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Pendant les trois jours d’interrogatoire, pendant l’audience devant le juge antiterroriste, Léa est hère. Elle ne craint rien. Elle ne lâchera rien. C’est une guerrière, une combattante, une moudjahiddin. C’est son djihad, personne ne pourra la détourner de son chemin. Ils peuvent toujours essayer, elle est plus forte que tout le monde. Ils n’arriveront pas à la faire parler. Dieu l’a choisie.
Afficher en entierLéa redresse la tête, un petit sourire méprisant aux lèvres. Elle n’écoute pas ce qu’on lui dit. N’entend pas les questions qu’on lui pose. Ne voit pas les photos qu’on lui montre. Seule la voix de son frère résonne encore en elle : « Ils te montreront des photos. Tu nous reconnaîtras mais pour ne pas le montrer, tu fixeras le coin du papier. Ils ne remarqueront rien car Allah les aveuglera. » Encore une fois il avait raison. « Dis-leur qu’on ne va pas s’arrêter là. Qu’on est fiers de nos héros qui ont fait le sacrifice suprême et obtenu leur récompense et que ce sera bientôt notre tour, inch Allah(2). Ils complotent mais ne savent pas qu’Allah est meilleur stratège. N’oublie pas qu’ils ont insulté nos moudjahiddins. Qu’ils ont souillé les âmes de nos martyrs. On s’est fait humilier par leurs lois qui interdisent notre foi. Tu patienteras et tu attendras la délivrance d’Allah. De cette dounya(3), tu te détacheras ; on s’en fout d’ici-bas. Tu as attrapé l’anse, celle qui ne se brisera jamais. Tu fais partie des clairvoyants maintenant. N’oublie jamais : nous aimons la mort plus qu’ils n’aiment la vie. Alors nous gagnerons toujours. Allah u akbar, dawla islamiya baqiya(4). »
Afficher en entierTouftouf le Ouf ? Maître Verbot a prononcé ce nom avec le plus grand sérieux. Marie ne comprend pas grand-chose. Elle ne veut pas poser de questions supplémentaires car elle sait que chaque réponse de l’avocat augmentera son niveau d’angoisse. Pourtant, elle s’entend demander d’une petite voix :
— Et j’aurai le droit de l’accompagner dans le bureau du juge au moment de l’audience ?
— Non. Ça m’étonnerait. Votre fille n’est pas en contact avec un cambrioleur. C’est un terroriste, madame.
— Oui, Maître… Et ce juge peut décider quoi ?
— La mise en détention provisoire ou un centre éducatif fermé pour mineurs. Qu’est-ce que vous préférez ?
— Je ne sais pas, hésite Marie, qui ne voit pas la différence entre les deux.
Puis elle se reprend :
— Le centre éducatif fermé !
Afficher en entierLéa a été installée dans une salle d’interrogatoire. Des hommes l’entourent. Vont-ils jouer au gentil et au méchant comme dans les séries à la télévision ? Cela la ferait bien rire. Elle est tellement au-dessus d’eux. Ils pensent pouvoir l’impressionner, lui faire peur. Ils ne voient que son jeune âge et ne comprennent pas qu’elle n’est pas seule. Elle est entourée de ses frères et sœurs. Même à ce moment précis, dans cette salle, ils sont avec elle, en elle. Elle n’est jamais seule. Elle ressent la force que ses frères et sœurs lui envoient. Grâce à eux, elle ne flanchera pas. Ils l’ont prévenue, lui ont expliqué ce que vont lui faire subir ces créatures du diable : « Ils te mèneront dans un lieu que personne ne connaît. Tes parents ne sauront pas où tu es. Ils te mettront à poil. Ils te fouilleront, pour t’humilier. Tu serreras les dents et tu ne montreras rien. Parce que tu sais que c’est le Sheitan qui te teste. Tu marcheras dans le chemin d’Allah et tout ira bien. Tu ne diras pas un mot. Tu verras comme ils sont fragiles, en vérité. Face à ton silence, ils seront tout petits. Des minables. Des cafards. »
Afficher en entierElle appelle leur avocat, qui parle vite :
— Arrivés à Paris, installez-vous. Nous n’aurons pas de nouvelles de Léa. Les services de police ne communiquent pas, ça fait partie de leur métier. Ils veulent remonter la filière. C’est Abou Cobra qui les intéresse, pas Léa. En plus, il semble qu’il soit en contact avec Touftouf le Ouf. Ils ne la chouchouteront pas mais ils ne la maltraiteront pas non plus. Tout dépend de la manière dont elle coopère. De toute façon, elle doit comprendre où elle a mis les pieds… Posez vos affaires et reposez-vous. Je vous appelle dès que le juge d’instruction donne son signal. Mais il ne récupérera pas Léa avant trois jours minimum.
Afficher en entierMarie tourne la tête vers son mari qui conduit. Il a les yeux rouges, injectés de sang. Elle souffre tant qu’elle a peur de s’effondrer avant d’arriver à Paris. Qui va défendre Léa ? Qui va s’occuper de Franck ? Il a à peine 8 ans… Et si Paul mourait avant qu’ils ne la revoient ? Deux crises cardiaques en trois ans, c’est mauvais signe. Elle comprend soudain l’expression « éperdue de chagrin ».
Afficher en entierPaul et Marie sont plantés au milieu du salon, les yeux dans le vide, hébétés. Une tornade vient de passer. Il n’a pas fallu plus de dix minutes pour que leur vie bascule. La porte de leur maison, défoncée par le bélier du GIGN, n’est plus qu’un amas de bois jonchant le sol de l’entrée. Leur fille vient de disparaître, emportée par un fourgon noir aux vitres teintées. C’est un cauchemar. Des gendarmes sont encore là. Ils fouillent partout, dans la chambre de Léa, dans celle de Franck, son petit frère, qui était venu cacher son visage entre les jambes de sa mère… Même le tiroir à sous-vêtements de Marie a été retourné par terre. Le contenu des boîtes de céréales jonche le sol de la cuisine. Les ordinateurs ont été emportés. L’appartement est un véritable capharnaüm. Puis les six hommes cagoulés repartent aussi vite qu’ils sont apparus. Les parents de Léa se retrouvent seuls au milieu de nulle part.
Afficher en entierIls la poussent dehors, la font monter dans un véhicule – sûrement un fourgon – et démarrent à vive allure. Elle ne sait pas où ils l’emmènent et pourtant Léa est calme, sereine, détachée. Elle plane à jeun. Elle les entend parler par monosyllabes. Peu lui importe. Une seule phrase tourne dans sa tête : « De toute façon, on te vengera. » Elle ne dira rien à ces koffars de merde qui veulent bouffer du musulman. Les frères ont raison : ils sont jaloux. La cagoule l’étouffe mais rien ne peut l’atteindre, elle est invincible. Ils peuvent la menacer tant qu’ils veulent : la prison, le foyer, le centre éducatif renforcé, etc. Elle sait que l’arrestation est une épreuve d’Allah pour fortifier sa foi. Un jour, elle rejoindra Daesh, elle le sait, elle le sent. Là-bas, ils l’aiment vraiment. Ils l’ont choisie.
Afficher en entierLéa se redresse dans son lit, la tête haute avec un sourire arrogant. Elle veut qu’ils sachent qu'elle les attendait, qu’elle n’a pas peur. Elle est plus forte. Dieu l’a élue. Tous ces koffars n’ont que le Sheitan(1) en eux, ils ne sont que des âmes faibles et perdues dans la pénombre. Ils subiront les pires supplices en enfer, alors qu’elle sera irradiée de la Lumière suprême, si blanche, si pure, si lumineuse qu’Elle aveuglera tous ces chiens.
Afficher en entierIl était 6 heures. Léa s’en souvenait très bien : elle s’était retournée pour regarder son réveil. En rouge brillant, dans le noir, les trois chiffres s’affichaient.
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