La tentation de Noel / Intime proposition

Intime proposition, Isabelle Sharpe

Mémorandum

A : L’ensemble du personnel

De : Janice Forster, directrice générale, hôtel Le Libertin

Date : Dimanche 6 juillet

Objet : Trevor Little

M. Trevor Little nous rendra visite cette semaine, accompagné d’une nouvelle invitée. En ce qui concerne les présents, nous suivrons la procédure habituelle : fleurs le lundi, rendez-vous au Spa le mardi, bracelet le mercredi, lingerie le jeudi, et sculpture en chocolat le vendredi. Rappel : vous êtes priés de traiter son invitée avec courtoisie et de vous comporter comme si vous n’aviez jamais vu M. Little. Comme toujours, ses appels seront transférés sur sa messagerie, et, si on le demande, on doit répondre qu’il ne figure pas sur la liste de nos clients.

À bord de l’avion de la Midwest Airlines qui la conduisait vers l’aéroport de Newark, à New York, May Hope Ellison avait l’impression de s’envoler vers une nouvelle vie.

Elle avait prévu d’arriver par l’aéroport de La Guardia — comme elle se rendait à Manhattan —, mais Trevor avait insisté pour qu’elle atterrisse à Newark. Il voulait lui éviter d’être bloquée par la circulation à La Guardia. Avec un peu de chance, sa réunion dans le New Jersey se terminerait de bonne heure, et il pourrait la retrouver pour le train de 11 h 35, à la gare Penn Station.

Quand elle avait fait part de ses projets à sa mère, celle-ci avait aussitôt haussé les épaules : elle n’avait jamais vu d’embouteillage à La Guardia ! La mère de May était née et avait grandi dans le Wisconsin, mais elle avait vécu à Manhattan pendant deux ans avant de se marier.

Bien sûr, May n’avait rien dit à sa mère à propos de Trevor. Elle croyait que May visitait New York avec Ginny, sa copine de lycée. En général, les mères ne sautaient pas de joie lorsque leur fille traversait la moitié du pays pour passer une semaine dans un hôtel de luxe avec un homme qu’elle connaissait à peine.

Plus que quelques pas, et May verrait enfin à quoi allait ressembler sa nouvelle vie… en tout cas pour quelques jours.

Impressionnant.

Beaucoup de portes. Beaucoup de bruit. Beaucoup, beaucoup de gens. Aucun doute possible, elle n’était pas dans le Milwaukee. Et encore moins à Oshkosh.

Suivant le flot des voyageurs, elle s’engagea dans un long couloir, puis un autre, jusqu’au terminal principal. Il y avait encore plus de monde et, partout, d’interminables files d’attente. Elle suivit les indications que Trevor lui avait envoyées par e-mail, grâce auxquelles elle réussit à trouver la direction du train New Jersey Transit qui la conduirait au centre de la ville.

Après de multiples confusions — pourquoi la gare de New York et celle du New Jersey s’appelaient-elles toutes les deux Penn Station ? — elle réussit enfin à trouver le bon train. Elle fit attention à ne pas manquer la voiture où Trevor et elle avaient prévu de se retrouver. C’était la troisième voiture.

Malheureusement, il n’était pas là. Ou heureusement…tout dépendait de quel point de vue on se plaçait. En fin de compte, elle était plutôt soulagée de ne pas avoir à faire le voyage avec lui. Qu’aurait-elle bien pu dire pendant ce long trajet à quelqu’un qu’elle connaissait à peine et avec qui elle s’apprêtait à passer la semaine confinée dans une chambre d’hôtel ?

Comment ça va ? Il fait chaud pour cette période de l’année, non ? À quelle heure avez-vous prévu de me faire l’amour ?

Il était peut-être préférable qu’elle le rencontre à l’hôtel…

Une demi-heure plus tard, May descendit sur un quai souterrain sombre et étouffant, tirant sa valise derrière elle. Elle avançait tant bien que mal au milieu de cette marée humaine, avant de monter avec difficulté un escalier qui lui parut interminable. Et dire que tout à l’heure elle avait trouvé l’aéroport de Newark bondé !

Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle se retrouvait au milieu d’une foule. Elle s’était même préparée à cette épreuve, mais ce qu’elle venait de vivre dépassait les limites de son imagination. Elle avait d’ailleurs du mal à se projeter dans son proche avenir : comment prendre conscience qu’elle n’était qu’au début de cette nouvelle aventure ? Elle avait rencontré Trevor un mois plus tôt, à l’occasion d’une fête donnée en l’honneur de l’Université du Wisconsin : il était venu voir un de ses anciens professeurs de l’école de commerce, là où elle travaillait comme assistante du doyen.

Trevor et elle s’étaient tout de suite bien entendus. Dans un premier temps, ils avaient eu une conversation polie, puis il l’avait invitée à prendre un café, puis quelques verres, puis un dîner. Mais lorsqu’il l’avait invitée à le suivre à son hôtel elle avait refusé, bien qu’elle ait été tentée. Elle avait été un peu dépassée par la situation, parce que ce n’était pas tous les jours qu’un homme s’intéressait autant à elle !

Ensuite, après avoir quitté la ville, Trevor lui avait envoyé des e-mails et il l’avait appelée. Puis, chose incroyable, il l’avait rappelée ! Peu à peu, elle avait pris l’habitude de discuter avec lui chaque jour. Rien d’étonnant : il avait été comme un rayon de soleil au cours de ces derniers mois lugubres, depuis que Dan avait décrété que l’histoire qu’ils avaient partagée pendant six ans était terminée. Apparemment, ce dernier ne trouvait plus leur vie assez excitante. Il s’était vu vivre avec elle pour le restant de ses jours, faire toujours les mêmes choses, avoir les mêmes disputes. Ça n’avait rien d’idyllique, d’après lui.

Mais qui pouvait avoir une vie éternellement idyllique ?La vie n’était pas une suite de réjouissances… Bien sûr, elle ne pouvait l’empêcher de faire ce que bon lui semblait. Le plus dur, ç’avait été de se sentir abandonnée… et cette impression qu’on lui avait arraché les tripes. Pourtant, elle connaissait Dan par cœur, et elle était prête à parier que, une fois qu’il aurait exploré sexuellement ce qu’il avait à explorer, il lui reviendrait, et leur vie reprendrait son cours normal. Ils reprendraient leurs projets là où ils les avaient laissés. La vie était belle et extraordinaire en soi, et on n’avait pas besoin de danger et d’excitation à chaque seconde pour savoir l’apprécier.

Bon, d’accord, c’était bien ce qu’elle cherchait à présent. C’était sans doute à cause de ce que Dan lui avait dit, sur elle et sur leur vie ensemble. Ennuyeux et prévisible ? Si Dan savait qu’elle s’apprêtait à passer une semaine dans un hôtel de luxe avec un inconnu, il regretterait de lui avoir dit cela. Car les e-mails et les coups de fil échangés avec Trevor étaient devenus de plus en plus intimes. De plus en plus… érotiques. Qu’y avait-il de mal à cela ? Dan avait été son seul et unique amant, et elle devait bien reconnaître qu’elle éprouvait une certaine curiosité… Trevor était très séduisant, et il devait être multimilliardaire car — à sa grande surprise— il l’avait invitée à passer une semaine avec lui à l’hôtel Le Libertin, à Manhattan. Elle avait du mal à contrôler son excitation.

Elle avait cru qu’elle allait avoir une attaque quand, en faisant des recherches sur Google, elle avait vu à quel point l’endroit était luxueux et « discret ». Mais ce qui l’avait sidérée, c’était le prix exorbitant des chambres : pour le prix d’une seule nuit dans ce palace, on aurait pu nourrir toute une famille pendant un mois !

Tout cela lui paraissait irréel, et elle n’aurait jamais cru qu’elle aurait un jour la chance de passer une semaine entière dans un tel lieu, qui plus est avec un parfait inconnu. Avant de retourner à sa vie soi-disant ennuyeuse. En fait, elle n’était pas si ennuyeuse que ça, même si elle avait quelquefois la sensation que, peut-être, la vie ne se résumait pas à ce qu’elle vivait. Elle s’était dit que tout le monde devait ressentir cela de temps à autre. Sa propre mère n’était-elle pas partie à la poursuite d’un rêve, alors qu’elle était encore très jeune ? Elle venait juste de rencontrer son père, et elle l’avait quitté pour aller à New York et rejoindre un groupe de rock en tant que danseuse. Mais là, sa mère avait découvert que faire partie des Rockettes n’avait rien de facile : c’était amusant, de temps en temps fastidieux, parfois excitant, parfois décevant, comme tout le reste. May eut un petit sourire songeur : c’était peut-être ça que Dan devait apprendre. Peut-être qu’une fois qu’il l’aurait compris, il reviendrait vers elle.

Ou peut-être que cette semaine allait tout changer…