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Le 21 juin 1938.
— Madame Kermadec, il vaudrait mieux que vous attendiez à l’intérieur.
L’employée de la maison Lanvin leva un regard soucieux en direction du ciel. De longues volutes coléreuses bouillonnaient au-dessus des toits parisiens, prêtes à crever et lâcher des tombereaux de pluie. Les rafales de vent charriaient des débris de toute nature. Les passants prenaient déjà la fuite en plaquant leur chapeau sur leur tête et en ramenant les plis de leur manteau autour d’eux.
Adélaïde examina d’un air dépité ses mains chargées de petits sacs ainsi que Pauline, sa fille, et Nathalie de Tresnel, l’amie de celle-ci. Les jeunes filles s’étaient encombrées des paquets les plus volumineux. Dernier coup d’œil hésitant vers la rue du Faubourg-Saint-Honoré, par-delà la vitrine drapée d’épais rideaux.
— Mon chauffeur n’est pas loin. Il s’est garé à la jonction avec la rue Royale. Nous avons le temps de le rejoindre avant que l’orage n’éclate, décida-t-elle.
Les trois femmes sortirent, manquant de se faire bousculer par un jeune livreur qui s’engouffra dans la boutique Lanvin, la bouche grande ouverte.
— Ça castagne dur vers Marigny ! Les Rouges sont tombés sur des Macaronis remontés comme des coucous. La flicaille charge…
L’employée qui avait tenté de retenir Adélaïde Kermadec et les deux jeunes filles s’empressa de barricader la porte derrière le garçon. Qu’elles se débrouillent !
Il n’y avait pas que de l’orage dans l’air. Le vent de la fronde, celui-là même qui annonce les pires tempêtes, s’était mis à souffler depuis quelque temps. Quel pays occidental ne se déchirait pas de l’intérieur tout en essayant de maintenir l’illusion que sauver la paix était encore possible ? En France, à l’approche de l’embrasement généralisé de l’Europe, les acquis du Front populaire tombaient comme des mouches et les manifestations s’enchaînaient sans interruption depuis plusieurs semaines.
L’Union syndicale de la région parisienne qui réunissait de vieux travailleurs et des pensionnés avait investi les abords de l’Élysée pour protester contre l’augmentation du prix du pain, du vin et du charbon. Des communistes qui défilaient de façon quasi permanente entre l’Arc de Triomphe et la Madeleine au nom de l’Espagne républicaine les avaient rejoints dans un esprit de fraternisation.
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