Extraits

Tout changea, après cette nuit de Noël où Nicolas et Iisakki avaient distribué les cadeaux ensemble et où Iisakki s’était confié. Les années durant lesquelles Nicolas passait d’une famille d’accueil à l’autre étaient enfin terminées. À compter de ce premier Noël ensemble, Iisakki et Nicolas étaient plus qu’un maître et son élève : ils étaient presque comme père et fils.

- C’est donc toi, Nicolas, déclara un inconnu.

C’était un homme grand, vêtu d’un épais manteau de fourrure. Assis à table à côté de Gideon, il fumait sa pipe d’un air solennel. Sa toque de fourrure agrémentée d’une queue était posée sur la table devant lui. Elle était d’un rouge si vif que Nicolas ne pouvait la quitter des yeux.

- Je m’appelle Hilla, poursuivit-il. Au cas où tu ne t’en douterais pas déjà.

Au final, il y avait tant d’enfants attendant des cadeaux que Nicolas n’avait plus le temps de les livrer tous le jour de Noël. Il n’eut pas d’autre choix que de faire une tournée des maisons tôt le matin et de déposer les présents devant les portes, afin que les enfants les trouvent à leur réveil.

Cette méthode ne le dérangeait pas, car en grandissant il n’avait pas souhaité faire tout un plat de cette distribution. Il préférait feindre l’ignorance la plus complète lorsque les plus grands venaient le remercier après Noël. Il avait en effet fait jurer les adultes et ses camarades en âge d’aller à l’école de ne pas révéler la vérité aux plus petits sur celui qui apportait des cadeaux la nuit de Noël.

Ainsi Nicolas n’appréhendait-il plus ses déménagements les veilles de Noël. Il avait appris à les prendre avec bonne humeur. C’était d’ailleurs la meilleure attitude à adopter car, d’année en année, le cercle de ses proches se faisait toujours plus large. Même s’il avait perdu sa propre famille, il avait reçu en contrepartie bien plus qu’il n’aurait jamais osé l’espérer. Un jour, sa nouvelle famille serait composée du village de Korvajoki tout entier !

- J’emménage aujourd’hui dans une nouvelle famille d’accueil, poursuivit-il. Un peu à l’écart du village. Pas très loin. Heino et Kreetta ont cinq enfants. Peut-être qu’ils seront aussi gentils avec moi que la famille de Hannes ?

Nicolas ne parvint pas à se représenter davantage son avenir. Il donna un baiser à la poupée, retroussa la manche de son tricot puis plongea le cadeau sous la surface. Il ne ressentit le froid que lorsqu’il retira sa main de l’eau. Seule la bise soufflant sur la glace le fit grelotter.

- Joyeux Noël et bon anniversaire pour tes deux ans, ma chère sirène, murmura-t-il en déroulant sa manche.

Puis il éleva la voix et cria en direction de la haute mer prise par les glaces.

- Joyeux Noël, Aada !

Nicolas eut alors une idée pour remercier un tant soit peu la famille. Il ferait des cadeaux surprise à Eemeli et à Helena en leur fabriquant de vrais jouets ! Tout comme il l’avait fait l’année précédente pour sa petite Aada. Même si Noël représentait pour lui un jour de grand deuil, il n’avait aucune raison d’en imposer autant à Eemeli et à Helena. De plus, les cadeaux atténueraient la tristesse causée par son départ.

- Et désormais, j’en ferai à chaque Noël ! se promit Nicolas à haute voix. Aux enfants de toutes les familles d’accueil !

Nicolas se redressa et observa lui aussi le large. Un nuage noir, que Hannes s’était pris à regarder, flottait au loin. Nicolas savait par expérience ce que ce genre de nuages présageait : le retour de l’hiver et de la neige.

Jusqu’alors, Nicolas avait préféré ne pas penser qu’il allait devoir changer de famille d’accueil. Il avait sciemment ignoré cette question. Mais devant la tristesse de Hannes, la peur de l’avenir lui envahit l’esprit, juste quand il avait trouvé ses marques et s’était habitué à cette famille qu’il commençait à considérer presque comme la sienne. Il s’était promis de ne pas s’attacher à qui que ce soit, mais il ne pouvait tenir une telle promesse, c’était impossible.

Lorsque Nicolas se rétablit, tout changea. Tandis qu’il était couché avec de la fièvre, il s’était peu à peu résigné à accepter qu’il devait continuer à vivre. Cette idée ne lui semblait plus aussi égoïste qu’elle l’avait été tout l’hiver.

Les jours rallongeaient, et les alentours du village brillaient de différents tons de vert profond au soleil de l’été.

Après avoir quitté la chambre, Nicolas rejoignit le sauna, mais il n’essayait plus de s’y cacher. Il adopta les habitudes de la famille et vint manger à la cuisine. Sa place était à côté d’Eemeli, devenu son meilleur ami et qu’il commença à considérer comme son petit frère.

Nicolas s’habitua si bien à la famille que, parfois, il lui arrivait par mégarde de prendre Hannes et Kristiina pour ses parents. Dans ces moments-là, il se contraignait à se rappeler ses origines.

- Est-ce que j’ai sauvé Eemeli ? Je ne me rappelle pas vraiment ce qui s’est passé, murmura Nicolas.

Kristiina hocha la tête :

- Oui, et toi aussi tu as failli te noyer. Heureusement qu’avec Gideon, nous sommes arrivés sur place à temps et que nous avons pu vous tirer tous les deux hors de l’eau, raconta-t-elle en caressant les cheveux de Nicolas. C’était un acte de bravoure. Aucun garçon de ton âge n’aurait su agir comme toi. Tu es le héros du village.

- Quand même pas ?

- Oh ! que si ! s’exclama Kristiina. Tout le monde parle de toi avec admiration. Tu peux être fier de toi.

Nicolas ne savait pas comment réagir. Il se contenta de penser que ce n’était pas mal d’être un héros. Les héros sont toujours nécessaires, leur existence n’est pas vaine.

- Donc, est-ce qu’une famille ne souhaite pas participer ? réitéra-t-il en parcourant la cuisine du regard. Si quelqu’un a un avis divergent sur la question, il n’ose pas se faire connaître, en tout cas. Très bien, déclara-t-il, satisfait, en hochant la tête. Nous convenons donc que chaque famille accueillera Nicolas pendant un an. Que les premiers soient Hannes et Kristiina. Nous convenons aussi que le changement de famille se fera toujours le même jour. Que celui-ci soit demain, autrement dit le jour de Noël. Notre village compte au total huit maisons, et Nicolas a cinq ans. Avec cette solution, nous tiendrons donc jusqu’à ses treize ans. Si nécessaire, nous réexaminerons sa situation à ce moment-là, expliqua Gideon en frappant le sol de sa canne pour entériner la décision.