Extraits

Une vague de tristesse étouffante s’abattit sur Jodi, telle cette obscurité soudaine qui arrivait juste avant un orage. Et avec vint la certitude qu’il n’était pas le seul dont la vie avait été volée à cause de l’accident.

Rupe. Seul Jodi l’appelait comme ça. Son cœur, qui s’effritait lentement, se fractura de nouveau. Depuis des mois, il pensait ne rien vouloir d’autre que retrouver Jodi éveillé et vivant, mais putain, ce n’était pas suffisant. C’était loin d’être suffisant et il ne pouvait le supporter.

Le football était pour les abrutis surpayés et les branleurs avinés.

— Écoute-moi, déclara Rupert. Quelque chose de terrible t’est arrivé, et ça nous a tout pris. Ça – il montra la cuisine faiblement éclairée –, tout ça, ce ne sont que des vestiges, mais ça suffit pour que nous construisions quelque chose de nouveau. Je te veux Jodi, je te veux toi, parce que je t’aime. Je sais que tu ne peux pas dire la même chose pour l’instant, mais peut-être que si nous reprenons depuis le début, tu pourras apprendre à m’aimer de nouveau.

Il rit.

— Un peu, mais ça va. Parce que j’ai les lunettes de Clark Kent pour m’aider.

— Papa aime ces lunettes.

— Vraiment ?

— Ouais, je l’ai entendu dire à tante Sophie que ça lui donnait envie de…

— OK, la coupa-t-il avant qu’elle puisse répéter quelque chose qu’elle était bien trop jeune pour dire. Revenons à nos moutons.

Jodi la fixa. Il ne savait plus où donner de la tête et l'impression tenace que Sophie ne lui disait pas tout ne voulait pas disparaître. Etait-elle au courant du lubrifiant dans le tiroir? Ou de la raison pour laquelle son portable était placardé de photos de Rupert à moitié nu? Quelque chose de plus important et de plus tordu? La colère de Jodi reflua et fut remplacée par la peur. Il ne voulait pas savoir. Il ne voulait pas se souvenir. Il...

- Jodi.

Sophie lui pris les mains et les serra fort jusqu'à ce qu'il ancre son regard au sien.

- Na sois pas fâché, je t'en prie. J'aimerais te donner toutes les réponses, mais j'ai peur de ne pas le faire correctement et de te blesser. Peur que l'on te perde de nouveau. Je ne peux pas faire ça. Il faut que tu te souviennes. Je t'en supplie. Il faut que tu te souviennes.

- Me souvenir de quoi?

- De qui tu es, Jodi. Tu dois te souvenir de qui tu es.

« – Moi non plus, répondit Jodi en haussant les épaules. Mais je m’en fou. Je pense qu’il y aura toujours une partie de mon cerveau qui attend que je me souvienne, mais je ne suis plus pressé. Ici et maintenant, toi et moi, ça me suffit. »

Il attendit la fin de l’impression puis remplaça le portable de Jodi avec le sien tandis que Jodi prenait les photos imprimées et se préparait à les coller dans les dernières pages de l’album.

— On en a besoin d’un nouveau, fit remarquer Jodi.

Rupert acquiesça distraitement pendant qu’il imprimait la photo qu’il avait choisie comme dernière image de l’album. Jodi apparut par-dessus son épaule au moment où il la récupérait de l’imprimante.

Spoiler(cliquez pour révéler)— Notre crédit immobilier ? T’es sérieux ?

Pendant que Rupert méditait sur ce que sa vie était devenue, la tête plongée dans le frigo, dehors, la nuit était tombée. Jodi leva le nez vers les étoiles comme s’il ne les avait jamais vues, apparemment inconscient de l’agitation du vendredi soir dans les rues de Tottenham.

— Je préfère la nuit, non ?

— Aye. Tu es un oiseau de nuit.

Spoiler(cliquez pour révéler)— Un oiseau de nuit qui a peur de l’obscurité ? Quelle poisse.