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Ma mère a redescendu l'escalier, sans effort à mon avis, avec sous le bras un épais dossier beige qu'elle m'a tendu.
"J'aimerais que tu lises ça", a-t-elle dit.
Je l'ai pris. Il semblait contenir des douzaines de pages, de types et de tailles de papier différents. Je l'ai ouvert. Il y avait une page titre: L'histoire d'Eva Delectorskaya.
"Eva Delectorskaya, ai-je murmuré, mystifiée. Qui est-ce ?
Moi, a-t-elle répliqué. Je suis Eva Delectorskaya."
Afficher en entierEst-ce que Papa savait ? »
Elle marqua un temps d'arrêt. « Non, il n'a rien su. »
J'ai réfléchi un moment, en songeant à mes parents et à la manière dont je les avais toujours regardés. Efface-moi le tableau, me suis-je dit.
« Il n'a rien soupçonné ? Jamais ?
- Je ne crois pas. nous étions très heureux, c'était tout ce qui importait.
- Alors pourquoi as-tu décidé de me raconter tout ça ? De me livrer tes secrets, tout à coup ? »
Elle a soupiré, jeté un coup d'oeil autour d'elle, agité les mains sans but, les a passés dans ses cheveux avant de tapoter des doigts sur la table.
« Parce que, a-t-elle lâché enfin, parce que je crois que quelqu'un tente de me tuer.
Afficher en entier- 'Ne faites confiance à personne', répliqua-t-il sans solennité mais avec une assurance et une sorte de certitude pratique, comme s'il déclarait : 'Aujourd' hui, c'est vendredi.' 'Ne faites confiance à personne, jamais', répéta-t-il en prenant une cigarette qu'il alluma, pensif, surpris lui-même de sa lucidité aurait-on dit. 'Peut-être est-ce la seule règle dont vous avez besoin. Peut-être que toutes les autres règles dont je vous parlerai ne sont-elles que les dérivés de celle-là. 'La seule et unique loi.' Ne faites confiance à personne - pas même au seul être en qui vous pensez pouvoir avoir le plus confiance au monde. Soupçonnez toujours. Méfiez-vous en permanence.' Il sourit, pas de son sourire chaleureux. 'Ca vous rendra d'excellents services.'
Afficher en entierJ'avais trouvé dérangeante la lecture du feuilleton parce que les personnages d'Eva/Sally refusaient encore de se fondre dans ma tête. Quandj'avais lu qu'Eva avait couché avec Mason Harding de façon à le faire chanter, je m'étais découverte incapable d'associer ce fait historique, cet acte de sacrifice personnel, cette abjuration délibérée d'un code moral intime, à la grande belle femme qui allait et venait dans ma salle de séjour quelques heures avant. Qu'exigeait de coucher avec un étranger pour votre pays ? Peut-être n'était-ce pas compliqué - une décision logique. Etait-ce très différent d'un soldat tuant son ennemi pour sa patrie ? Ou, plus précisément en l'occurrence, de mentir à vos plus proches alliés pour votre pays ? Peut-être étais-je trop jeune ; peut-être aurais-je dû vivre pendant la Seconde Guerre mondiale ?J'avais le sentiment que je ne pourrais jamais vraiment comprendre.
Afficher en entierA l'entrée du village, en face du pub sinistre, le Paix et prospérité, était garé un camion qui livrait de la bière. Il ne me restait qu'un étroit espace pour me faufiler.
'Tu vas égratigner Hippo', m'a prévenue Jochen. Ma voiture était une Renault 5 de dixième main, bleu ciel avec un capot (remplacé) rouge vif. Jochen avait tenu à la baptiser etj'avais décrété que, puisqu'il s'agissait d'une voiture française, il fallait lui donner un nom français ;j'avais suggéré Hippolyte (j' étais en train de lire Taine, sous je ne sais plus quel prétexte universitaire) et c'était devenu Hippo, du moins pour Jochen. Personnellement, je ne peux pas souffrir les gens qui donnent des noms à leur voiture.
'Non, ai-je répliqué. Je vais faire très attention.'
Afficher en entierQuand, petite, je me montrais grincheuse, contrariante et dans l'ensemble insupportable, ma mère me réprimandait avec des : «Un beau jour, quelqu'un viendra me tuer et tu le regretteras», ou bien : «Ils arriveront de nulle part et ils m'emporteront - et alors tu diras quoi ?» ou encore : «Un beau matin, tu te réveilleras et je ne serai plus là. Disparue. Attends un peu de voir.»
Curieux, mais enfant on ne prend pas au sérieux ce genre de remarque. En revanche, aujourd'hui - alors que je repense aux événements de cette interminable canicule de 1976, cet été pendant lequel l'Angleterre tituba, suffoquée, terrassée par une vague de chaleur interminable -, je sais ce dont ma mère parlait : je comprends ce sombre courant d'une peur profonde qui circulait sous la calme surface de sa vie ordinaire, et qui ne l'a jamais quittée, même après des années d'une existence paisible, sans rien d'exceptionnel. Je m'en rends compte maintenant : elle a toujours redouté qu'on vienne la tuer. Et elle n'avait pas tort.
Tout a commencé, je me souviens, début juin.
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