Extraits

(...) télépathie

[spoiler] «Raphaël prit conscience de la présence de Markus à l’instant même de son arrivée. Sa respiration s’était faite plus courte, les battements de son cœur s’étaient accélérés, son corps s’était tendu, dans une attente insupportable.

Les doigts enfoncés dans la gorge de Loriel, il dut se faire violence pour garder un visage parfaitement lisse, vierge de toutes expressions. Sa flamboyante colère était retombée aussi vite qu’elle était montée, à peu près au moment où ils avaient basculé par-dessus la rambarde du balcon. L’Archange aux yeux de chat aurait pu en rester là, bien sûr – et c’était très certainement ce qu’il aurait dû faire –, mais son ami avait alors été pris d’un fou rire, réalisant qu’ils étaient le point de mire de tous les regards.

Honteux d’avoir été surpris dans une position aussi peu glorieuse, Raphaël avait malheureusement aggravé son cas en injuriant Loriel, l’accusant d’être responsable de tout cela. Sans même chercher à nier, le benjamin de la Triade l’avait regardé droit dans les yeux avant de dire une toute petite phrase… qui avait mis le feu aux poudres.

(« Trop facile… »)

Voilà donc pourquoi il était en train d’essayer de l’étrangler, cherchant par tous les moyens à le faire taire, alors que cet imbécile riait à en perdre haleine.

Ils se donnaient assurément en spectacle.

Affligeant.

Mais au lieu d’en éprouver de la honte, Raphaël se rendit compte qu’il s’amusait beaucoup. Encore plus depuis qu’il avait entraperçu la mine faussement dépitée de son ancien compagnon.

Fier comme un paon, il continuait donc sagement sa partition, désireux de garder la pleine attention du déchu.

Que c’était bon de sentir son regard sur lui !

(Nous sommes devenus le centre de l’attention, Raphaël. Je crois bien que l’ensemble de la maisonnée est présent. Ou presque.)

Le patriarche de la Triade arqua un sourcil, arrogant jusqu’au bout des ongles malgré sa position peu flatteuse.

(Tu n’espères quand même pas te servir de ce genre de d’arguments pour me faire lâcher prise ?)

(Non, loin de moi cette idée.)

Loriel gloussa de plus belle, s’amusant follement.

(Pourquoi me le faire remarquer, dans ce cas ? Et surtout par télépathie… ce n’est pas vraiment un secret d’État…)

Comme s’il avait pu passer à côté de quelque chose d’aussi gros.

(C’est amusant que tu parles de secret, car c’était exactement ce que j’avais en tête…)

Raphaël se pétrifia, comprenant où voulait en venir son ami.

(Maintenant ?)

Le rire de Loriel mourut et son expression devint prudente.

(Tu ne pourrais espérer plus belle occasion.)

Levant un rapide regard vers Markus – qui les dévisageait toujours avec pitié –, il tergiversa à nouveau, la gorge obstruée par une grosse boule d’émotions.

(Je ne sais pas si je supporterai un rejet public.)

(Tu le mériterais grandement, pourtant… Mais si ses sentiments n’ont pas changé, il ne le fera pas. Il sera bien trop occupé à se pincer pour vérifier qu’il ne rêve pas,) ajouta Loriel, non sans sarcasme. (Soit tu te déclares, soit tu le laisses partir, c’est aussi simple que ça, Raphaël. Fais ton choix une bonne fois pour toutes et ne reviens pas en arrière ! ) L’aîné prit conscience d’être à un tournant. Son avenir – son bonheur futur – dépendait de la décision qu’il allait prendre.

Il savait ce qu’il voulait, ce qu’il désirait du plus profond de son cœur. Aurait-il le courage de faire ce qu’il fallait pour l’obtenir, pour avoir une chance de tisser un lien avec son partenaire aussi puissant que celui qui unissait Loriel et Cäel ?

Malgré les belles paroles de l’Archange facétieux, il savait qu’il y avait un risque – une très forte probabilité – que Markus ne réponde pas favorablement à sa déclaration, qu’il estime que cela venait trop tard et qu’il ne valait pas la peine de lui accorder encore une chance.

Dans son rêve, il lui avait laissé entendre que tout dépendait de lui et de la décision qu’il prendrait. Mais entre le rêve et la réalité, il y avait une marge. Et de taille.

Son ancien compagnon avait-il été sincère, l’aimait-il encore ?

Le temps des choix était arrivé, il le ressentait au fond de son cœur. À lui de faire le bon.

Libérant Loriel, Raphaël se redressa lentement, déployant sa haute stature, étirant ses ailes en grand, image même de la puissance qu’il incarnait. Sous l’éclat  luisant de ses prunelles vertes, le silence se fit rapidement, les ricanements et autres quolibets cessèrent aussi vite qu’ils avaient commencé.

L’ange de la mort.

Le regard rivé sur sa cible, sans détourner les yeux un seul instant, il se dirigea droit sur elle, avec la vélocité d’un oiseau de proie en pleine chasse.

Il s’arrêta à un pas à peine du renégat et laissa ses ailes s’évaser autour de ses épaules, allant à la rencontre de celles du fier guerrier qui lui faisait face.

Un geste particulièrement intime.

Un privilège qu’il n’avait jamais accordé à qui que ce soit – du moins pas en public.

Il leva une main qui ne tremblait pas et caressa du bout des doigts le fin duvet de poils qui recouvrait le menton de Markus. Un sourire absurdement heureux étira ses lèvres.

— Tu la laisses repousser, dit-il simplement, y voyant le signe qu’il attendait tant et qu’il avait très aveuglément loupé jusque-là.

— Elle me manque.

Une réponse froide, émise sur un ton impersonnel. Pourtant, Raphaël ne s’y laissa pas prendre. Cela signifiait bien plus qu’il y paraissait.

— J’en suis ravi.

Et il l’embrassa. 

[/poiler]

Markus et Ariel

Tu es innocent, au fond de moi je le sais bien, mais je ne peux rien y faire. C’est un sentiment irrationnel que je n’arrive pas à contrôler… Quand je te vois, j’ai envie de te casser la gueule.

Ariel, qui avait les larmes aux yeux, visiblement ému par son récit, ouvrit de grands yeux.

-Euhm…, fit-il nerveusement, prêt à s’enfuir au moindre signe d’agression.

Markus le dévisagea sans ciller, le regard inexpressif.

- Oui, quand je te regarde, j’ai envie de te fracasser la tête contre la table.

« -On m’a dit que tu t’étais battu contre un déchu.

L’ange qui lui tournait le dos sursauta violemment, ne l’ayant probablement pas entendu arriver. Rien de surprenant à cela, un Archange  pouvait passer inaperçu s’il le souhaitait.

Et Raphaël n’aimait pas annoncer sa venue.

— Oui, Archange, répondit le guerrier, après avoir fait volteface et s’être respectueusement incliné devant le patriarche de la Triade.

— Et tu as survécu… Surprenant.

C’était la première fois qu’un ange revenait indemne d’une telle rencontre. De quoi piquer la curiosité de l’Archange.  Ne sachant que répondre, le guerrier demeura coi.

Raphaël le dévisagea longuement, étrangement fasciné par ce qu’il voyait. Des cheveux d’un blanc aussi lumineux que ses ailes – grandes et puissantes –, un visage fin et harmonieux, des lèvres légèrement charnues – qui lui donnèrent envie de les mordre – et un bouc parfaitement taillé. Ce dernier point était certainement le plus surprenant, car les anges étaient généralement imberbes.

L’Archange vengeur aurait  bien voulu voir ses yeux, malheureusement son vis-à-vis les garda baissés, comme il en était coutume en présence d’un membre de la Triade.

— Comment as-tu réussi un tel prodige ?

Le guerrier se détourna légèrement, gêné.

— Je me suis fondu dans la lumière sacrée… et le déchu est tombé en cendre lorsqu’il a cherché à m’y suivre.

Raphaël masqua sa surprise derrière un visage hautain. Qu’un ange soit capable d’un tel exploit relevait de la gageure.

— Tu peux te fondre dans la lumière ? (Courte pause.) Comme Gabriel ?

Incroyable !

— Oui, répondit-il simplement, le visage toujours baissé.

Le fondateur de la Triade avança d’un pas, comblant la distance qui les séparait. Il glissa un doigt sous le menton du guerrier, l’obligeant à relever la tête et à le regarder droit dans les yeux. Son souffle se coupa et un éclair de désir le traversa.

Jamais il n’avait vu de couleur plus belle que celle-ci. Des prunelles aux diverses nuances violettes le fixaient sans ciller, l’envoûtant bien malgré elles. Incapable de nommer clairement cette teinte qui lui rappelait les gemmes d’Améthyste, il décida de leur donner ce nom, faute de mieux.

— Ton nom, exigea-t-il d’une voix que le désir rendait coupante. L’ange se raidit, dans l’attente du châtiment qui allait suivre. On ne dévisageait pas impunément un Archange, même s’il était l’instigateur de ce contact visuel.

— Markus.