L'Abbaye des cent crimes

Ferrare, quartier de Gusmaria

Nuit du 25 avril 1347

Il était assis dans un angle, à la seule table de la pièce, les bras ballants, la tête penchée en avant, le menton en appui sur le plateau de bois. Sa langue sortait de sa bouche entrouverte, plus longue qu'il n'était normal ; on la lui avait tirée de force pour la clouer avec un poignard.

Maudissant le sort, Maynard de Rocheblanche s'approcha du cadavre pour l'étudier à la lumière de sa torche. Ce n'était pas cette vision macabre qui le troublait, mais le regret d'être arrivé trop tard. Peu avant, le moine affalé sur cette table abritait encore un terrible secret.

Désormais, il n'avait plus rien à dire, sinon qu'il était mort dans de grandes souffrances.

Maynard se signa. Il effleura du doigt la courte lame cachée sous sa tunique. S'il voulait comprendre, mieux valait rester aux aguets.

Au début, sous la clarté de la flamme, il distingua seulement du sang frais dégouttant de la table. Mais, en observant avec plus d'attention, des mots apparurent sur le bois. Ils devaient avoir été gravés avec ce même poignard qui avait servi à percer la langue de la victime, comme si l'on avait voulu la railler maintenant qu'elle se tordait en enfer. Elle ou celui qui à présent la contemplait.

Des mots trompeurs. Non tant pour les vertus du défunt, qui étaient discutables. Pourquoi était-il mort ? Voilà la question. On pouvait douter qu'il pût s'agir d'une punition dictée par un excès d'indignation morale. La victime avait été attirée dans cette taverne déserte, où on l'avait tuée, après l'avoir torturée sauvagement. On l'avait suppliciée pour obtenir quelque chose.

Maynard tendit l'oreille à un bruit de pas. Il leva sa torche. Les ombres remuèrent sur les murs et une silhouette à l'entrée jeta un coup d'œil à l'intérieur.

"Qui va là ?"

Pas de réponse. Le sombre visiteur recula brusquement et s'enfuit.