la science voilée

De tous les pays dits arabes, parmi ceux qui ont enregistré un printemps arabe, la Tunisie est le seul où on peut affirmer que les droits la société civile n'a pas fait marche arrière. Lire à ce sujet telle était mon ambition première en achetant ce livre. Ce but ne fut que partiellement atteint.

Je retiens comme son premier objectif: essayer de prouver que les scientifiques arabes ne furent pas que des transmetteurs entre orient et occident. L'auteure accroche des noms arabes à des progrès en mathématiques. Etait-ce bien nécessaire, d'autres références traitent mieux ce sujet et explique plus clairement ce que Al Kwarismi, un perse, apporta à l'arithmétique; qu'il assura le passage de la notion de nombre rationnel vers celui d'irrationnel par la résolution géométrique de l'équation du second degré. J'accepte cette digression parce qu'elle souhaite atteindre un public large. Néanmoins d'autres livres sur l'histoire des sciences nous éclairent mieux à ce sujet et englobent mieux la notion de maison de la sagesse créée à Bagdad par l'abbaside Haroun al Rachid. Mais cette liberté d'esprit en culture islamique n'eut qu'un temps.

A mes yeux, la partie la plus intéressante de son opus concerne le créationnisme et la spécificité musulmane du miracle coranique et de la thèse concordiste qui y est associé. Pour le créationnisme, je connais le fatras pseudo-scientifique des évangélistes et de Haroun Yaya. Par contre la thèse concordiste est une découverte pour moi. Sans mettre un nom sur cette tendance, j'avais déjà perçu cette faiblesse chez mon ami Abdel dont la ligne doctrinale est dans la mouvance d'un soufisme maghrébin. Cette corruption maligne est profonde: je l'ai constaté chez des adolescents plutôt doués obligés de faire le grand écart entre sciences et religion! Je reconnais à l'auteur le mérite de m'avoir ouvert les yeux à ce sujets.

Qu'un coran fasse allusion au Big Bang, à l'énergie sombre, à la matière noire, cela me paraît hors de propos. Mon argumentaire est sensiblement différent de celui de l'auteure et comprend trois volets.

Popper, un philosophe des sciences, a parfaitement théorisé en matière d'évolution du phénomène scientifique au cours du temps: tout paradigme scientifique est voué tôt ou tard à son remplacement par un autre: ainsi l'héliocentrisme remplaça le géocentrisme. Les fameuses quatre forces fondamentales, matière sombre et énergie sombre ne sont là que pour masquer notre méconnaissance et sont toutes vouées à la disparition. Si on persiste dans la volonté de trouver des allusions scientifiques dans le coran, il faudra les revoir à l'apparition de toute nouvelle théorie en vogue.

Il est urgent de disjoindre le scientifique du sacré. Mais tout le monde ne peut se prévaloir d'être Galilée ou même Copernic et on sait que se rôle de démineur est dangereux lorsque la religion a un pouvoir exécutif et judiciaire. Si le livre coran est sacré et parole divine, il se focalisera sur le transcendant. Un croyant ne pourra accepter qu'on le ravale au niveau du livre de cuisine, du grimoire d'alchimiste ou du manuscrit crypté de Nostradamus. Le coran étant très allusif à la Torah et aux textes proto-chrétiens, des exégètes modernes ont peut-être été tentés de faire comme leurs autres collègues monothéistes trouvant des miracles dans l'écroulement des murs de Jéricho, du passage de la Mer Rouge ou de la destruction de Sodome et Gomorrhe.

Last but not least, le coran est un codex constitué au plus tôt 20 ans après la mort du prophète et récolté sur base d'une tradition orale. Dans texte original il n'y avait pas de point diacritique pour voyelliser, seul existait le ductus consonantique: différentes vocalisations étaient parfois possibles d'où des confusions. Il faut également abandonner la notion de l'arabe pur dans le coran: un grand nombre de mots sont des hapax, empruntés à des langues voisines comme l'araméen, l'hébreu, le guèze, le grec ou le perse. Certains ont été arabisés, d'autres pas. C'est le cas de ces allusions "miraculeuses" qui n'apparaissent dans d'uniques versets.