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** Extrait offert par Michelle Willingham **

Chapitre 1

Irlande — 1180

Le vent d’automne qui transperçait sa cape aurait dû inciter Trahern MacEgan à trouver un abri. Mais il ne sentait pas la froide morsure de la bise. Depuis le début de l’été, il était devenu insensible à toute chose et ses émotions étaient aussi glacées que l’air ambiant.

Seul un violent désir de vengeance l’habitait et il ne vivait plus que pour retrouver la trace des hommes qui avaient tué Ciara. Quittant une fois de plus sa maison et sa famille, il retournait dans le sud-ouest de l’Irlande, à Glen Omright, berceau du clan O’Reilly.

Ses frères ignoraient son intention de traquer les auteurs du raid au cours duquel sa fiancée avait trouvé la mort. Ils le croyaient de nouveau sur les routes pour aller chanter dans les villages les histoires des héros des temps anciens.

Mais cette fois, il avait insisté pour partir seul. Ses frères avaient à veiller sur leur famille et leurs biens. Il n’était pas question de leur demander de se mettre en danger.

La région était plus accidentée et, ici et là, des sommets d’un vert intense se détachaient dans la brume. Sa jument, les naseaux fumants, avançait avec ardeur sur la route étroite qui sinuait dans la vallée. Trahern aimait sa solitude, car il avait le cœur blessé.

Au début de l’été, le frère de Ciara, Aron, avait envoyé un messager pour informer le chef de clan que son sept1 venait de subir un raid viking. Faite prisonnière, Ciara avait perdu la vie en tentant de s’échapper.

Cette tragédie avait tenu Trahern éloigné de Glen Omright pendant des semaines. Il ne voulait pas voir la tombe de Ciara ni entendre les condoléances de ses amis. Et plus que tout, il cherchait l’oubli.

Mais le temps n’avait pu apaiser sa douleur. Bien au contraire, il n’avait fait que l’exacerber. Un terrible sentiment de culpabilité avait progressivement envahi Trahern, faisant de lui l’ombre de celui qu’il avait été. Il n’aurait jamais dû quitter sa fiancée.

À ce souvenir, un flot de haine le submergea, le suffoquant presque. Il serra les poings. La peine avait été remplacée par la fureur. Il trouverait les coupables et leur ferait subir le même sort qu’ils avaient infligé à la douce et frêle jeune fille qu’il aimait.

* * *

Quand le soleil atteignit la ligne d’horizon, Trahern arrêta son cheval qu’il envoya paître d’une claque sur l’arrière-train. Puis, après avoir fait partir un feu encerclé de pierres, il jeta à terre le lourd paquet de sa tente qu’il entreprit de déballer. Il aurait pu arriver à Glen Omright avant que la nuit soit totalement tombée mais il préférait passer la soirée dans la solitude et le recueillement.

Quand son campement fut installé, Trahern, allongé sur sa cape, se restaura, le regard perdu dans la contemplation du feu dont les flammes orange dansaient sur le ciel sombre. Demain, il atteindrait le cashel2 et se lancerait à la recherche des coupables. Il mangeait tout en écoutant les bruits de la nuit et perçut tout à coup un léger bruissement dans les fourrés. Bah ! Sans doute un animal qui regagnait son terrier. Par précaution, il s’empara de son couteau, toujours glissé dans sa botte.

Le bruit persistait, plus fort que celui émis par un renard ou un écureuil. Ce ne pouvait être qu’un humain. Bondissant sur ses pieds, Trahern se tint accroupi, prêt à s’élancer.

Une mince silhouette sortit des arbres. Il s’agissait d’une toute jeune fille, presque une enfant. Douze ou treize ans, guère plus. Elle portait un léine3 de lin blanc en lambeaux et un surcot de coton vert qui ne valait guère mieux. Son visage amaigri était maculé de terre et, dès qu’elle vit le feu, elle tendit les mains vers les flammes. Ses longs cheveux bruns tombaient jusqu’à sa ceinture et elle était pieds nus.

Dieu du ciel ! Mais elle devait être glacée jusqu’à l’os.

— Qui es-tu ? demanda-t-il d’une voix douce.

Elle détourna le regard, le visage empourpré.

— Viens te réchauffer, insista-t-il. J’ai de quoi manger. Veux-tu partager mon repas ?

Elle s’avança encore d’un pas vers le feu mais, secouant la tête, pointa un doigt vers la ligne sombre des arbres derrière elle. Trahern suivit son regard mais ne vit rien. La fillette, qui se réchauffait avidement les mains à la flamme, désigna encore les bois, son petit visage dévoré par l’inquiétude.

— Qu’y a-t-il ? Que veux-tu me montrer ?

Elle toussa d’une voix rauque puis articula avec difficulté, comme quelqu’un privé de parole depuis trop longtemps :

— Ma… Ma sœur. Là-bas…

Trahern se leva.

— Va la chercher. Elle peut venir se réchauffer et se sustenter. J’ai assez pour nous trois.

Ce n’était pas tout à fait vrai mais peu importait. Il pourrait toujours chasser pour les prochains jours.

La jeune fille secoua encore la tête.

— Elle… Elle est blessée.

— Gravement ?

Sans répondre, elle lui fit signe de la suivre et regagna le sous-bois. Trahern lança un coup d’œil à sa monture qui broutait paisiblement à quelques pas de là. Qu’importe où la mènerait la petite inconnue, il serait certainement plus rapide d’y aller à cheval. Toutefois, la végétation était fort dense dans la forêt et il serait difficile de progresser.

Il n’avait pas la moindre envie de s’y aventurer. Dans moins d’une heure, il ferait nuit noire. Mais il ne pouvait laisser deux femmes sans défense dans un endroit aussi sauvage. Il se décida à allumer une torche improvisée au feu du campement et, avec une grimace, jeta la sacoche de provisions sur son épaule. Pas question de l’abandonner à la merci des bêtes sauvages.

S’enfonçant tous les deux l’un derrière l’autre dans le bois qui escaladait les flancs de la colline, ils se mirent à progresser lentement.

Ils traversèrent un torrent et, peu de temps après, l’œil exercé de Trahern repéra une hutte rudimentaire, visiblement construite à partir des vestiges d’une cabane en rondins. Il suivit son jeune guide à l’intérieur.

— Quel est cet endroit ? s’enquit-il, étonné.

— Une hutte de chasseur, expliqua la gamine dans un chuchotement. C’est Morren qui l’a découverte, il y a de ça pas mal de temps.

L’intérieur était sombre et froid. Soudain, dans un coin, il entendit les gémissements d’une femme.

— Va chercher du bois et fais-nous un feu, intima-t-il à la fillette en lui tendant sa torche.

Puis il se pencha sur la femme qui gisait sur un bat-flanc recouvert de feuilles mortes. À sa vue, la pauvre créature, le corps secoué de violents frissons, tira jusqu’à son menton la mince couverture qui recouvrait son corps. Il posa précautionneusement une main sur son front trempé de sueur. Il était brûlant de fièvre.

Trahern ne put retenir un juron. Malheureusement, il n’avait aucun talent de guérisseur. Il pouvait recoudre une plaie ou pommader quelques contusions mais il ne connaissait rien aux maux qui dévastaient l’intérieur du corps. La pauvre femme était gravement malade et il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire.

Il lança un coup d’œil inquiet en direction de la fillette, occupée à faire du feu.

— Ta sœur a besoin d’une guérisseuse. Il faut aller en chercher une au plus vite. Glen Omright n’est qu’à quelques heures de route et…

— C’est trop loin. Je ne puis aller là-bas, rétorqua son interlocutrice en baissant la tête.

Se laissant tomber sur la souche qui faisait office de siège, Trahern entreprit de retirer ses chaussures. Elles seraient trop grandes, bien sûr, mais c’était mieux que rien.

— Mets ça. Noue bien les lacets autour de tes chevilles.

Comme elle hésitait, il poursuivit d’un ton radouci :

— Retourne à mon campement et prends mon cheval. En te dépêchant, tu peux atteindre le cashel avant le milieu de la nuit. Emporte la torche avec toi.

Dans des circonstances normales, il ne lui serait jamais venu à l’idée d’envoyer une fillette seule en forêt dans le noir. Mais à tout prendre, il se jugeait le plus capable de maintenir sa sœur aînée en vie, au moins le temps qu’arrivent des secours. Nul doute que le clan O’Reilly enverrait une guérisseuse entourée d’une bonne escorte sitôt qu’ils apprendraient l’état de la malade.

La fillette secoua énergiquement la tête, visiblement affolée, mais Trahern leva vers elle un regard sombre.

— Je ne pourrai pas la sauver seul. Si tu ne penses pas être capable d’aller aussi loin, va demander de l’aide à l’abbaye Saint-Michel.

Qu’était-il advenu de la famille des deux sœurs ? Avaient-ils tous été tués lors du raid ? C’était le plus probable car la fillette n’avait mentionné personne d’autre que son aînée.

Elle finit par opiner du chef, les mâchoires serrées.

— Je trouverai quelqu’un.

Elle fixa solidement les lanières des chaussures de Trahern autour de ses chevilles, s’empara du flambeau qu’il lui tendait et, sans un mot, s’enfonça dans la nuit.

De longues heures pouvaient s’écouler avant son retour. Il ne restait plus qu’à s’en remettre à Dieu. Trahern fouilla sa mémoire pour se souvenir de ce que la femme de son frère, Aileen, guérisseuse de leur clan, aurait fait dans de telles circonstances. Il se rappela que son premier geste était d’examiner le patient de la tête aux pieds.

— On découvre parfois une blessure dans des parties du corps tout à fait insoupçonnées, lui avait-elle dit un jour en examinant un jeune page tombé par inadvertance d’un créneau sur lequel il batifolait pour éblouir une jolie servante.

Il s’approcha de la couche sur laquelle gisait la blessée. Quand il lui effleura la main, elle frémit longuement, les yeux clos.

— Là… Cela va aller, maintenant… Je suis là, murmura-t-il.

Il étudia de plus près la jeune femme. Son visage était pâle, amaigri par la faim. Mais elle avait des lèvres pleines et ses cheveux blonds, longs et soyeux, miroitaient autour d’elle tel un halo doré. On percevait une force latente sous les traits délicats et il sentait presque physiquement la jeune femme se battre contre la fièvre.

Un léine en haillons recouvrait son torse et la fine couverture ne pouvait lui tenir chaud. Trahern, cherchant la source du mal, lui effleura doucement le visage, descendit jusqu’à sa gorge palpitante, palpa les côtes et les bras trop minces.

— Cessez ! gémit-elle en le repoussant de ses deux mains qui retombèrent aussitôt sans force à ses côtés. Cessez, je vous en prie…

Les yeux de la malade étaient toujours clos et il n’aurait su dire s’il avait ravivé ses souffrances par le contact de ses mains ou si elle faisait un mauvais rêve. Il s’interrompit, attendant qu’elle reprenne conscience.

Comme elle ne bougeait plus, enfermée dans sa douleur, il souleva doucement la couverture. Et c’est alors qu’il comprit l’origine de sa blessure. Une large tache d’un sang épais et noir maculait le drap au niveau du bassin de la pauvre créature. Une grossesse encore précoce gonflait son ventre et elle serrait les genoux, comme pour éviter l’irréparable.

Doux Jésus… Il murmura une prière silencieuse car il était évident qu’il arrivait trop tard. Elle allait perdre son enfant… et sans doute aussi la vie.

Il faut que tu l’aides ! intima une voix ferme au fond de lui. Pas question de s’enfuir lâchement sous prétexte qu’il se sentait impuissant. Quoi qu’il fasse, ce serait toujours mieux que la souffrance que la jeune femme endurait.

Il la découvrit avec réticence, ne sachant comment préserver son intimité.

— Tout va bien se passer, a chara4. Je vais faire ce que je peux pour vous aider.

Morren O’Reilly ouvrit les yeux et poussa un hurlement.

Pas seulement à cause de l’atroce douleur qui lui déchirait les entrailles. Il y avait cette présence soudaine à ses côtés. Cet homme qui lui tenait la main.

Trahern MacEgan.

Une peur panique s’empara d’elle. Elle s’arracha à son étreinte et, grâce au ciel, il la laissa faire. Son cerveau était toujours embrumé par la fièvre et elle n’avait aucun souvenir du jour écoulé.

Sainte Marie, Mère de Dieu, que pouvait bien faire Trahern ici ? Son visage ne recelait pas une onde de douceur. Bien qu’il fût toujours l’homme le plus grand qu’elle ait jamais rencontré, son apparence s’était radicalement modifiée. Il avait rasé son crâne et sa barbe, ce qui lui conférait un air dur et froid. Des yeux d’un gris minéral étaient posés sur elle, dans lesquels elle ne lut qu’indifférence.

Des muscles vigoureux tendaient l’étoffe sous sa tunique de jute, révélant la puissance d’un guerrier. Elle enfonça ses ongles dans le matelas, retenant un gémissement. Était-ce sa sœur qui l’avait amené ici ? Mais au fait, où était Jilleen ? Il n’y avait nul signe de sa présence dans la hutte.

— Le pire est passé, dit encore Trahern, d’une voix sourde.

Mais ce n’était pas vrai. Loin de là ! Morren se roula en boule pour amortir la vague de douleur qui l’assaillait de nouveau. Son ventre était maintenant quasiment plat, comme une outre flétrie. Le bébé avait dû partir avec tout ce sang qui s’était écoulé.

Des larmes gonflèrent ses paupières. C’était son châtiment pour tout ce qui était arrivé. Cet enfant, souvenir terrible de cette nuit maudite, elle ne l’avait pas voulu. Mais maintenant qu’il n’était plus là, elle ressentait un terrible sentiment de vacuité. Le sentiment de la perte irrémédiable d’une pauvre petite vie innocente qui n’avait pas demandé à naître d’un tel moment de sauvagerie.

Je t’aurais aimé, pensa-t-elle. Malgré tout.

Réalisant soudain qu’elle était nue, elle enfouit son visage dans la couverture.

— Qu’avez-vous fait ! protesta-t-elle, le rouge au front. Donnez-moi mes vêtements.

— Ils sont souillés. Je devais vous les retirer. Je… Je suis navré… pour l’enfant.

Il parlait d’une voix rocailleuse, comme si les mots avaient du mal à sortir. Ces mots furent comme un coup de couteau en plein cœur. Morren éclata en sanglots. Une main chaude lui caressa le visage, écartant ses cheveux. Il voulait l’aider mais elle ne supportait plus le moindre contact.

— Arrêtez !

Elle se recroquevilla sur elle-même pour lui échapper.

Il leva les deux mains pour lui montrer qu’il ne lui voulait aucun mal.

— J’ai envoyé votre sœur chercher des secours… Je vais tâcher de trouver quelque chose à vous mettre.

Il fouilla dans le baluchon qui contenait quelques vêtements. Morren, qui allait protester, se mordit la langue. Une autre contraction s’annonçait et elle ne put retenir un long gémissement. La pièce se mit à tourner autour d’elle et elle s’abattit sur le lit, à demi inconsciente.

Trahern se précipita aussitôt sur elle et, s’emparant d’une cruche, lui humecta le front avec un linge humide.

— Je vous ai déjà vue quelque part mais je ne me souviens pas de votre nom, dit-il après l’avoir scrutée longuement.

Il lui tendit un léine couleur safran trouvé dans un coin, qu’il l’aida à revêtir. Et il conclut :

— Je suis Trahern MacEgan.

Morren éprouva une fugitive déception. Mais après tout, quand il était au village, il n’avait d’yeux que pour Ciara. Il était normal qu’il ne se souvienne pas d’elle.

Elle le connaissait assez bien. Pendant son séjour parmi eux, elle avait souvent écouté les histoires que l’élégant barde racontait autour du feu. Plus d’une fois son cœur s’était réjoui en l’écoutant chanter. Trahern maniait avec virtuosité la magie des mots.

— Morren O’Reilly est mon nom.

Il ne manifesta aucun signe de reconnaissance et elle s’y résigna.

— Votre mari est-il toujours en vie ?

Il avait formulé la question avec précaution, comme s’il se doutait déjà de la réponse.

— Je n’ai pas de mari, rétorqua-t-elle d’une voix dure.

Et elle n’en aurait jamais, Dieu l’en préserve. Sa sœur, Jilleen, était la seule famille qui lui restait. Et la seule dont elle ait besoin.

Le regard de Trahern croisa le sien mais il n’émit aucun jugement. Elle n’éprouva pas le besoin de s’expliquer davantage.

— Depuis quand n’avez-vous plus rien à manger ?

— Je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas faim.

La nourriture était le cadet de ses soucis en ce moment, surtout quand les convulsions la reprenaient.

— Cela vous ferait pourtant du bien.

— Non ! s’exclama-t-elle d’une voix forte en tirant la couverture sur son visage. Laissez-moi, je vous en supplie. Ma sœur va bientôt revenir.

Pour toute réponse, il tira un tabouret jusqu’à sa couche et s’assit.

— Vous souffrez, c’est évident. Dites-moi ce que je peux faire pour vous.

— Rien.

Morren serra les lèvres, priant ardemment pour que l’intrus s’en aille. Elle ne pensait pas pouvoir maintenir plus longtemps le faible contrôle qu’elle avait sur la douleur.

Trahern croisa les bras sur son torse.

— Votre sœur va ramener avec elle la guérisseuse de votre clan.

Morren parvint à ouvrir les yeux entre deux contractions qui lui cisaillaient l’abdomen :

— Non, articula-t-elle entre ses dents serrées. Ce n’est pas possible. La guérisseuse, c’était notre mère. Et elle est morte l’an passé.

Trahern se pencha sur elle, l’air consterné.

— Dans ce cas, elle fera comme je lui ai dit. Elle ira demander secours à l’abbaye.

— Je ne pense pas que les moines se déplacent…

Les braves frères de Saint-Michel apporteraient sans barguigner tous leurs soins à qui viendrait leur demander de l’aide. Mais ils étaient tous très âgés. Alors, de là à faire le trajet jusqu’ici en pleine nuit…

Les yeux de Trahern avaient viré au noir. Sa bouche n’était plus qu’une ligne dure au milieu de son visage éclairé par les flammes. Morren, qui avait gardé de lui le souvenir d’un homme affable et paisible, eut peur soudain de sa colère. Elle se rétracta dans son lit comme un animal blessé.

— Il ne faut pas en vouloir à Jilleen. Je la connais bien. C’est ma sœur. Elle ne reviendra pas tant qu’elle n’aura pas trouvé de l’aide.

Mais tout en prononçant ces paroles, elle commençait à douter de leur bien-fondé. Sa sœur était partie. Et qui sait si, soulagée de retrouver les siens, elle déciderait de revenir ? Depuis la nuit du raid, la fillette n’était plus la même.

* * *

Tout comme elle.

Morren referma frénétiquement ses bras autour de sa poitrine. Elle ne voulait plus penser à ça. Ce qui était fait était fait. Cela n’avait été qu’un sacrifice nécessaire.

— Y a-t-il beaucoup de survivants à Glen Omright ? s’enquit Trahern sans la regarder.

Morren secoua la tête.

— Je ne sais pas. Nous nous sommes enfuies, ma sœur et moi, et j’ignore ce que les autres ont fait. Sans doute la plupart de nos frères ont-ils rejoint un autre clan.

— Combien étaient-ils, ceux qui vous ont attaqués ?

Morren ouvrit la bouche puis la referma, incapable de proférer un son. Serrant très fort ses paupières closes, elle s’efforça de se ressaisir.

Mais Trahern insista doucement :

— Combien, Morren ? Les avez-vous vus ?

Alors, elle rouvrit les yeux et regarda son interlocuteur bien en face.

— Je sais exactement combien ils étaient, vous pouvez m’en croire.

Elle vit naître sur son visage une soudaine compréhension. Il lâcha un juron brutal et son regard, lourd de commisération, parcourut le jeune corps brisé.

Morren n’en dit pas plus. Ce n’était pas nécessaire.

Quand il tendit la main, elle retira la sienne. Et cette fois, quand l’obscurité s’empara de son cerveau, elle s’y abandonna.

* * *

Elle avait recommencé à saigner.

Devoir s’occuper de la jeune femme de manière si intime gênait terriblement Trahern. C’était pour lui une étrangère et il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il convenait de faire dans une situation aussi dramatique. Il faisait de son mieux mais il doutait que ce fût assez.

Elle avait le front brûlant de fièvre et il fut soulagé de pouvoir lui faire boire quelques gorgées d’eau. Mais il n’osa plus lui toucher la main, ni n’importe quelle partie de son corps, de peur de susciter de nouveau en elle une violente réaction.

Sa colère contre les Vikings s’accrut encore. C’était les Lochlannah5 qui avaient violé Morren. Et ils avaient probablement fait subir le même sort à la pauvre Ciara. Il renouvela muettement le serment de venger sa fiancée. Les raiders paieraient œil pour œil, dent pour dent, pour ce qu’ils avaient fait. Si ce que Morren disait était vrai, si le reste de son sept s’était dispersé chez les clans amis, alors elle seule pouvait l’aider à retrouver les coupables.

* * *

Les heures de la nuit s’étiraient, interminables, tandis que Trahern veillait sans faiblir sur la malade. Vers minuit, la jeune femme se mit à trembler violemment. Une expression de terreur déforma son visage et il regretta de tout cœur de ne pouvoir soulager ses maux, autant ceux de l’âme que ceux de son corps meurtri. Mais il ne disposait d’aucun remède et ne pouvait même pas la prendre dans ses bras. Et pas question de l’abandonner pour aller chercher du secours. Elle avait perdu trop de sang et, si elle s’affolait en réalisant qu’elle était seule, qu’elle tentait de se lever, elle risquait d’y laisser la vie.

Désemparé, incapable de refouler les sinistres pensées qui l’assaillaient, il contemplait intensément le visage de la jeune femme, comme s’il pouvait lui insuffler un peu de ses forces. Ciara avait-elle souffert ainsi les tourments de l’enfer avant de mourir ? Ou bien avait-elle perdu la vie soudainement ?

De nouveau, son regard se posa sur ses mains impuissantes. La seule chose qu’il savait faire, le seul réconfort qu’il pouvait offrir, c’était ses ballades. Bien qu’il fût barde depuis son plus jeune âge, il n’avait pas chanté ni raconté une seule histoire depuis la mort de Ciara. C’était comme si les mots l’avaient fui. Comme si sa gorge nouée ne pouvait plus proférer autre chose que des injures ou des gémissements. Comment apporter aux autres la joie et le divertissement quand on avait perdu son amour ? Quand on savait que jamais plus on ne pourrait bercer la femme qu’on aimait de ses contes et de ses chants ?

Mais cette nuit-là, alors qu’une autre femme luttait sous ses yeux contre la mort, il trouva en lui assez de force pour lui apporter du réconfort sans la toucher physiquement.

La légende de Dagda et Eithne jaillit de sa bouche, ses paroles s’enchaînant l’une après l’autre comme un collier de perles, telles qu’il les proférait depuis des années le soir autour du feu. Et, au fur et à mesure qu’il parlait, les tremblements de Morren s’apaisaient.

— Dagda était un dieu qui invoquait le bien sur la terre et dans le ciel, commença-t-il. Mais un jour, il rencontra une femme pour laquelle il éprouva un désir sans pareil. Cette femme s’appelait Eithne.

Trahern racontait l’histoire en utilisant chaque nuance de sa voix pour maintenir l’attention de la patiente. Il disait comment Dagda avait réussi à séduire Eithne et comment elle lui donna un fils. Il poursuivit ainsi jusqu’à en avoir la voix cassée, inventant des détails et des péripéties, lorsque enfin le soleil se leva.

Morren se redressa soudain sur sa couche de feuilles mortes, le visage tendu par la souffrance. Puis elle s’effondra de nouveau, les yeux clos, le visage blanc comme de la craie.

— Non ! hurla Trahern, alarmé. Il ne faut pas ! Vous avez résisté jusque-là. Tenez bon. Encore un moment, je vous en prie ! Les moines vont venir, votre sœur… !

— Je ne veux pas mourir, murmura-t-elle entre ses lèvres pâles. Il faut que je m’occupe de Jilleen… Elle n’a plus que moi…

Rouvrant les yeux, elle lui lança un regard brillant de fièvre. Ses yeux étaient d’un bleu profond, comme celui de la mer dans les hauts-fonds. Il y lut une force, une volonté qui rivalisait aisément avec la sienne.

— Vous allez vivre, Morren. Promettez-le-moi.

Elle battit des paupières à plusieurs reprises, comme pour acquiescer.

— Trahern… Quand ma sœur reviendra, ne lui parlez pas de l’enfant, voulez-vous ?

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** Extrait offert par Michelle Willingham **

Ireland, 1180

Chapter One

The autumn wind was frigid, cutting through his cloak in a dark warning that he needed to seek shelter, and soon. Yet, Trahern MacEgan hardly felt the cold. For the past season, he’d felt nothing at all, his emotions as frigid as the surrounding air.

Vengeance consumed him now, along with the fierce need to find the men who had killed Ciara. He’d left his home and family, returning to the southwest of Éireann, where the Ó Reilly tribe dwelled at Glen Omrigh.

His brothers didn’t know of his intent to find the raiders. They believed he was traveling again, to visit with friends and tell his stories. As a bard, he rarely stayed in one place for very long, so they weren’t at all suspicious. But for this journey, he’d wanted to be alone. His brothers had their wives and children to guard. He’d never risk their safety, not when they had so much to lose. He had no one, and he preferred it that way.

The land was more mountainous here, with green hills rising from the mist. A narrow road snaked through the valley, and misty warm clouds released from his horse’s nostrils. The emptiness suited him, for he’d never expected to lose the woman he’d loved. Earlier in the summer, Ciara’s brother Áron had sent word that the cashel had been attacked by Viking raiders. Ciara had been caught in the middle of the battle, struck down and killed when she’d tried to flee.

The devastating news had kept him from Glen Omrigh for months. He didn’t want to see Ciara’s grave or hear the sympathy from friends. More than anything, he needed to forget.

But time hadn’t dulled his pain; it had only heightened it. He shouldn’t have left her. The guilt consumed him, eating away at the man he was. Hatred flowed within his veins now, suffocating the pain of loss. The anguish had been replaced with rage, a sense of purpose. He was going to find the raiders, and when he did, they would suffer the same fate Ciara had endured.

When the sun grew lower in the sky, he set up a fire and unpacked the tent. Though he could have finished his journey to Glen Omrigh, had he continued to ride for another few hours, he preferred to spend the night alone.

The flames licked at the wood, flaring bright orange against the night sky. Tomorrow, he would reach the cashel and begin tracking his enemy.

Trahern stretched out upon his cloak, watching the fire and listening to the sounds of the evening while he ate. In the distance, he heard the faint rustling of leaves against the forest floor. Likely animals. Even so, he reached for his blade.

The movement was heavier than a squirrel or a fox. No, this was human, not an animal. Trahern clenched his sword, waiting for the person to draw closer.

Abruptly, a figure emerged from the trees. It was a young maiden, perhaps thirteen, wearing a ragged white léine and a green overdress. Dirt matted her face, and she held out her hands near the fire. She was so thin, it looked as though she hadn’t eaten a full meal in weeks. Long brown hair hung to her waist, and she wore no shoes.

Jesu, her feet must be frozen.

“Who are you?” he asked softly. She kept her gaze averted, not answering his question. Instead, her cheeks flushed with embarrassment, before she beckoned to him.

“Come and warm yourself,” he offered. “I have food to share, if you are hungry.”

She took a step towards the fire, but shook her head, pointing to the trees behind her. Trahern studied the place but saw no one. Although the girl raised her hands to warm them in front of the fire, her expression grew more fearful. Again, she gestured toward the trees.

“What is it?” he asked.

Coughing, she moved her mouth, as though she hadn’t spoken in a long time. “My sister.”

Trahern rose to his feet. “Bring her here. She can warm herself and eat. I’ve enough for both.” It wasn’t true, but he didn’t care if they depleted his supplies or not. Better to let the women sate their hunger, for he could always hunt.

The girl shook her head again. “She’s hurt.”

“How badly?”

She didn’t answer but beckoned to him as she walked back toward the forest. Trahern eyed his horse, then the wooded hillside. Though it was faster to ride, the trees grew too close for a horse. He had no desire to venture into the woods, particularly when it would be dark within another hour. But neither could he allow this girl to leave with no escort. Grimacing, he fashioned a torch out of a fallen branch. He slung his food supplies over one shoulder, not wanting to leave them behind.

The girl led him uphill for nearly half a mile. The ground was covered with fallen leaves, and he was careful to hold the torch aloft. They crossed a small stream, and not far away, he spied a crude shelter. Built from the remains of an old roundhouse, he followed the girl inside.

“What is this place?” he murmured. Isolated from anywhere else, he couldn’t imagine why it was here.

“A hunting shelter,” she answered. “Morren found it years ago.”

Inside, the hearth was cold, the interior dark. Then, he heard the unmistakable moans of a woman. “Build a fire,” he ordered the girl, handing her the torch.

Then he leaned down to examine the woman lying upon the bed. She was wracked with shivers, clutching the bedcovers to her chest. Her legs jerked with pain, and when he touched her forehead, she was burning with fever.

Trahern let out a curse, for he wasn’t a healer. He could tend sword wounds or bruises, but he knew nothing about illnesses that ravaged from inside the body. The woman was in a great deal of pain, and he didn’t have any idea what to do for her.

He eyed the young girl who was busy with the fire. “Your sister needs a healer.”

“We don’t have one.” She shook her head.

Trahern sat down and removed his shoes. Though they would never fit her, it was better than nothing. “Put these on. Tie them if you have to.”

She hesitated, and he gentled his tone. “Go back to my camp and take my horse. If you ride hard for the next few hours, you can reach Glen Omrigh. Take the torch with you.”

Under normal circumstances, he wouldn’t even consider sending a young girl out by herself in the dark. But between the two of them, he had a greater chance of sustaining the wounded woman’s life until help arrived. Trahern had no doubt that the Ó Reilly men would accompany the girl back with the healer, once she made it there safely.

“If you can’t make it that far, seek help at St. Michael’s Abbey.”

The girl started to refuse, but Trahern leveled a dark stare at her. “I can’t save her alone.”

He wondered what had become of their kin. Had they been killed during the raid? Since the girl had not mentioned anyone, Trahern suspected they were alone.

Reluctance colored her face, but at last the girl nodded. “I’ll find someone.” She tied his shoes on, using strips of linen. Without another word, she seized the branch he’d used as a torch and left them alone.

It would be hours before the girl returned, and he hoped to God she wouldn’t abandon them. Trahern struggled to remember what his brother’s wife Aileen would have done, when healing a wounded person. He recalled how she examined the wounded person from head to toe.

“Sometimes, you’ll find an injury where you least expect it,” she’d said.

Trahern moved beside the woman. Her eyes were closed, and she shuddered when he touched her hand, as though his fingers were freezing cold.

“It’s all right,” he said softly. “You’ll be safe now.” He studied her closely. Though her face was thin from hunger, her lips were full. Long fair hair lay matted against her cheek. He sensed a strength beneath the delicate features, and though the fever was attacking her body, she fought it back.

She wore a ragged léine that covered her torso, and the thin fabric was hardly enough to keep anyone warm. Trahern brought his hands gently down her face, to her throat. Down her arms, he touched, searching for whatever had caused the fever.

“Don’t,” she whimpered, her hands trying to push him away. Her eyes remained closed, and he couldn’t tell if his touch was causing her pain or whether she was dreaming. He stopped, waiting to see if she would regain consciousness.

When she didn’t awaken, he continued onward, pulling back the coverlet. It was then that he saw the reason for her agony. Blood darkened her gown below the waist. Her stomach was barely rounded from early pregnancy, and she tightened her knees together, as if struggling to stop the miscarriage.

Jesu. He murmured a silent prayer, for it was clear that he’d arrived too late. Not only was she going to lose this child, but she might also lose her life.

You have to help her, his conscience chided. He couldn’t be a coward now, simply because of his own ignorance. Nothing he did would be any worse than the pain she was already suffering.

Reluctantly, he eased up her léine, wishing he could protect her modesty somehow. “It’s going to be all right, a chara. I’ll do what I can to help you.”

From the book Surrender to an Irish Warrior

Copyright © 2010 by Michelle Willingham

® and ™ are trademarks of the publisher.

The edition published by arrangement with Harlequin Books S.A.

For more romance information go to: http://www.eHarlequin.com/

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