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Liste des extraits

Le sabre de Gideon décrivit un grand arc de cercle en direction de l’arbre, le métal brilla, la lame fendit l’air et un horrible sifflement déchira le silence.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’épée de Gideon avait tranché net le cou du serpent, et le reptile tomba sur le sol en deux morceaux.

Collée contre lui, elle s’enfouit le visage dans le creux de son épaule après avoir vu le corps de la bête tressauter furieusement par terre, tout près d’eux.

— Oh mon Dieu ! cria-t-elle en s’agrippant à lui.

Elle le sentit planter son sabre dans le sol puis la serrer si fort qu’elle en eut presque le souffle coupé.

— C’est fini, ma belle, tout va bien, répéta-t-il en la berçant. Le serpent est mort, il ne vous fera plus aucun mal.

— Il aurait pu me mordre ! bredouilla-t-elle. Il était si près… Il était juste là !

Paniquer ne lui ressemblait guère, mais elle n’avait jamais vu de serpent venimeux. Un serpent qui était à deux doigts de la mordre, par-dessus le marché ! Après tout ce qu’elle avait enduré, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.

— S’il s’était jeté sur moi…

— Il est mort, maintenant, insista-t-il en lui attrapant le visage pour qu’elle accepte de le regarder. Tout va bien, croyez-moi. Je ne l’aurais pas laissé vous faire de mal.

Elle avait l’impression de manquer d’air. Le souffle court, elle avait encore la gorge nouée par la panique.

— Et… Et si vous n’aviez pas été là ? parvint-elle à articuler. Et si…

— J’étais là, dit-il en lui caressant le dos. Je serai toujours là. Je ne laisserai jamais personne vous faire du mal, promis.

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- Imaginez qu’une femme soit trop peu attirante pour se trouver un époux. Forcerez-vous l’un de vos hommes à l’épouser au motif que chacun doit trouver sa chacune ?

À ces mots, Gideon sentit son sang ne faire qu’un tour. L’intelligence de Miss Willis et le mépris qu’elle affichait l’avaient mis hors de lui. Il se dirigea vers elle et esquissa un sourire satisfait devant l’inquiétude qui se peignit sur son délicieux visage.

- Mes hommes ont passé les huit dernières années en mer. Ils n’avaient qu’une nuit de temps à autre pour assouvir leur besoin de compagnie féminine. Et ce n’est pas une tête de cheval ou des dents gâtées qui les feraient reculer, croyez-moi !

Ce n’était pas tout à fait vrai, mais il en avait assez de l’entendre pérorer. Elle marcherait droit, même s’il fallait l’enfermer pour la mettre au pas !

Elle recula, le rouge aux joues. En se retrouvant adossée à la porte de la cabine, elle s’aperçut qu’elle était prise au piège. Ce qui ne l’empêcha pas de le contredire.

- J’ai du mal à croire que vos hommes voudront d’une femme qui…

- Assez !

Il plaqua les mains sur la porte en bois de chêne, de part et d’autre des épaules de la jeune femme. Elle ne pouvait plus s’échapper.

- Nos passagères ont une semaine pour se choisir un époux. Passé ce délai, je ferai ce qui me chante avec celles qui n’auront trouvé personne. Vous aurez beau vous plaindre, cela n’y changera rien.

- Vous êtes dans l’erreur, protesta-t-elle vivement. Si vous forcez les gens…

- Pourquoi vous montrez-vous aussi têtue ? Vous avez peur que personne ne vous choisisse, c’est ça ?

Le visage de Miss Willis blêmit.

- Comment osez-vous, espèce de sale…

- Ne vous inquiétez pas. Beaucoup d’hommes présents sur ce bateau vous trouvent très belle.

Avant qu’elle puisse l’en empêcher, Gideon dénoua sa coiffe et la fit tomber par terre. Elle le regarda, les yeux écarquillés et le souffle court. Il sentit le désir fondre sur lui, aussi soudainement qu’un orage d’été. Des mèches auburn s’échappaient du chignon où elle les avait rassemblées. Sa chevelure contrastait avec ses yeux d’une belle teinte marron clair, entourés des cils les plus longs et les plus délicats qui soient.

Seigneur, elle était magnifique.

(...)

Gideon enroula une boucle autour de son index. Ce qui sembla tirer Miss Willis de la stupeur où elle était plongée.

- Arrêtez, murmura-t-elle, d’une voix mal assurée.

- Pourquoi ? demanda-t-il en reposant cette belle chevelure sur l’épaule de la jeune femme.

Décidément, il n’avait jamais vu une peau aussi douce. Elle réclamait presque qu’on la touche !

Elle sursauta quand il laissa courir un doigt le long de la courbe de son cou.

- C’est… inconvenant, dit-elle.

Ce mot le fit sourire.

- Inconvenant ? Les limites de l’inconvenance ont été franchies dès l’instant où vous avez quitté le Chasteté. Vous êtes sur un bateau pirate, vous vous souvenez ? Seule dans une cabine avec un célèbre capitaine… Vous avez perdu votre coiffe… Et je suis à deux doigts de vous embrasser.

Dans la seconde où il prononça ces mots, Gideon sut que c’était une erreur — et pas seulement à cause de l’air outré de la beauté face à lui. L’embrasser ? Ce serait prendre un risque énorme. Non, elle n’était pas faite pour lui.

Sauf qu’il voulait la goûter une fois. Rien qu’un peu.

Avant qu’elle ose protester, il posa la bouche contre la sienne.

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Une pensée traversa son esprit embrumé. Gideon avait tenu sa promesse. Il l'avait pervertie. Et à sa grande honte, elle ne le regrettait pas.

Que c'était bon d'avoir le diable au corps.

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- Si c'est un mari que vous cherchez, vous feriez mieux de jeter votre dévolu sur moi. Toutes les pièces de la machine sont en ordre de marche.

Louisa esquissa un sourire glacial en se dégageant le bras.

- Ah oui, vraiment? Alors trouvez-vous une épouse qui sera ravie de les huiler et les lustrer pour qu'elles ne rouillent pas. En ce qui me concerne, je risquerai de les briser en mille morceaux.

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Si vous ne vous sentez pas capable d’enseigner, faites autre chose, c’est la meilleure solution. Ce que je veux, ce sont des personnes compétentes. Si vous n’êtes pas à la hauteur, n’empêchez pas les autres de faire des progrès.

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« Votre mari est votre souverain, votre vie, votre gardien,

Votre chef, votre roi ; celui qui s’occupe de votre bien-être

Et, pour votre subsistance, livre son corps

À de pénibles travaux, sur mer et sur terre. »

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** Extrait offert par Sabrina Jeffries **

Chapitre 2

« On ne mesure la force de la vertu des hommes qu’en l’éprouvant directement. Il est donc primordial de renoncer à la tentation de le faire. »

LADY MARY WORTLEY MONTAGU, figure de la haute société anglaise

* * *

Une semaine après cette conversation avec son demi-frère, Sara se tenait sur le pont du Chasteté. L’aube venait de poindre et l’océan ressemblait à un tapis ondoyant. Une vraie merveille. Elle n’y avait jamais prêté attention, si ce n’était deux jours plus tôt, quand ils avaient quitté la Tamise pour prendre le large, mais le caractère changeant de l’élément marin lui plaisait déjà !

Le premier jour, l’Atlantique avait été comme un dragon fougueux capable de porter les vaisseaux sur son dos toujours en mouvement. De son souffle puissant, il avait aspergé leurs visages d’embruns et ses crocs liquides avaient mordu la proue avec férocité, forçant le trois-mâts à se fracasser sur chaque vague.

Pour l’heure, les flots étaient plus calmes. On aurait dit un cheval à bascule qui entraînait doucement le bateau dans son mouvement. Sara se remplit les poumons de cet air vif et iodé, si différent des miasmes malodorants de Londres. Dieu merci, elle avait échappé au mal de mer dont souffraient la plupart des passagères. Comme si elle était faite pour naviguer !

— Bien belle journée, pas vrai, miss ? lança soudain une voix derrière elle.

En se retournant, elle vit que l’un des marins se tenait près d’elle, le long du bastingage. Ce n’était pas la première fois qu’elle le croisait : il ne cessait de la regarder avec des yeux curieux. Cet homme lui disait quelque chose… Pourquoi ? Mystère. Personne de sa connaissance ne lui ressemblait. Il devait avoir une trentaine d’années. Avec ses grandes oreilles et ses jambes maigrelettes, on aurait dit l’un de ces singes perchés sur les épaules des joueurs d’orgue de barbarie. Même s’il semblait tout à fait inoffensif, le fait qu’il s’intéresse autant à elle avait de quoi la troubler.

D’ailleurs, il se tenait bien trop près d’elle.

— Oui, murmura-t-elle en s’éloignant. C’est une très belle journée.

Sara tourna à nouveau la tête vers l’océan en ignorant délibérément le marin. Pourvu que cela le dissuade de s’attarder plus longtemps !

Hélas, il décida plutôt de faire un pas vers elle.

— C’est vous qui donnez des cours aux condamnées, pas vrai ? Votre nom, c’est Miss Willis ?

— Oui, nos leçons commencent aujourd’hui.

Lorsqu’il se pencha, elle sentit son cœur s’emballer. Y avait-il quelqu’un dans les parages pour venir à son secours ? Des marins grimpaient sur les gréements au-dessus de sa tête, mais aucun ne l’entendrait. Avait-elle envie pour autant d’appeler à l’aide l’un des vingt-deux membres de l’équipage ? Non, car elle ne leur faisait pas confiance, loin de là. Elle avait déjà dû réprimander l’un de ces gredins qu’elle avait surpris en train de se glisser dans les quartiers réservés aux prisonnières. Heureusement qu’elle était sortie de sa cabine, cette nuit-là !

Où étaient passés le capitaine et les officiers du bord, ce matin ? Et le médecin et son épouse ?

— J’voulais vous parler…, commença l’homme.

Elle rassembla son courage, prête à l’envoyer au diable sans ménagement. Au même moment, on entendit tinter la cloche du bateau. C’était l’heure de la relève.

Plusieurs marins descendirent des gréements tandis que d’autres montaient sur le pont. Sara profita de ce tumulte pour fausser compagnie à cet étrange personnage. Alors qu’elle se précipitait vers le salon où les officiers du bord et elle prenaient le petit déjeuner, elle prit conscience d’une chose : Jordan avait peut-être eu raison de s’inquiéter.

Ne sois pas bête. Il y a bien d’autres passagers sur ce bateau. À l’avenir, ne te promène pas seule sur le pont, c’est tout.

C’était plus facile à dire qu’à faire. Elle ne supporterait jamais de rester enfermée dans sa cabine à longueur de temps ! Pourquoi n’avait-elle personne pour flâner sur le pont avec elle ? La mine basse, elle regarda le capitaine Rogers entrer et prendre place à l’autre bout de la table. Cet homme n’accepterait jamais de lui servir d’escorte ! La cinquantaine, irascible, un peu rude, il préférait diriger son vaisseau plutôt que de parler à la gêneuse que le Comité des Dames avait envoyée à bord.

Et les autres commensaux ? Les officiers étaient trop occupés pour se promener avec elle. Quant au médecin et à sa femme… Il valait mieux être seule qu’aussi mal accompagnée. Elle n’avait jamais vu un couple aussi sinistre : ils passaient leur temps à se demander si le navire n’allait pas essuyer une tempête ou faire naufrage ! Pire : le médecin avait déjà terrifié l’une des toutes jeunes passagères en lui affirmant que son front proéminent la destinait à une vie criminelle. « Comme sa mère », avait-il cru bon d’ajouter.

Sara avait réussi à calmer cette pauvre enfant en lui faisant remarquer que la femme du médecin avait un front de la même forme, caché derrière ses boucles en tire-bouchon.

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** Extrait offert par Sabrina Jeffries **

Chapitre 1

« Qu’il est regrettable de voir les Anglaises rester à leur place et se contenter d’être exquises, alors qu’elles ont le pouvoir de changer les choses… »

HANNAH MORE, écrivaine et philanthrope anglaise

Londres, janvier 1818

À seulement vingt-trois ans, Sara Willis comptait déjà bien trop de situations gênantes à son actif. Il y avait eu cette fois, à sept ans, où elle avait été surprise en train de dérober des biscuits dans la grande cuisine de Blackmore Hall. Peu de temps après, elle était tombée dans une fontaine le jour où sa mère avait épousé son beau-père, le comte de Blackmore. Et puis il y avait eu ce bal, quelques mois plus tôt, où elle avait par mégarde présenté la duchesse de Merrington… à la maîtresse de son mari.

Mais tout cela n’était rien comparé au fait de devoir obéir à son demi-frère alors qu’elle sortait de la prison de Newgate. Jordan Willis — devenu comte de Blackmore, vicomte Thornworth et baron Ashley à la mort de son père — n’était pas homme à contenir sa mauvaise humeur, ce que de nombreux membres du Parlement avaient appris à leurs dépens. À peine l’eut-il aperçue qu’il la poussa telle une enfant capricieuse vers la voiture qui les attendait. Quel mufle ! Comment pouvait-il la traiter avec aussi peu d’égard ?

Elle entendit ses amies du Comité des Dames pouffer de rire quand il ouvrit en grand la porte avec un regard noir.

— Dans la voiture, Sara. Exécution.

— Écoutez, Jordan, vous n’avez pas besoin de vous montrer aussi désag…

— J’ai dit : exécution !

Sara ravala sa rage et sa gêne puis grimpa avec autant de dignité que possible dans le véhicule qu’on avait expressément dépêché. Jordan monta à son tour, fit claquer la portière, puis s’installa sur la banquette face à elle avec tant de brusquerie que le fiacre tangua.

Tandis qu’il donnait l’ordre au cocher de lancer ses chevaux, elle adressa un regard navré à ses amies à travers la fenêtre. Elle était censée les rejoindre chez Mrs Fry pour prendre le thé, mais cela risquait d’être quelque peu compromis…

— Bon sang, Sara, arrêtez de faire cette tête et regardez-moi !

Calée contre les coussins damassés, elle se tourna vers son demi-frère. Il allait regretter de s’être comporté comme le dernier des goujats ! Elle renonça pourtant à ouvrir la bouche en le voyant froncer les sourcils, l’air menaçant. Jordan avait un sacré tempérament, mais ce n’était pas une raison pour qu’il se passe les nerfs sur elle ! Toute la bonne société londonienne ou presque était du même avis : la colère le rendait vraiment effrayant.

— Dites-moi, Sara, lança-t-il d’un ton brusque, comment me trouvez-vous, aujourd’hui ?

S’il lui posait cette question, c’était qu’il n’était peut-être pas si fâché que ça, après tout. Les mains sur les cuisses, elle l’observa attentivement. Il avait noué sa cravate de travers, ce qui ne lui ressemblait pas. Il avait les cheveux en bataille, comme toujours ; quant à sa redingote et son pantalon, ils auraient eu besoin d’un bon coup de brosse.

— Assez débraillé, pour être honnête. Il faudrait vous faire raser et vos vêtements sont…

— Justement, pourquoi ai-je l’air aussi négligé, d’après vous ? Savez-vous ce qui m’a poussé à rouler à tombeau ouvert, sans même prendre le temps de dormir ou de m’habiller convenablement ?

Signe de son agacement, ses sourcils bruns formaient une ligne qui lui barrait le front.

Elle essaya de l’imiter. Peine perdue. Se mettre en colère ? Ce n’était pas dans ses habitudes.

— Vous étiez impatient de me revoir ? hasarda-t-elle.

— Il n’y a pas de quoi rire.

Il était tout aussi cassant avec les mères qui lui présentaient leurs filles dans l’espoir qu’il épouse celles-ci.

— Vous savez très bien ce qui m’amène. Inutile de jouer les charmeuses, votre projet absurde ne m’a pas échappé ! Et ça ne se passera pas comme ça !

Seigneur. Il n’était quand même pas au courant !

— Quel projet absurde ? bafouilla-t-elle. Avec le Comité des Dames, nous avons distribué de quoi manger aux malheureux de Newgate, c’est tout.

— Cessez de mentir, Sara, cela ne vous réussit pas. Ce n’est pas pour ça que vous étiez ici, et vous le savez très bien.

Jordan croisa les bras sur sa redingote cintrée. D’un simple regard, il la mit au défi de le contredire.

Avait-il appris la vérité ? Ou était-il en train de prêcher le faux pour savoir le vrai ? Avec lui, il n’était jamais aisé de se forger une opinion. Elle avait eu ce sentiment dès l’époque où elle s’était installée à Blackmore Hall, après le second mariage de sa mère. Même quand il n’avait que onze ans, Jordan était très difficile à cerner, surtout les fois où il essayait de lui tirer les vers du nez.

Soit ! Elle n’avait qu’à se montrer aussi impénétrable que lui. À son tour, elle croisa les bras pour le singer et demanda :

— Alors pourquoi étais-je à Newgate, vous qui êtes un vrai puits de science ?

Personne ne pouvait se moquer de Jordan impunément. S’il acceptait de la laisser faire, c’était uniquement parce qu’il l’aimait comme une sœur, même s’ils n’étaient pas du même sang. À en juger par les éclairs dans ces yeux noisette, elle allait de toute évidence trop loin.

— Pour rencontrer les femmes qui seront envoyées en exil en Nouvelle-Galles du Sud. Le bateau appareille dans trois jours et vous nourrissez le projet absurde d’embarquer avec elles.

Sara voulut protester, mais il ajouta :

— N’essayez pas de nier. Hargraves m’a tout raconté.

Quoi ? Leur majordome avait vendu la mèche ? Lui qui avait toujours été si loyal envers elle ! Comment avait-il pu trahir sa confiance ? Ah, le scélérat !

La mine basse, elle s’adossa à la banquette et contempla le ciel brumeux et humide, lourd de nuages aussi épais que de la crème fouettée. Leur fiacre traversait Fleet Street. En temps normal, c’était un plaisir d’observer l’agitation frénétique de ceux qui y travaillaient. Des journalistes, des imprimeurs — des gens qui essayaient de tirer leur épingle du jeu. Mais pour l’heure, rien n’avait le pouvoir de la réjouir.

— Quand j’ai reçu la lettre de Hargraves, poursuivit Jordan d’une voix pincée, j’ai tout laissé en plan et je suis venu à Londres. Il fallait bien que quelqu’un se charge de vous ramener à la raison, et vite.

— C’est la dernière fois que je fais confiance à Hargraves, marmonna-t-elle.

— Vous avez tort de réagir ainsi, Sara. Je vous l’ai déjà dit : vous ignorez peut-être le danger que représentent cette illuminée de Mrs Fry et son Comité des Dames. Pas moi.

L’inquiétude qui perçait dans sa voix s’accentua.

— Hargraves est heureux que vous tentiez de changer les choses, mais il n’est pas dupe. Il sait combien votre projet est hasardeux. Il a simplement fait son devoir en me mettant au courant de ce que vous aviez en tête. Dans le cas contraire, je l’aurais congédié, et il en est conscient.

Elle regarda son demi-frère. C’était un bel homme, impossible de le nier. Il avait des cheveux auburn et des yeux noisette si proches des siens… Les gens pensaient souvent qu’ils étaient frère et sœur. C’était parfois attendrissant de le voir tout faire pour la protéger. Mais la plupart du temps, c’était plus qu’agaçant. S’il n’avait pas été aussi accaparé par ses responsabilités au Parlement, elle n’aurait jamais pu s’engager dans ce projet. Et qu’importe si ce dernier était dangereux ou contraire aux bonnes mœurs !

— Comprenez-moi bien, Sara, ajouta-t-il, je ne suis pas opposé à l’idée de changer les choses. Les activités du Comité des Dames est louable. Sans elles, il y aurait davantage d’orphelins dans les rues, de petits qui ne mangent pas à leur faim…

— Davantage de femmes quasiment réduites à la prostitution parce qu’elles ont osé voler du pain pour leurs enfants !

Cette situation était si révoltante !

Elle poursuivit :

— On envoie ces malheureuses à l’autre bout du monde pour une faute somme toute minime. Parce qu’on a besoin de femmes en Australie !

— Je vois. D’après vous, aucune ne mérite d’être jetée en prison, répondit-il sèchement.

— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Beaucoup sont des voleuses et des prostituées… voire pire, c’est vrai. Mais pour une bonne moitié d’entre elles, c’est la pauvreté qui les a poussées à se mettre hors la loi. Vous devriez les écouter raconter leurs « crimes odieux » : certaines volent de vieilles fripes pour les échanger contre un repas ou un shilling. Une femme a été condamnée à l’exil après avoir dérobé quatre choux dans un champ. Quatre choux, bonté divine ! Pour le même délit, un homme aurait tout juste reçu une petite tape sur la main.

Jordan prit un air solennel pour lui répondre :

— Je sais qu’il y a des injustices, petite sœur. Mais c’est au Parlement qu’il faut les combattre, en faisant voter de nouvelles lois.

Petite sœur… Il l’appelait toujours de cette manière pour l’amadouer.

— Le Parlement a abandonné la responsabilité de ces femmes au Conseil de la marine, rappela-t-elle. Quitte à fermer les yeux sur ce qui se passe pendant la traversée.

L’humidité du fiacre était loin, très loin du froid glacial avec lequel vivaient ces femmes à Newgate. Et de celui qu’elles subiraient pendant leur voyage.

— Dès l’instant où elles poseront le pied à bord, l’équipage leur fera des avances. Ces bateaux deviendront des bordels flottants jusqu’à ce qu’elles arrivent à destination. Une fois là-bas, ceux qui mettront la main sur elles seront encore pires ! N’est-ce pas une punition trop dure pour une femme qui a volé du lait pour son enfant ?

— Et vous espérez me convaincre de vous laisser embarquer sur l’un de ces navires atroces ?

— Oh ! les hommes ne m’importuneront pas, rassurez-vous, mon frère. Ils ne s’en prendront qu’à leurs prisonnières car ces malheureuses ne peuvent pas se défendre.

— Ils ne vous importuneront pas ? répéta-t-il d’un ton sarcastique. Ce que vous dites est d’une naïveté… Enfin, Sara, ces bateaux ne sont pas faits pour…

— Quelqu’un qui veut changer les choses ?

Au même moment, le fiacre tangua en roulant sur un nid-de-poule. Quand la route fut plus carrossable à nouveau, elle ajouta :

— Ce serait pourtant nécessaire dans ce genre d’endroit.

— Et pourquoi pensez-vous que votre présence changerait quelque chose, sacré nom de Dieu ?

Elle grimaça en l’entendant jurer. Malheureusement, ce n’était pas le moment de le sermonner.

— Vos amis du Parlement ont ignoré les protestations des missionnaires qui se lancent dans ce même voyage. Mais ils n’ignoreront pas la sœur du comte de Blackmore si elle leur dresse un compte rendu impartial des conditions déplorables dans lesquelles vivent ces femmes, tant sur ces bateaux qu’en Australie.

— Effectivement ! admit-il en se penchant en avant, ses mains gantées agrippées à ses genoux. Ils ne vous ignoreront pas — si et seulement si vous y allez. Mais puisqu’il n’y a aucune chance pour que je vous laisse partir…

— Vous ne pouvez pas m’en empêcher. Je suis assez grande pour me rendre là où je le souhaite, avec ou sans votre permission. Même si vous m’enfermez dans ma chambre, je trouverai un moyen de m’échapper — et si ce n’est pas à temps pour ce voyage, ce sera pour le suivant.

Sara recula légèrement. Jordan avait l’air si furieux qu’il semblait à deux doigts de se transformer en bête sauvage. Seigneur, ce que cet homme pouvait être irascible ! La femme qui l’épouserait serait bien avisée d’avoir une patience d’ange.

— Si vous ne me croyez pas capable de vous arrêter, pourquoi avez-vous profité que je sois loin de Londres pour mettre votre plan à exécution ?

— Parce que je voulais éviter cette discussion. Parce que je tiens trop à vous pour que nous nous disputions, Jordan.

Il marmonna un juron qu’elle eut du mal à entendre.

— Alors pourquoi partir, si vous tenez tant à moi ?

— Allons, Jordan, soupira-t-elle, mon absence risque de vous faciliter l’existence. Vous aurez sûrement moins de mal à gérer vos affaires si vous n’avez plus à vous inquiéter pour moi.

Il fallait environ six mois pour se rendre en Nouvelle-Galles du Sud, et autant pour en revenir : elle ne serait absente qu’un an.

— Ne plus m’inquiéter pour vous ? Que vais-je faire pendant tout ce temps, d’après vous ? s’insurgea-t-il en tapant du poing contre la cloison de la voiture. Bon sang, Sara, les navires font naufrage ! Il y a des épidémies, et le risque d’une mutinerie n’est pas à prendre à la légère…

C’était tout Jordan ! Il envisageait toujours le pire, aussi absurde que ce soit.

— Sans parler des pirates. Nous serions un joli butin pour eux, fit-elle remarquer avec un léger sourire.

Il se passa la main dans les cheveux, ce qui les ébouriffa encore plus.

— Vous trouvez ça drôle, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas idée des risques que vous prenez.

— Si, contrairement à ce que vous pensez. Mais il faut parfois se mettre en danger pour que les choses changent.

Une lueur triste traversa le regard de Jordan et il secoua la tête, la mine basse.

— Vous n’êtes pas la fille de Maude Gray pour rien.

Entendre le nom de sa mère la rasséréna complètement.

— C’est vrai. Et j’en suis fière.

Sa mère avait consacré toute son énergie à faire évoluer les mentalités, depuis le jour où son premier mari, un ancien soldat, avait été jeté en prison pour dettes. Il y était mort. Cela ne l’avait pas arrêtée. C’était sans doute cet altruisme exceptionnel qui avait séduit le père de Jordan, le comte de Blackmore, un fervent défenseur du progrès. Elle avait sollicité son aide pour sensibiliser les membres de la Chambre des lords à la nécessité de transformer les prisons : ils s’étaient rencontrés à cette occasion. Ils étaient tombés amoureux au premier regard ou presque. Même après leur mariage, cette femme merveilleuse n’avait pas renoncé à sa volonté de faire évoluer la société.

Le cœur de Sara se serra. Cela faisait maintenant deux ans qu’elle était morte d’une longue et douloureuse maladie.

Ce souvenir lui fit monter les larmes aux yeux. Elle les sécha d’un revers de la main puis caressa le médaillon argenté de sa mère, qui ne la quittait jamais.

— Elle vous manque toujours autant.

La voix douce de Jordan rompit le silence qui s’était installé.

— Il ne s’écoule pas un jour sans que je pense à elle.

La voir émue avait dû le mettre mal à l’aise. Il suffisait de regarder la façon dont il agrippait le tissu de son pantalon.

— Je tenais beaucoup à votre mère, vous savez. Elle m’a traité comme son propre fils à une époque où… je me moquais du fait d’être materné.

Sara hocha la tête. Jordan avait toujours entretenu une relation très particulière avec sa propre mère, la défunte Lady Blackmore. Tout juste un an après le décès de celle-ci, il avait vu son père se remarier. Mais c’était un sujet qu’ils avaient toujours paru éviter. Sara elle-même ne lui avait jamais posé beaucoup de questions à ce propos.

— Quoi qu’il en soit, s’empressa-t-il d’ajouter, votre mère me manque, à moi aussi. Et j’ai toujours admiré sa volonté de faire évoluer la société.

— C’était également le cas de votre père.

— Certes, mais il aurait désapprouvé votre projet. Il vous aurait conseillé de rester en Angleterre et…

— Et faire quoi ? Donner à manger aux pauvres ? Me rendre de temps en temps dans les prisons londoniennes tout en essayant de déjouer vos plans pour me trouver un mari ?

Il grimaça et elle regretta sur-le-champ cette remarque acerbe. Ce n’était pas dans son intention de le mettre en colère.

— Mes plans pour vous trouver un mari ? s’étrangla-t-il. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais pourquoi vous tenez tant à me voir participer à ces événements mondains !

Elle attrapa les mains de Jordan. Raides et gelées, même à travers le cuir souple de ses gants.

— Si vous me jetez dans les bras de tous ces bons partis, c’est dans l’espoir que l’un d’entre eux ait pitié de moi et me demande en mariage. Avouez !

— Comment osez-vous dire une chose pareille ? s’exclama-t-il en retirant ses mains d’un air outré. Vous êtes belle, intelligente et pleine d’esprit. Si vous rencontrez l’homme idéal…

— L’homme idéal n’existe pas, affirma-t-elle. Essayez de vous mettre ça dans la tête !

— Vous m’en voulez encore au sujet du colonel Taylor. La voilà, la vérité. Vous avez rejeté tous ceux qui vous ont été présentés parce que j’ai refusé de vous laisser le fréquenter.

— Bien sûr que non ! C’était il y a cinq ans, bonté divine ! D’ailleurs, j’aurais pu l’avoir si je l’avais voulu.

Face au regard interrogateur de Jordan, Sara hésita, partagée entre sa fierté et le besoin de faire comprendre à cet entêté ce qu’elle éprouvait. Ce fut ce second sentiment qui finit par l’emporter.

— Je… Je ne vous en ai jamais parlé auparavant, mais vous souvenez-vous de la nuit où vous avez tout révélé à votre père ? La nuit où il m’a menacée de me priver de ma dot si j’épousais cet homme ?

— Difficile de l’oublier, vous m’en vouliez tellement !

— Eh bien… Plus tard, cette nuit-là, je me suis éclipsée pour voir le colonel Taylor en secret.

Une stupeur non feinte se peignit sur le visage de Jordan.

— Que dites-vous ?

— Je suis allée chez lui… pour lui proposer de nous enfuir ensemble.

Elle détourna la tête. Impossible de regarder son frère dans les yeux, ce souvenir était trop honteux.

— Il a refusé. Manifestement, c’était un hypocrite, vous aviez raison de me mettre en garde. Ce qui l’intéressait chez moi, c’était mon héritage. Et j’étais trop stupide pour m’en rendre compte.

Et maintenant qu’elle avait fait cet aveu, qu’allait dire Jordan ? Sans doute allait-il lui répéter qu’elle avait pris trop de décisions irréfléchies. Mais quand il posa doucement la main sur son genou, elle dut ravaler d’autres larmes.

— Non, petite sœur, répondit-il d’une voix pleine de tendresse. Vous étiez jeune, tout simplement. À cet âge, les femmes suivent leur cœur. Et comme dit le proverbe, l’amour est aveugle. Vous ne pouviez pas voir sa vraie nature.

— J’aurais dû, pourtant ! Tout le monde avait vu clair dans son jeu — vous, votre père, et même maman. J’étais la seule à ne me rendre compte de rien.

— Est-ce pour cette raison que vous rejetez tous vos autres soupirants ? Parce que vous les croyez capables de vous mentir ?

Elle se mit à entortiller l’un des rubans de sa robe bleue autour de son index ganté.

— Quand maman est tombée malade, je n’avais pas la tête à ce genre de choses. Après sa mort… quelque chose en moi s’est brisé. Le choc a été si rude, je n’ai plus la certitude d’arriver à faire la différence entre les chasseurs de dot et les hommes dignes de confiance.

— Vous ne pouvez pas accuser l’un de mes amis d’avoir des vues sur votre fortune ! Prenez St. Clair, par exemple. Certes, ce n’est pas l’homme le plus riche d’Angleterre, mais il n’est pas vénal. Et il ne tarit pas d’éloges sur votre beauté.

— St. Clair n’accepterait jamais que je sois aussi active. Ce qu’il cherche, c’est une maîtresse de maison, pas une femme désireuse de changer le monde. Par ailleurs, ajouta-t-elle avec une pointe d’ironie, il aime le saumon. Et je ne pourrais pas supporter un homme qui aime manger une chose pareille !

— Soyez sérieuse, Sara. Beaucoup d’hommes pourraient vous convenir.

— Pas autant que vous le pensez, répondit-elle en serrant son ruban encore plus fort. Les hommes en dessous de ma condition sont attirés par ma fortune, et ceux qui sont au-dessus n’ont pas envie d’une épouse qui rebattra les oreilles de leurs amis avec ses désirs de changement.

Jordan eut un haussement d’épaules.

— Alors trouvez quelqu’un entre les deux.

— Cela n’existe pas. Je suis une roturière adoptée par un comte, mais sans ascendance particulière. Je ne suis pas de votre monde, je n’en ai jamais fait partie. Le seul endroit où je me sens à ma place, c’est auprès du Comité des Dames, où les hommes sont rares, vous vous en doutez.

Ce qu’elle n’osait pas dire, c’était qu’elle s’imaginait mal passer le reste de sa vie avec les hommes de son rang qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer. Les amis de Jordan étaient très gentils, mais ils préféreraient sûrement mener une vie paisible plutôt que de se rendre utiles au monde qui les entourait. Et aucun d’eux ne la comprenait. Pas un seul.

— Bon sang, Sara, si cela pouvait vous empêcher de partir, moi, je vous épouserais. Nous ne sommes pas du même sang. Nous pourrions nous marier, j’imagine…

— Que d’enthousiasme ! s’esclaffa-t-elle.

Vu ce que Jordan pensait du mariage, c’était surprenant de l’entendre proposer une chose pareille. Elle essaya de se représenter mariée avec lui. Mais non, enfin, quelle idée !

— Vous n’y pensez pas ! C’est impossible, et vous le savez bien. Nous ne sommes pas véritablement frère et sœur, mais c’est tout comme. Nous ne pourrions jamais nous marier.

— En effet.

Il semblait profondément soulagé de la voir refuser cette proposition tout à fait incongrue.

— De toute manière, cela ne vous empêcherait pas de partir, je me trompe ?

— Non, j’en ai peur. Allons, Jordan, ce bateau n’est sûrement pas si horrible. La plupart de ces femmes ont été condamnées pour des délits mineurs. Le médecin du bord embarquera avec son épouse, et certains missionnaires anglicans en ont fait autant dans le passé. Je serai parfaitement en sécurité.

Ils venaient de s’engager dans le Strand, cette grande artère si animée de la capitale. Jordan jeta un œil par la fenêtre comme pour chercher des réponses dans les vitrines de ces magasins qui avaient toute la bonne société pour clientèle.

— Et si vous preniez un domestique pour vous protéger ?

Elle lui lança un regard en coin. Il était en train de lâcher prise, cela ne faisait aucun doute. Il ne restait plus à Sara qu’à choisir habilement ses mots.

— C’est impossible. Il faut que notre lien de parenté reste un secret. Je suis censée être une enseignante célibataire. Je donnerai des cours aux condamnées et à leurs enfants, comme l’ont souvent fait les missionnaires.

— Car les enfants de ces malheureuses sont du voyage ?

Le simple fait de penser à ces pauvres petits forcés d’embarquer sur ces bateaux la fit bouillir.

— Oui, chaque passagère est autorisée à les prendre avec elle, à condition que les garçons aient moins de six ans, et les filles, moins de dix. Imaginez un peu ce qu’ils vont traverser, eux aussi.

Jordan resta muet un instant, comme s’il méditait ce qu’elle venait de lui expliquer.

— Pourquoi devez-vous voyager incognito ?

— Je compte coucher noir sur blanc chacune des exactions commises à bord. Si le capitaine et l’équipage savent que je suis votre sœur, ils agiront à l’abri des regards indiscrets. Nous souhaitons dresser un tableau impartial des conditions de voyage. Voilà pourquoi nul ne doit être au courant du lien qui nous unit.

— Cela ne m’empêche pas d’envoyer quelqu’un…

— En tant qu’enseignante, Sara Willis ne voyagerait jamais avec un domestique, soyez-en sûr.

— Formidable ! s’exclama-t-il d’un ton sarcastique. Vous serez donc livrée à vous-même.

D’un ton qui se voulait léger, elle répondit :

— Je n’ai pas besoin d’un chaperon. Souhaitez-vous me faire comprendre que je suis trop empotée pour me passer d’une femme de chambre quelque temps ?

— Ce n’est pas le cas, et vous le savez parfaitement. Vous comptez donc embarquer à bord du Chasteté ? Bon sang, il y a de quoi rire en entendant le nom de ce bateau…

Sara foudroya Jordan du regard et il tourna aussitôt la tête vers la fenêtre. Ils n’étaient plus très loin de la résidence londonienne des Blackmore, sur Park Lane, une majestueuse demeure de style palladien qui semblait faite pour impressionner les simples mortels qui auraient osé s’aventurer dans ces pièces immenses.

Elle se rappelait encore combien ces colonnes titanesques et ces innombrables fenêtres l’avaient intimidée quand sa mère et elle étaient venues dîner là-bas pour la première fois. Mais son beau-père l’avait aussitôt aidée à se sentir à l’aise. Il lui avait proposé de voir la portée de chiots que la chienne de la maison venait de mettre au monde dans la cuisine. Ce qui l’avait conquise.

Parfois, il lui manquait autant que sa mère. Elle n’avait jamais connu son vrai père, mais Lord Blackmore avait si merveilleusement tenu ce rôle qu’elle l’avait toujours considéré comme tel. Il avait aimé sa mère de tout son cœur. Le voir disparaître un an après sa chère épouse les avait bouleversés, Jordan et elle. À dire vrai, ces deux pertes consécutives n’avaient surpris personne. Leurs parents n’avaient jamais aimé être séparés.

Le fiacre tangua au moment de s’immobiliser. Jordan bondit sur le trottoir recouvert de verglas puis aida Sara à descendre. Mais au lieu de lui lâcher la main, il lui attrapa l’autre.

— Que puis-je dire pour vous convaincre de renoncer ?

— Rien. Ma décision est prise. Ne vous inquiétez pas autant, Jordan. Tout va bien se passer.

— Vous êtes la seule famille qu’il me reste, petite sœur. Et je n’ai pas envie de vous perdre.

— Vous ne me perdrez pas, répondit-elle d’une voix mal assurée. Cette année va vite passer et je serai de retour en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

* * *

Un an. Cela lui paraissait une éternité. Même s’il resta muet quand elle lui attrapa le bras pour entrer dans la maison à ses côtés, il avait envie de hurler, de pousser de grands cris, de la secouer comme un prunier. Une femme de son rang au milieu de ce bagne flottant ! C’était de la folie !

Hélas, il ne pouvait pas faire grand-chose pour la convaincre de renoncer. Si seulement son père avait encore été de ce monde…

Non, même lui aurait été incapable de faire plier Sara. La façon dont elle avait rejoint le colonel Taylor en catimini en était la meilleure preuve.

Que le diable l’emporte, celui-là ! Sans cette canaille, à l’heure qu’il était, elle aurait peut-être vécu aux côtés de son époux et de leurs deux enfants au lieu de rêver de lever l’ancre pour l’Australie. Tout cela était d’un grotesque achevé.

Hargraves la débarrassait de son manteau et elle lui lança un regard accusateur.

Le pauvre, il rougissait jusqu’au sommet de son crâne dégarni !

— Je suis navré, miss. Vraiment navré.

Comme d’habitude, elle s’adoucit devant la mine contrite du majordome, puis lui serra gentiment la main en murmurant :

— Ce n’est rien. Vous ne faisiez que votre devoir.

Sur ces mots, elle grimpa l’escalier recouvert d’un épais tapis. Jordan la laissa s’éloigner sans la quitter des yeux. Cette jeune femme avait un cœur d’or et une générosité sans égale. Comment survivrait-elle sur ce navire infernal ? Œuvrer aux côtés du Comité des Dames lui avait donné un aperçu de la misère humaine. Une fois à bord, elle serait coincée sur ce bateau au moins un an. Sans protection. Seule.

Il observa sa taille fine, les boucles de cheveux auburn qui s’échappaient de son chignon, sa démarche si féminine, et il laissa échapper un soupir. Sara n’avait pas conscience de son charme. Elle se sentait peut-être très mal à l’aise en société, mais cela n’avait jamais empêché les hommes de la désirer. Bien au contraire. L’année où elle avait fait son entrée dans le grand monde, il avait dépensé une énergie folle pour écarter les soupirants les plus assidus de sa sœur.

Sans être extraordinairement belle, malgré son allure des plus distinguées, elle attirait les hommes par son intelligence et l’immense gentillesse qu’elle témoignait à tout un chacun. À ses yeux, le rang social n’avait pas la moindre importance. Une vieille fille aigrie et à la mine sévère n’aurait pas à craindre les marins du Chasteté, contrairement à Sara. Comment la laisser prendre la mer sans protection ?

Très bien, puisque lui interdire de partir ne servait à rien, il n’avait plus qu’une solution : trouver le moyen d’assurer sa sécurité.

Une fois Sara suffisamment éloignée, Jordan prit Hargraves à part.

— Connaissez-vous des marins ?

— Oui, monsieur.

Aussi inexpressif qu’à l’accoutumée, le majordome le débarrassa de son manteau et de son chapeau.

— Mon frère cadet, Peter, exerce cette profession.

Et soudain, un plan commença à se former dans l’esprit de Jordan.

— Est-il capable de se défendre ? Ou de défendre quelqu’un ?

Hargraves lui jeta un regard en coin.

— Il a servi dans la marine pendant six ans avant de s’engager sur un bateau marchand. Dans mon souvenir, il avait une assez bonne droite. Mais nous nous voyons rarement puisqu’il est en mer la plupart du temps.

— Et en ce moment ?

— Il se trouve qu’il est de retour sur la terre ferme depuis deux semaines.

— Excellent. Serait-il prêt à reprendre la mer d’ici quelques jours ? Cela pourrait lui rapporter une coquette somme d’argent.

Le majordome hocha la tête.

— Je n’en doute pas. Il n’est pas marié. Et il ne peut rien me refuser.

— Demandez-lui de venir ici demain à 10 heures. Et assurez-vous que Sara ne le voie pas. C’est compris ?

— Bien sûr, répondit Hargraves d’un air de conspirateur. Soyez sans crainte, milord, Peter est l’homme qu’il vous faut.

— Je l’espère.

Avec un sourire, Jordan laissa repartir son domestique. Parfait, il avait peut-être trouvé le moyen de garder un œil sur Sara pendant son long voyage. Encore fallait-il que Peter Hargraves soit digne de confiance. Si c’était le cas, quelqu’un veillerait sur sa sœur à bord du Chasteté. Qu’elle le veuille ou non.

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Extrait offert par Sabrina Jeffries :

Sara Willis looked around, feeling a sharp lurch of despair at the sight of the cabin’s lush interior and well-stocked gun cabinet. This wasn’t the cabin of a honest man, who would take pity on her hapless pupils. This was the cabin of a licentious murderer. And there would be no mercy for them, none at all.

“The captain will be with you in a moment,” Mr. Kent murmured before leaving.

She scarcely heard him. She was too busy scanning her surroundings. Every piece of furniture was made of the best mahogany, from the desk cluttered with instruments and papers to the cabinet that held guns and knives of every description behind its cut crystal doors. The royal blue curtains were shot through with gold threads, and a Persian carpet lay on the floor, an obvious extravagance where water was a constant threat.

But most alarming was the large mahogany bed presiding over one corner of the spacious cabin, its posts carved with the same satyr motif that graced the ship’s figurehead. A coverlet of insolent red silk was draped over the plush mattress, with a heap of jet-black pillows at one end. She walked to the bed in a trance, wondering aloud what debaucheries and horrors had been committed there.

Involuntarily, she reached out to touch the patterned scarlet silk as a sudden vivid image of the dark-haired pirate captain rose up in her mind. He must have had many women on this bed. A strange heat spread through her body to think of him bending over a woman, touching her body with those large hands, kissing her with that firm, mocking mouth—

“Looking for signs of ‘thievery, pillage, and rape,’ Lady Sara?” came a sarcastic voice behind her.

She whirled away from the bed, her cheeks glowing crimson to hear him quote her earlier words. Good heavens, it was him, the pirate captain himself. How utterly mortifying! Now she had something new to add to her list of humiliating experiences.

He closed the door, a smile playing over his lips. “The coverlet belonged to an obnoxious viscount on his way to America to marry an heiress,” he said as he removed the saber from his belt and hung it on a hook by the door. Then he strode to his desk and cast her a brazen look. “I enjoyed removing it from the bed he was sharing with his mistress.”

She winced, remembering what Mr. Kent had said about the captain’s hatred of the nobility. Perhaps she should tell him the truth about her own dubious connections. That might make him more inclined to listen to her pleas. “Captain Horn, I think I should…er…set you straight on one matter. I’m not actually a lady–not in the sense you mean it anyway.”

Although she dropped her gaze from him, she could feel the force of his disapproval as he approached her. “You’re not the Earl of Blackmore’s sister?”

“Well, yes, I am. His stepsister.” She swallowed hard. “His father, the late Earl of Blackmore, adopted me after marrying my widowed mother. So I’m not really Lady Sara, you see, but Miss Willis.”

He studied her, as if he wished to open up her mind and peer inside. Never had a man looked at her with such concentration. It was unsettling, to say the least.

She dropped her eyes from his, searching for something to say that would shift that intensity away from her. “In any case, I’m sure that’s not what you brought me here to discuss.”

That shook him out of his silence. “Certainly not.” Moving behind his desk, he sat down in the armchair, then gestured to a chair near her. “Sit down, Lady Sara.”

Though she did as he said, she protested, “I told you. You can’t call me—”

“I’ll call you whatever I damned well please.” His gaze skimmed her body before snapping back to her face. “It’ll remind me that the great earl, your stepbrother, is searching the seas for you.”

His sarcasm brought her up short. Why, he wasn’t afraid of Jordan, not one jot. No doubt her revelation had made him assume that Jordan was no longer a threat to him. “The fact that Jordan is my stepbrother rather than my brother doesn’t change a thing, Captain Horn. He still won’t forget about me. I assure you he’ll be after you just as soon as he learns what happened. There’ll be warships hunting you everywhere. You won’t be able to sail for fear of my stepbrother.”

Her words didn’t have the effect she’d intended. A smile spread across his handsome face. “Then it’s just as well we’re not sailing anywhere else once we reach our destination.”

“What do you mean?”

He shrugged. “We’re retiring from piracy, my men and I. That’s why we need wives.”

That stunned her into temporary silence. She glanced around the cabin at the gold fittings and extravagant comforts. “Retiring?”

“Yes. Retiring. Piracy’s a dangerous profession, and my men and I have enough spoils to make us comfortable. We don’t wish to end our illustrious career by kicking the clouds, if you know what I mean.”

She nodded mechanically. She’d done enough reform work at Newgate to recognize the cant for hanging. But retiring? Pirates retiring?

Settling back in his chair, he laced his fingers together over his stomach and surveyed her with his disconcerting gaze. It seemed to touch her mouth, her cheeks, even her well-covered bosom. If another man had looked at her like that, she would have been appalled. So why did her pulse quicken when he did it?

“Fortunately,” he went on, his tone lower, huskier, “my men and I have found an island inhabited only by wild pigs. It has a fresh water stream and lush vegetation, and it’s large enough to support a substantial population. So we’ve decided to settle there, to build our own country.”

His gaze grew dark, almost mesmerizing. “There’s only one problem, you see. We have no women. And a colony without women . . . well, you can understand our dilemma.”

The smile he gave her then was so unexpectedly charming, she had to force herself not to respond to it. She didn’t want to be charmed by this…this wicked scoundrel. She didn’t want that at all. “But why these women? Why not pick wives in the Cape Verdes or—”

“Why do you think we were in Santiago?” He glanced away. “Unfortunately, few women wish to travel to an unknown island where they’ll be cut off forever from their families and expected to do their part in making it livable. Even the…er…ladybirds find that a less than tempting proposition.”

Ladybirds indeed. A blush rose to her cheeks despite her attempts to stop it. She shifted uncomfortably in her seat. “Can you blame them?”

His gaze was on her again, and he smiled as if he took great delight in her embarrassment. “I suppose not. They have reasons to stay on Santiago. But the situation is entirely different for the women of the Chastity. They’re doomed to a life of near slavery in a foreign land. We chose them precisely because we thought they’d prefer freedom with us to enforced servitude with cruel former convicts in New South Wales.”

“I’m not sure I understand the distinction between former convicts and pirates,” she snapped. “They’re both criminals, aren’t they?”

A muscle ticked in his jaw, making him look even more forbidding. “Believe me, there’s a profound difference between my men and those cutthroats.”

“You expect me to take your word for it?”

“You don’t have any choice, now, do you?” At her disgruntled expression, he seemed to rein in his temper. “Besides, our island has more to offer than New South Wales, where the weather is pitiless and the government more so. We have perfect weather, easy living, plenty of food, and no government but our own. There are no jailers, no magistrates oppressing the poor and catering to rich nobility… ‘Tis a paradise. Or it will be when your ladies join us.”

His eyes fixed on her, a burning zeal in their depths. He’d painted a pretty picture of his island, but Sara wasn’t fooled. New South Wales might have proven unsavory in the long run, but at least the women would have had some choice there. They wouldn’t have had to marry against their will. Though the inhabitants of the country might have regarded the convict women as prostitutes, there would always have been opportunities for the women to work hard and attain respectability. Some transported convicts even managed to make their way back to England and their families, though only a very few.

On Captain Horn’s island, however, there’d be no such possibility. They’d be at the mercy of him and his pirates. “A paradise?” She rose from her chair in a sweep of dimity skirts. “You mean, a paradise for you and your men. You’ve said naught that makes it a paradise for the women. They’re to be forced to be your wives and forced to labor for a ‘country’ they didn’t choose.”

He rose, too, rounding the desk to stand scant inches from her, his brow lowered in a frown. “Do you think they’d have any choices on New South Wales? I’ve been there. I’ve seen how convict women are treated. They’re parceled out to colonists as servant labor, though every man there intends that the only labor they’ll do is on their backs.”

At his crudeness, a hot flush again stained her cheeks. He lowered his voice to a harsh murmur. “Those who aren’t chosen as servants are confined in crowded factories where conditions are worse than in England’s gaols. That’s the fate you wish for your charges, Lady Sara? I offer them freedom and you offer them that.”

His unfair accusations stung. “Freedom? That’s what you call forced marriage? You’re going to parcel those women out to your men just as the Australian authorities do. You’re offering them marriage, but it’s still enforced servitude, isn’t it?”

He stood as rigid as his ship’s figurehead with eyes narrowed. “Suppose they were allowed a chance to choose.” His words were clipped, as if he already regretted them.

“No, no,” she protested, “I must speak to you now. It’s urgent.”

Surprise and then hope rose in her. “To choose what? Whether or not to go with you to your island?”

He scowled. “No. I mean, to choose their husbands. They can spend a week getting to know the men and seeing what’s in store for them on our island. After that, however, they must accept the proposal of the man they most prefer.”

“Oh.” She considered that. It was better than his earlier heartless offer, but certainly not as good as giving the women a choice between returning to the Chastity or going with the pirates. Though she wasn’t sure they’d want to go back. A tiny part of her knew that he might be right about their future in New South Wales.

If only she could be sure that his men truly did intend to retire. If only she had some inkling of their characters. She sighed. They were pirates. What more was there to know?

Still, he was offering something the women might not have gotten in New South Wales–the chance to choose the one who would enslave them.

She sought some way to make the choice easier. “One week is a short time,” she began. “Why, we might not even reach your island until—”

“We’ll reach Atlantis in two days,” he interrupted.

“‘Atlantis?’” she echoed. “Like the Greeks’ Atlantis?”

For a moment, he lost his stern look. “Some say Atlantis was utopia, Lady Sara. And that’s what we hope to create. Utopia.”

“A utopia where men have all the choices and women have none.”

“I’m offering them a choice.”

“Could we have two weeks, perhaps?”

His expression hardened. “One week. Take it or leave it. Either way, your women will take husbands. I’m giving up a great deal by letting the women make the choice instead of the men. The men will grumble.”

“What if a woman chooses not to marry?”

“She can’t.” He tucked his thumbs under his wide leather belt. “At the end of one week, if a woman hasn’t chosen a husband, one will be chosen for her.”

“Thank goodness we’re not bargaining over anything important,” she snapped. “I’ll have to speak to the women first, of course. I can’t make such a decision for them.”

“Of course.” Moving to the desk, he settled his hips against it. “I hope this means an end to your trouble-making in the hold.”

The words were a command. She shrugged. “If they agree to your terms, I suppose it does.” Smoothing her skirts down with a clammy hand, she said, “May I go now, Captain Horn, and present your offer to them?”

“Certainly. I’ll give you an hour. Then I’ll send Barnaby for your answer.”

She turned to the door, relieved to finally escape his disturbing presence.

But as she opened it, he said, “One more thing, Lady Sara.”

She twisted her head to look at him. “Yes?”

“In case you thought otherwise, this offer refers to all the women on this ship. That includes you. You have one week to choose a husband from among my men.” He paused, a wicked grin crossing his face as he swept his gaze down over her lips, her throat…her waist and hips. “Or I’ll take great delight in choosing one for you.

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