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Un rassemblement se préparait à Casr, et la Déesse l’avait béni. Désormais, les navires et les embarcations transportant un guerrier étaient susceptibles d’être conduits jusqu’à la ville.
Les guerriers débarqueraient dans la cité en quête de gloire, et la Main de la Déesse ramènerait ensuite les bateaux dans leurs eaux habituelles. Les marins et les passagers répandraient alors la nouvelle : un rassemblement se préparait.
Dans tous les villages, toutes les cités et tous les palais du Monde, les guerriers entendaient Son appel. Ils l’entendaient dans les jungles moites d’Aro et dans les plaines venteuses de Grin, dans les vergers d’Allia et dans les rizières d’Az, dans les déserts de sable d’Ib Man et au pied des pics glacés de Zor.
Les guerriers en garnison l’entendaient dans les couloirs ou dans les rues trépidantes. Les libres épées l’entendaient sur les collines ou sur les jetées branlantes des petits villages. Ils affûtaient alors leur lame, graissaient leurs bottes et leur harnais, puis se dirigeaient vers la Rivière.
Les garnisons étaient en émoi : les jeunes subalternes surexcités allaient voir leurs mentors et demandaient à être conduits à Casr ou libérés de leurs serments. Les anciens devaient prendre une décision : rester auprès de leur famille et conserver leur train de vie confortable et leur sinécure, ou bien répondre à l’appel de l’honneur et aux supplications de leurs protégés. Certains choisirent l’honneur, d’autres la honte.
Les troupes errantes de libres épées échappèrent à ce dilemme : ces hommes demeuraient à Son service en toutes circonstances. La plupart d’entre eux ne se demandèrent même pas ce qu’il convenait de faire : ils se contentèrent de se lever et de se mettre en route.
Pourtant, la Déesse ne pouvait mobiliser que quelques-uns de Ses guerriers sous peine de laisser Son monde sombrer dans le crime et le chaos. De nombreuses compagnies enthousiastes embarquèrent pour remonter ou descendre la Rivière, et virent bientôt la lumière, le temps et le paysage changer de façon notable à l’approche de Casr. D’autres troupes, sans doute tout aussi braves et enthousiastes, embarquèrent pour remonter ou descendre la Rivière, mais ne connurent que la frustration : la Déesse ne les guida pas vers le rassemblement. Aucun guerrier digne de ce nom ne pouvait croire qu’il avait démérité. Des discussions enflammées éclatèrent au sein de mêmes compagnies et se transformèrent en récriminations, les récriminations en querelles, les querelles en insultes, les insultes en défis, les défis en bains de sang. Les guérisseurs s’occupèrent des blessés, la Rivière des morts. Les survivants débarquèrent et formèrent de nouveaux groupes avant de retenter leur chance à bord d’autres navires.
Les guerriers ne furent pas les seuls à entendre l’appel. Ils étaient suivis par leurs femmes, leurs esclaves, leurs concubines et, souvent, leurs enfants. On trouvait aussi dans leur sillage des hérauts, des armuriers, des ménestrels, des guérisseurs et même des prêteurs sur gages, des cordonniers, des valets d’écurie, des cuisiniers et des prostituées. Les jeunes gens du Monde embarquaient avec les guerriers pour voir si la grande Rivière daignerait les emmener. La Déesse n’avait pas convoqué Ses serviteurs à un rassemblement depuis des siècles. Aucun représentant du Peuple ne se souvenait d’un tel bouleversement et d’une telle confusion de l’ordre social.
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