La saga des MacEgan, tome 4 : La femme du guerrier

Chapitre 1

Irlande, 1175.

— Aileen ! Venez voir ! J'ai trouvé un mort !

En proie à une vive excitation, le jeune Lorcan était entré en trombe dans la chaumière. A présent, il se tenait sur le seuil de la porte, se balançant d'un pied sur l'autre, comme pour signifier son impatience. Aileen posa sur une planche les têtes d'ail ramassées le matin même et se leva, d'un geste machinal.

Lorsqu'on fait métier de guérir les gens, on n'est pas enclin à admettre qu'ils n'ont plus besoin de vous.

— Un mort? Tu es certain qu'il est bien mort?

— Il est là le nez par terre, sans bouger, avec du sang partout La description faisait prévoir le pire, en effet. Mais on ne sait jamais. Aileen tenta de combattre l'excitation qui précédait toujours la confrontation avec un patient Si Lorcan se trompait, elle aurait le plaisir de se rendre utile.

— Où l'as-tu trouvé ?

— Je vais vous montrer, répondit-il dans un premier élan. A condition de ne pas avoir d'ennuis, reprit-il après un instant de réflexion. De toute façon, il n'y a plus rien à faire, puisqu'il est mort.

— Ne t'en fais pas, Lorcan. Tu as bien fait de venir me chercher.

La voix de sa conscience lui rappela que le gamin prenait un risque, au contraire, en lui donnant l'occasion d'exercer ses talents. Chef incontesté du clan, Seamus O'Duinne ne manquerait pas de la punir si jamais il apprenait qu'elle avait répondu à cet appel. Pour son malheur, elle n'avait plus le droit de soigner les gens de la tribu.

Mais l'heure n'était pas à déplorer cette interdiction. Entre la crainte de commettre une infraction à la loi et la volonté de sauver une vie, le choix était vite fait !

Lorcan fit quelques pas de plus dans la chaumière, curieux de voir ce qu'elle mettait dans son panier : des linges propres, de la bourrache, de l'huile et un petit flacon de vin. Dès qu'elle lui eut fait signe qu'elle était prête, il la précéda en courant à toutes jambes vers les pâturages du Nord, qui s'étendaient au loin.

Aileen ne risquait pas de le perdre de vue. Elle le suivit en marchant d'un pas vif.

Des paysans travaillaient dans les champs. L'un d'eux se redressa pour la regarder passer, appuyé sur sa bêche. Pour éviter son regard haineux, Aileen tourna la tête.

Que lui importait le jugement de cet ignorant ? En conscience, elle n'avait rien fait de mal. Elle ressentait pourtant comme une humiliation l'injustice que lui faisaient les gens du clan. Ils la rendaient cruellement responsable de la malchance qui l'avait poursuivie.

La rosée du matin trempait le bas de sa robe. Lorcan se retournait fréquemment vers elle pour vérifier qu'elle le suivait bien. De loin, il tendait le bras vers le flanc de la colline le plus exposé au vent.

L'herbe d'été, très haute en cet endroit, ondulait sous la brise. C'est là qu'elle le vit. L'homme était tombé la tête la première et son corps avait dessiné une sorte de sillon très net dans l'herbe. On ne l'avait pas traîné sur le sol. Sans doute était-il tombé d'un cheval. Du sang souillait la verdure écrasée.

Aileen lui pressa l'épaule... et il émit un faible gémissement. « Il vit encore !

songea-t-elle le cœur battant. Que tous les saints du Paradis et tous les dieux celtes en soient remerciés ! » Grâce à ce coup du sort, elle, la guérisseuse réprouvée, avait enfin l'occasion de restaurer sa réputation injustement ternie.

Elle ne laisserait pas passer la chance qui lui était offerte.

— Va vite chercher Riordan, dit-elle à Lorcan. Il faut qu'il m'aide à déplacer ce corps. Dis-lui d'amener un cheval.

L'inconnu survivrait à ses blessures, décida-t-elle, résolue à le sauver. Des sceptiques mettaient sa compétence en doute? A leur guise ! Elle le soignerait si bien qu'elle s'en ferait gloire !

Lorcan était parti en courant. Aileen s'agenouilla près de son protégé et, lentement, lui fit tourner la tête pour qu'il respire plus facilement.

Progressivement, son profil lui apparut. Soudain, le cœur d'Aileen cessa de battre alors qu'elle poussait une exclamation de surprise. Malgré les multiples contusions qui le déformaient, elle reconnaissait ce visage. Elle l'aurait reconnu entre mille ! Connor MacEgan. Tant d'années s'étaient écoulées. Jamais elle n'avait pensé le revoir un jour.