Extraits

— Le bonheur, le bonheur, elle est-tu fatigante, elle, avec ça! Elle, elle a tout pour être heureuse, l’amour, l’argent, les bons enfants, le travail, le fun. Moi, je n’ai rien.

Je pourrais, avec tout ce que j’ai, ne pas être heureuse. Il faut faire des efforts pour être heureux. Il faut être à l’affût des petits plaisirs, les reconnaître comme tels quand ils passent et en jouir. À l’heure du «T’es où, là?» au cellulaire, un rendez-vous entre quatre yeux est un privilège. C’est un luxe aujourd’hui de voir la bouche d’où sort la voix, de regarder les yeux qui brillent ou qui se mouillent, c’est un luxe, se toucher, s’embrasser en chair et en os. Donner du temps dans un monde où le temps, c’est de l’argent, c’est un cadeau hors de prix.

— Qu’est-ce qu’un vieux peut tant attendre de la vie?

Tout!!! Je veux tout, comme le chante Ariane Moffatt. «Je veux tout, tout, tout.» C’est le désir de vivre qui me tient debout. Je sais bien que je suis devenue fragile comme les verres de Bohême rapportés de Prague il y a cinquante ans. Ils s’effritent, mais avant de se briser en mille miettes, ils serviront encore. Vous allez penser:

Ce que j’observe: ceux qui n’ont pas réfléchi à cette seconde vie d’adulte qui leur est offerte et n’ont pas fait de plans pour combler ces nombreuses années d’inactivité se retrouvent après un ou deux ans de liberté dans les bureaux de médecins pour anxiété, angoisse, dépression, troubles érectiles, etc. Ce n’est pas pour rien que les fabricants d’antidépresseurs et de Viagra font fortune. Appréhension, sentiment de flottement, les retraités qui se replient sur eux-mêmes, se négligent. Ils voient de moins en moins de monde. Ils s’isolent. Trente ans d’isolement, alors que l’être humain est essentiellement social, il y a de quoi être malade.

— Que faire?

Chers baby-boomers,

Vous avez eu la chance de naître dans une période où tout vous était accessible et vous vous êtes gavés d’idéalisme, de liberté. Vous avez changé la société pour l’améliorer et vous êtes en quête perpétuelle de mieux-être. Pour vous, la jeunesse est éternelle. Vous ne vieillirez pas! Pensez-vous. J’ai des petites nouvelles. Vous, revendicateurs de haut niveau, n’empêcherez pas la vieillesse de vous tomber dessus. Vous allez prendre de l’âge et mourir comme tous les êtres vivants depuis que la terre est terre, et ce n’est pas parce que vous avez contrôlé les naissances que vous allez contrôler la vieillesse et la mort.

À mon avis, de nos jours, il est de plus en plus difficile de mettre un âge sur les gens. On est sans âge, mais si on veut parler chiffres, on est vieux à partir de soixante-dix ans, selon moi. Et passé quatre-vingts ans, c’est le grand âge, la vieillesse.

Il y en a pour qui la vieillesse est un naufrage. Moi, j’ai choisi d’être de celles pour qui l’alternative est claire: vieillir ou mourir. Ou bien t’es vieux ou bien t’es mort. Je suis vieille, donc je suis vivante, alors je profite de la vie.

Les boomers conditionnés par les images désastreuses de leurs vieux grands-parents ont peur de finir seuls, pas aimés, dépendants, déments ou isolés des leurs. Alors, pour affronter cette peur, ils s’accrochent à la jeunesse dans un déni total. Or, il n’y a pas plus vieux que ceux et celles qui refusent de vieillir.

Parce que les images que l’on nous projette dans les nouvelles sont celles de vieux malades, de vieux abandonnés, maltraités. Rarement on nous montre des vieux heureux, bien dans leur âge. Je veux changer l’image d’une vieillesse naufragée, souffrante et délaissée, et la remplacer par celle d’une vieillesse épanouie.

Ce livre ne s’adresse pas spécialement aux vieilles personnes; elles en savent autant que moi, sinon plus. Je m’adresse à tous ceux qui ont peur de vieillir et qui considèrent la fin de leur vie comme un naufrage, ceux qui ne veulent pas vieillir.