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Elle oublie son prénom, mais elle ne se noie pas. Elle s'arrache à l'eau glacée, elle grelotte, le bleu des lèvres comme celui des yeux. À quatre pattes sur le limon, et le corps hors de contrôle. Elle se lève et chancelle. Tombe. Se relève, s'appuie sur la paroi. Les dents qui s'entrechoquent, un nouveau rythme, un son auquel s'accrocher pour tenir debout. À grand gifles, elle se frappe les bras, le sternum, le ventre, les fesses, les cuisses. Elle frappe le sol avec les pieds. Elle foule le limon, elle rebondit, les paupières closes, elle écoute ses dents, son torse est une transe désordonnée, elle ne sait plus où sont ses jambes, elle se cogne, son bassin est un pendule. Elle est articulation & cœur & peau & sang. Elle est femme-qui-danse-sous-la-montagne.
Afficher en entierQuand l'homme s'absente, elle remplit la baignoire et y passe des heures. Mais n'immerge jamais son corps en entier - elle déborde. La surface de l'eau forme de petites frontières qui la découpent. Des cercles tranchent ses mollets et ses cuisses, son visage, ses seins. En infrarouge, ses climats seraient orange et bleu. Elle déplace les cercles pour alterner les zones froides, glisse les pieds hors de l'eau pour réchauffer son torse. Le visage coulé, les yeux clos. Quand elle plonge, ses cheveux sont des tentacules. Un jour, elle retient sa respiration et ils poussent, s'emmêlent, remplissent la baignoire, la recouvrent, la cachent, l'enveloppent et dansent.
Afficher en entierElle a conduit, dansé, marché, rejoint l'océan. Il lui faudrait aller plus loin, marcher à en oublier ses pieds, à en transformer ses jambes en tiges de bois sèches et noueuses, à en affiner son ombre ; il lui faudrait nager encore, dans une eau froide, vers le large, dépasser l'écume mousseuse et la barre des vagues, se déchirer les bras et le coeur dans l'océan, nager jusqu'aux limites du monde et aux gueules sanglantes des monstres marins qui les gardent ; il lui faudrait un effort lent et soutenu pendant plusieurs années, un effort qui anéantirait les sensations sur sa peau, qui transformerait les caresses du vent en coupures et petites douleurs ; pour enfin comprendre, puis pardonner, puis oublier les mues qu'elle a laissées derrière elle. [...] Le pardon l'effraie peut-être plus que l'oubli : il est à la fois le creux qui la ronge et le poids qui lui pèse.
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