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Eric Hurley possédait une moto équipée d’un siège arrière et, étant né en Australie, Bony aurait dû se méfier avant de l’enfourcher pour rouler sur les routes de campagne. Il estima ensuite que les trois kilomètres et quelque jusqu’à la Clôture n° 1 avaient été parcourus en moins de deux minutes.
La rapidité de ce moyen de locomotion ne seyait certes pas à un digne inspecteur de police, néanmoins, Bony apprécia énormément cette course. La moto fendait un air encore tiède, le soleil s’étant couché une heure plus tôt. Au portail d’Old York Road, ils empruntèrent la piste qui longeait la Clôture, côté est. Le moteur rugit en grimpant la longue côte sablonneuse et se calma en redescendant de l’autre côté. Ils passèrent devant la ferme des Loftus, avalèrent encore un kilomètre et demi, dévièrent sur la gauche avec une brusquerie à vous rendre malade et, dans un horrible crissement de pneus, s’arrêtèrent devant une ferme confortable et bien entretenue.
Afficher en entierIls étaient arrivés au sommet de la longue côte. Devant eux s’étendait un immense demi-cercle de terrain plat quadrillé par des champs de blé et des espaces en friche. À l’est et au sud-est, il atteignait le pied d’une montée sablonneuse similaire à celle qu’ils avaient gravie. Au sud, il dépassait l’horizon. Au sud-ouest, il s’arrêtait devant une pente orientée au nord. La ferme des Loftus apparut à leur droite lorsqu’ils descendirent la côte. La maison se trouvait à moins d’un kilomètre de la route, au pied d’un long affleurement de granit dans les crevasses duquel poussaient des casuarinas. Un tracteur tirait une machine aux commandes de laquelle se trouvait un deuxième homme. Ils parcouraient un champ proche avec une lenteur trompeuse.
— Ça doit être Mick Landon qui conduit le tracteur, dit Gray après avoir eu une vision d’ensemble. Celui qui est juché sur la moissonneuse est Larry Eldon. Il vient tous les jours de Burracoppin à vélo.
Plissant les yeux, Bony étudia le panorama qui s’offrait maintenant à sa vue car la route s’inclinait vers le pied de l’affleurement granitique. Sans mot dire, il considéra la petite maison en tôle, l’écurie, derrière, et, derrière encore, la meule de foin frais coupé. Dans toute cette vaste région de jachères brunes et de blé doré, çà et là, des moissonneuses bourdonnantes s’agitaient, tels de gigantesques aïs, dévorant voracement le grain et soulevant la poussière derrière eux. Gray dit :
— Vous pouvez voir la ferme de M. Jelly. Vous vous souvenez, je vous ai parlé de lui. Voilà quelqu’un qui est mystérieux, si vous aimez les mystères. Avec lui, ils ne manquent pas. Quand nous nous absentons quelques jours, nous revenons, pour la plupart d’entre nous, plus pauvres que nous sommes partis. Lui, il revient plus riche.
Afficher en entierUn large portail en tubes et treillis métalliques, pratiqué dans une clôture grillagée d’un mètre cinquante surmontée de barbelés, arrêta leur progression. Bony descendit du camion et jeta un regard alentour.
Sur toute sa longueur, la Clôture était rectiligne et reliait le sommet d’une colline, au nord, à l’orée d’une grande forêt, au sud. Des précautions minutieuses avaient été prises lors de sa construction pour empêcher les lapins de passer à l’endroit où elle croisait la canalisation. Quant à l’unique voie ferrée, elle enjambait une excavation. Le portail avait été réparé, mais la voiture accidentée, qui avait embouti l’énorme canalisation, était toujours à moitié renversée. Le métis arpenta la distance comprise entre le portail et la voiture et s’aperçut qu’elle dépassait à peine quatorze mètres.
Afficher en entierLe jour se levait quand l’express quitta Burracoppin, laissant Bony sur le petit quai, une valise dans une main et un balluchon de couvertures et d’objets de première nécessité passé sur une épaule. L’homme habillé avec goût qui avait abordé le sergent Muir dans Hay Street n’existait plus. Bony avait maintenant l’aspect d’un ouvrier vêtu de son costume de tous les jours.
À cette heure matinale, Burracoppin dormait. Le train fredonnait en filant vers l’est. Une douzaine de coqs saluaient la nouvelle journée. Deux vaches erraient le long de la route principale, s’écartant astucieusement du hangar à mesure qu’approchait l’heure de la traite. Un groupe de chèvres gaies et railleuses les suivait des yeux.
En sortant de la petite gare, Bony se trouva face au sud. Devant lui, il avait l’hôtel de Burracoppin, structure en brique adossée à un bâtiment plus ancien construit en planches à recouvrement et maintenant réservé aux chambres ; à gauche, des magasins alignés, séparés par des terrains vagues ; à droite, les trois bungalows coquets, blanchis à la chaux, du Dépôt du Service de protection contre les lapins, et, un peu plus loin, les logements des employés et les ateliers. Derrière lui, de l’autre côté de la voie ferrée, car les rails divisaient le bourg en deux, Bony apercevait d’autres maisons, la salle des fêtes, un garage et l’école. Enfin, parallèle à la voie ferrée mais au-dessous du niveau du sol, la canalisation, longue de cinq cents kilomètres, reliait Mundaring à Kalgoorlie, apportant l’eau jusqu’aux mines d’or et, grâce à des conduites auxiliaires, alimentait d’immenses parties de la vaste zone du blé. Burracoppin est identique à cinq cents villes céréalières australiennes, propre, bien tenue, lumineuse avec ses murs peints en blanc ou passés à la chaux et ses allées d’eucalyptus verts.
Afficher en entierNapoléon Bonaparte se montrait aussi extraordinaire dans l’élucidation des crimes que Lord Northcliffe l’avait été dans le métier de journaliste. Comme ce dernier, l’inspecteur, qui tenait à se faire appeler Bony, s’intéressait à la carrière de plusieurs jeunes gens prometteurs. John Muir était l’un d’eux et avait appris les rudiments de l’enquête policière en bénéficiant des conseils de ce métis certes peu connu, mais brillant. Pourtant, de tous ces jeunes, le sergent d’Australie-Occidentale était le plus lent à mettre en pratique la philosophie professionnelle de Bony. Il avait beau la connaître par cœur, il n’agissait pas selon ses principes et, en conséquence, Bony dut souvent lui répéter : « N’essayez jamais de rattraper le Temps. Faites-vous-en plutôt un allié, car c’est le plus grand enquêteur qu’il y a jamais eu et qu’il y aura jamais. »
Afficher en entierSi seulement il n’avait pas plu ! Si seulement il avait fait beau le soir du 2 novembre ! Mais non, on avait enregistré 7 mm de précipitations au cours de cette nuit cruciale. Un sacré coup de malchance !
John Muir descendait tranquillement le côté sud de Hay Street, à Perth, sans prêter la moindre attention à la circulation rugissante ou à la foule. La vie et l’activité qui régnaient dans la capitale de l’Australie-Occidentale le laissaient pour l’instant parfaitement de marbre ; l’ombre pesante de l’échec qui menaçait sa carrière lui importait davantage. Échouer temporairement n’est pas très grave pour un homme pourvu d’une ambition moyenne, il y voit une incitation à mobiliser toutes ses forces pour réussir. Un échec de temps à autre, parmi de francs succès, retarde seulement l’avancement dans la profession qu’exerçait Muir, mais deux échecs consécutifs convoquent le spectre de l’éviction.
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