Extraits

L’intérieur était entièrement tapissé de riches tentures. Il y avait des lampes à huile en bel étain gravé suspendues aux parois et des coussins brodés un peu partout Le fond était occupé par un petit autel avec une table pour les offrandes. A côté se dressait la grande statue de style grec d’un beau jeune homme couronné de lauriers. Azzie le reconnut aussitôt

Allons, voyons, petite fille ! C’est bien joli de s’amuser, mais il est temps de me libérer, à présent. — Et d’abord, ne m’appelle pas petite fille ! Mon nom, c’est Brigitte. Et je sais ce que tu es, toi et ton espèce. M. le curé nous l’a dit. Tu es un mauvais esprit 

 Un gentil vieux renard, tu veux dire, pas vrai, bout d’asticot ? susurra Azzie, employant un terme affectueux que réservent les parents démons à leurs enfants. Quel plaisir de te voir ! Mais détache cette ficelle, et je te donnerai un plein sac de bonbons

Il aperçut loin devant eux les rayures écarlate et chartreuse familières de l’ambulance de la Fosse Nord. Elle s’arrêta finalement à quelques pas d’eux et un démon médical en descendit. C’était un type aux yeux de basilic et au groin de cochon, très différent d’Azzie qui, lui, avait un museau de renard et des cheveux roux, des oreilles pointues et des yeux d’un bleu étonnant ; il était jugé fort beau par les personnes ayant du goût pour les démons

Azzie et Scrivener franchirent la grille et gravirent une longue route en spirale qui leur fit traverser les banlieues du Purgatoire, une région composée de vastes profondeurs quadrillées et de hauteurs vertigineuses. Homme et démon marchaient d’un bon pas, et les chemins étaient faciles, car aisées sont les voies qui mènent en Enfer, mais ennuyeux aussi, vu que l’Enfer est fait pour qu’on ne s’y amuse pas. Au bout d’un moment, Scrivener demanda 

Scrivener, Scrivener, marmonna un vieux vers le milieu du tas. Sûr qu’il est ici ! Eh, les gars, est-ce qu’il y en a un qui sait où est Scrivener ? La question fut transmise du haut en bas de la pile. Des hommes abandonnèrent leurs préoccupations sportives (on fait beaucoup de sport en Enfer, mais ce n’est jamais l’équipe locale qui gagne, sauf quand on parie contre elle). — Scrivener ? Scrivener ? C’est pas un grand maigre un peu dingue avec une coquetterie dans l’œil 

Azzie découvrit enfin son homme dans la rangée 1002WW. Les Fosses de l’Enfer sont disposées comme des amphithéâtres. Un plan général existe, on peut retrouver tout le monde. Dans la pratique, cependant, ce n’est pas si facile. Les diablotins négligents entassent les gens à la va-comme-je-te-pousse, les piles s’écroulent les unes sur les autres et la place des uns ou des autres, dans les Fosses, n’est qu’approximativement connue

Le Fetterast remit à Azzie un document écrit sur amiante en lettres de feu. Azzie mit ses gants avant d’y toucher. Ces papiers-là n’étaient utilisés que par la Haute Cour de Justice Infernale

La journée avait commencé normalement, comme n’importe quelle journée dans une Fosse. Mais la situation allait bientôt changer de façon aussi spectaculaire qu’inattendue. Ainsi en va-t-il du changement ; on vaque comme d’habitude à ses affaires, tête baissée, avec une mine de chien battu, fatigué d’une routine qui menace de durer éternellement. Pourquoi les choses changeraient-elles, alors qu’il n’y a rien de nouveau en vue, pas de lettre, pas de pli Fédéral Express, pas même un coup de téléphone annonciateur d’un grand événement ? Alors on désespère, ignorant que le messager est déjà en route, que les espoirs se réalisent parfois, même en Enfer – et certains diraient particulièrement en Enfer, puisque l’espoir est souvent considéré comme un des tourments diaboliques. Mais ça, c’est peut-être une exagération de ces hommes d’Église qui gribouillent des grimoires

Les diablotins tournaient et retournaient sans répit les damnés sur leurs grils. Comme les goules, ils avaient une prédilection pour les gens bien putréfiés et servis dans une marinade à base de vinaigre, d’ail, d’anchois et de saucisson grouillant d’asticots