La Voie hermétique : Introduction à la philosophie d'Hermès

Savoir hermétique, savoir fermé : la fermeture l'a peu à peu emporté dans nos manières de dire sur le patronage du Trismégiste.

L'usage courant du mot hermétisme suggère l'existence d'une clôture impénétrable ou d'un secret inviolable. Parfois se souvient-on aussi de l'usage littéraire que firent de cette forclusion Mallarmé et le mouvement symboliste pour qui la préciosité de la forme l'emporta sur l'exigence de clarté afin que naisse le poème, joyau verbal dont la compréhension s'effaçait alors devant l'incantation, à des fins purement esthétiques. Comme devant toute réalité où l'esprit découvre son impuissance, on parle alors souvent des clefs qu'il faudrait posséder ou d'initiation à recevoir, dont l'absence relègue lecteur ou auditeur au rang de «profane», étranger au cercle étroit où paraît s'épanouir une forme de sacralité interdite au vulgaire. L'assistance de quelque spécialiste capable de percer le mystère ou de déchiffrer l'énigme paraît généralement en ce cas plus efficace aux modernes épris de précision et d'intelligibilité que l'intervention prophétique du Trois-fois-Grand Hermès.

De tous les Hermès antiques, l'on ne sait d'ailleurs de prime abord lequel pourrait bien s'avérer le meilleur révélateur et transmetteur de ces fameux secrets qu'on dit communément hermétiques. S'agit-il du Trismégiste, sage et prophète païen dont les logoi (discours) se multiplièrent durant la période hellénistique aux environs d'Alexandrie, où fleurirent parallèlement nombre de gnoses (gnôsis : connaissance) et doctrines mystiques ? Ne serait-ce pas plutôt le messager ailé muni du caducée qui, sous le nom grec d'Hermès et latin de Mercure, veillait aux carrefours, guidait les voyageurs autant que les brigands, et conduisait les âmes des morts dans l'au-delà ? Mais il pourrait tout aussi bien s'agir du père de l'Art d'Hermès - autant dire de l'alchimie - qui recommandait aux adeptes de cette pratique de clore hermétiquement le vase de transmutation afin que la matière volatile ne pût s'en échapper et, avec elle, l'espoir de réaliser le Grand Oeuvre.

Le caractère composite de la doctrine hermétique, et la richesse multiforme de sa postérité semblent dus autant à la personnalité protéiforme d'Hermès qu'à la nature de l'enseignement consigné entre le VIe et le XIe siècle sous le nom d'hermétisme, où l'occultation joue un rôle non moins important que la révélation. À cette déroutante polysémie ne furent pas non plus étrangers les pratiques et le langage alchimiques, dont l'obscurité délibérée contribua à jeter un voile - de mystère ou de suspicion - sur une forme de pensée que le rationalisme du siècle des Lumières, puis le positivisme au XIXe siècle, condamnèrent d'autant plus radicalement qu'ils n'y virent plus qu'obscurantisme ou dilettantisme, eu égard aux exigences nouvelles d'intelligibilité. A toute forme de révélation rationalisme et scientisme n'étaient-ils pas devenus à leur manière «hermétiques» ?