflit. Le conflit vous mettait en mouvement, vous forçait à penser, à refuser, à affirmer ce qui avait du sens.
Quirin regarda Ness, ses grands yeux prenaient toute la place dans son beau visage fatigué. Il ne savait pas où cette fille l'emmènerait, mais ce qu'il savait, c'est qu'il voulait la suivre jusqu'au bout.
p318
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