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Il ne cessait de penser à son rêve. Il imaginait les rues glissantes du sang de ses ennemis, et la pluie qui tombait lui était aussi douce que les larmes de leurs veuves. Un éclair frappa un mur près de lui et le réduisit en miettes sans même toucher Trannus qui poursuivit sa route sans y prendre garde, seul lui importait l’appel irrésistible qui donnait de la force à ses jambes lasses, un but à son cerveau confus, un désir à son cœur éteint. Trannus se demandait tout de même pourquoi cette vision bénie, ce désir miraculeux lui avaient été donnés à lui, prêtre sans grade attaché au service de Baine

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Trannus ! appela-t-elle, ne rencontrant que la chaleur abandonnée par le corps de son amant entre les draps de soie. (Elle se redressa et écarta ses cheveux de ses yeux.) Tu t’es habillé…, dit-elle, cherchant à comprendre. — Je dois partir, répondit-il simplement, sans avoir la moindre idée de sa destination. Il devait sortir du bâtiment, il n’en savait pas plus. — Reviens vite ! exigea-t-elle en s’abandonnant de nouveau à l’étreinte confortable du doux matelas de plume

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Un linceul de brumes bleuâtres enveloppait la pièce. On ne voyait ni murs, ni plancher, ni plafond ; pourtant un sentiment d’étouffement opprimait les malheureux amenés par le destin dans cet endroit infernal pour leurs derniers moments. Ils posaient alors les yeux sur le vrai visage de l’être hideux qui siégeait là en majesté. Pour l’instant, l’abomination paraissait se satisfaire de sa solitude. Elle plongeait son regard dans un calice d’or empli des larmes de ses ennemis. Le seigneur de ce lieu terrible, le dieu Baine, leva soudain les yeux sur le dormeur dans son rêve et leva sa coupe pour lui porter un toast

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À Château-Zhentil, la pluie la plus forte que la cité ait connue depuis près d’un an engloutissait les rues étroites, mais Trannus Kialton ne s’en rendait pas compte, rien ne pouvait déranger son somme. Il restait indifférent au bruit des volets battus par la tempête furieuse à l’extérieur de la petite chambre qu’il louait pour ses rencontres avec la belle Angélique Cataran, épouse délaissée du plus riche importateur d’épices de la ville. Tout à coup, une brise fraîche parut se matérialiser dans le noir. En flottant, elle traversa la chambre jusqu’à l’homme endormi, menaçant de l’éveiller, pour disparaître entre ses lèvres entrouvertes

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Au sommet de la voie, près du centre menant aux plans, seigneur Heaum, dieu des Gardiens, vit Mystra s’évanouir à la suite de son enchantement incontrôlé. Encore meurtri et ensanglanté par la fureur d’Ao, il avait pu, contrairement aux autres dieux, garder la forme qui était sienne dans les plans, celle d’un immense guerrier en armure, avec des yeux grands ouverts peints sur ses gantelets d’acier. Les véritables yeux de Heaum, dépourvus de larmes, reflétaient néanmoins la tristesse quand il leva la tête vers la sombre nuée parcourue de pulsations. — Quelle sera ma punition, seigneur Ao ? demanda-t-il. Il y eut un moment de silence. Quand Ao parla, Heaum acquiesça lentement. La réponse ne le surprenait pas

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L’escalier, d’abord une longue spirale de bois, devint en un instant une belle échelle de marbre. Ces changements blessaient les yeux de Mystra, et la déesse déchue comprit soudain pourquoi il lui était si difficile de discerner la voie magique : seuls les dieux ou les mortels dotés d’un grand pouvoir en étaient capables, et elle n’entrait plus dans ces catégories

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En observant ces nuées agitées, la déesse de la Magie aperçut quelque chose qui luisait dans l’atmosphère. Elle voulut distinguer plus nettement ce rai comme suspendu aux nuages et se sentit soudain étourdie. Pensant souffrir encore des conséquences de l’attaque d’Ao sur ses sens, elle scruta cette lumière vacillant depuis le ciel jusqu’au sol, près du château en ruine. Tout d’un coup sa vision s’éclaircit et elle reconnut l’image hésitante devant elle. Un Escalier Céleste ! Il changeait constamment de forme sous les yeux de Mystra

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Le domaine de Mystra se situait en Nirvana, le plan de la Loi la plus stricte. Il s’agissait d’une aire infinie, parfaitement ordonnée, où la lumière et les ténèbres, le chaud et le froid se trouvaient dans un équilibre idéal. Contrairement aux paysages chaotiques qu’on rencontrait dans les Royaumes, Nirvana était rigoureusement structuré, tels les rouages égaux d’une gigantesque horloge imbriqués à la perfection. Sur chacun de ces rouages reposait le royaume d’un des dieux de la Loi qui hantaient ce plan. Naturellement, Mystra voyait son propre royaume comme le plus beau de Nirvana ; de tous les plans, en fait

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La déesse déchue resta un moment immobile à ressasser les paroles de seigneur Ao. S’il lui fallait trouver un avatar et se glisser dans un corps de chair et de sang, c’était vraiment qu’Ao voulait maintenir les dieux à l’écart des plans ! Mystra s’était doutée qu’il punirait ses serviteurs pour leurs défaillances et, en prévision, elle avait même caché dans les Royaumes un peu de son pouvoir, mais elle ne parvenait toujours pas à appréhender réellement ce que signifiait la perte de son statut et de sa belle demeure en haut des cieux

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De craindre, aussi ! Ils commençaient à bien connaître la crainte. Enfin, seigneur Talos parvint à parler, d’une voix rauque et faible, en hoquets terrifiés : — Est-ce terminé ? Était-ce donc tout ? Soudain le panthéon disparut. Les dieux, toujours en troupeau, se retrouvèrent chacun les yeux rivés à ce qui l’effrayait le plus – chaos, souffrance, amour, vie, ignorance… Et chacun vit là sa propre destruction. — Ce n’était qu’un avant-goût de ma fureur. Maintenant buvez à la coupe amère de la rage d’un dieu véritable ! Puis retentit un bruit encore jamais ouï : les dieux hurlèrent

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