Extraits

Il éteignit la lumière et resta figé dans le noir, à écouter la douce respiration du jeune Texan derrière lui, les yeux rivés sur la pâle lueur de son réveil qui égrenait les minutes, le rendant terriblement conscient du temps qu'il mettait à calmer les battements de son coeur dans sa poitrine. Il commettait sûrement une erreur en laissant Cody dormir ici.

Mais il s'était déjà fourvoyé en l'emmenant chez lui. Il n'avait jamais conduit personne dans son appartement. Seule Granny venait ici. Elle était la seule à avoir le droit d'entrer dans sa tanière. La seule qui pouvait mettre un pied dans sa vie. Et maintenant, il y avait Cody.

Mais ça ne durerait pas. Il allait partir. Il allait devenir célèbre, faire des tournées dans le pays entier, réaliser son rêve...

Et cette nuit ne serait qu'un souvenir.

Putain, Texas ! Il n’y a personne d’autre que toi dans ma vie ! Il n’y a rien qui compte plus que toi, pour moi. Et je ne sais simplement pas comment te le faire comprendre.

-         Qu'est-ce que tu fais, Texas ? grogna Daryl dans son cou.

-         Je te fais un câlin.

-         Pourquoi ?

-         Parce que je ne sais pas quoi faire d'autre…  avoua Cody. J'ai pas l'impression que dire quoi que ce soit t'aidera à mieux vivre ça.

-         Danse pour moi, Cody, lui demanda Daryl.

-         Je ne suis pas sûr… commença-t-il avant que son compagnon ne lève la main pour venir poser ses doigts sur sa joue.

Cody retint sa respiration tandis que Daryl le fixait en faisant courir sur sa peau un doux frisson. Il ferma les yeux et les paroles de la chanson qu’ils écoutaient lui apparurent soudain plus clairement, comme un message subliminal.

“Maintenant tu sais. Je suis un mauvais menteur. Maintenant tu sais. Tu es libre de partir. Je ne peux pas respirer. Je ne peux pas être ce que tu veux que je sois… 

De toute façon, personne de normal ne pourrait se satisfaire de lui. Il n'était qu'une gonzesse déguisée en homme. Un loupé dans la grande machine bien rodée du Seigneur. La pièce défectueuse. L'anomalie. La tapette.

Bordel ! ronchonna Daryl en se rasseyant. S'il s'évanouit, je le tue. S'il se pète la gueule, je le tue. Et s'il me fait encore bander, je le baise !

Tout avait commencé lors de sa première rentrée scolaire… L'institutrice avait demandé à tous les enfants de choisir l’image qu’il voulait pour l’accrocher au-dessus de leur porte-manteau afin de le reconnaître. Cody savait déjà écrire son prénom, et pleins d’autres choses, mais, comme les autres ne savaient pas, il avait fait ce que la maîtresse avait demandé. Il avait soigneusement découpé une image de ballerine qu’il trouvait vraiment jolie, mais l’institutrice avait ri en voyant la  danseuse et lui avait dit qu’il ne pouvait pas choisir ça. Il n’avait pas bien compris pourquoi cette dame refusait de coller sa belle image mais, comme les autres le regardaient bizarrement, il avait recommencé son travail. Il avait passé l’année scolaire avec un cabriolet rouge très clinquant qu’il n’aimait pas vraiment, mais l’institutrice avait été contente.

Il fit glisser sa main sur la barre de pole dance avec un sourire puis se déplaça sur la grande estrade ronde en fermant les yeux, comptant les pas dans son esprit, frôlant le bord de la scène, sans chuter malgré ses yeux clos. Quand il visualisa les lieux mentalement, il alluma la musique dans sa tête. C'était bizarre, dit comme ça, mais c'était ce qui se passait en lui. Comme le bouton d'un iPod. Clic. Il entendait la musique et elle vibrait en lui, le portant en silence aux yeux des autres. Deux pas, un saut, une pirouette, tout s'enchaînait dans sa tête et dans son corps, jusqu'à son coeur. Cody oublia où il se trouvait, qui le regardait. Il était seul avec lui-même. Il dansa et dansa jusqu'à ce qu'il entende de la vraie musique et que les lumières de la scène se braquent sur lui, traversant ses paupières closes. Alors, il s'arrêta et ouvrit les yeux, surpris.

- Continue ! ordonna Daryl alors qu'il se rendait compte que le patron du club le fixait et qu'il n'était pas le seul.

Hash, Tony et d'autres types qu'il ne connaissait pas, le regardaient avec stupeur, comme s'il était le premier gars qu'ils voyaient danser.

- Continue, Texas ! insista Daryl.

- Euh, d'accord…

Cody mit quelques secondes à se reconcentrer sur la musique qui, cette fois, n'était pas dans son esprit. Il respira lentement, trouva son souffle et empoigna la barre en métal près de lui. Il s'y agrippa pour tourner autour avec un léger bond puis y enroula son corps jusqu'à se retrouver la tête en bas. Il se laissa redescendre doucement pour s'allonger au sol, puis il se releva et tourbillonna de nouveau sur la scène. Il entendit quelqu'un jurer et un autre gars décréter qu'il le faisait bander même s'il n'était pas à poil. Il fit comme s'il ne les entendait pas, continuant à évoluer sur la scène jusqu'à avoir le souffle court et le coeur battant. Alors il s'arrêta et, haletant légèrement, croisa le regard d'obsidienne de Daryl.