Extraits

Le moine cligna des yeux en voyant se diriger vers lui, un sourire hésitant aux lèvres, Violetta en tenue d’Arlequin aux losanges colorés, la poitrine comprimée pour adopter une allure masculine. Cela raviva les souvenirs de leur première rencontre lorsqu’il l’avait secourue avec son fils alors qu’elle était travestie en garçon pour prendre la place d’un serviteur chez un patricien vénitien.

— Ah oui, fit le moine, c’est vrai. C’est l’Ascension. Carnaval recommence ! Voici une tenue qui vous sied même si elle ne met pas trop en valeur votre féminité. Mais elle ravive en moi bien des souvenirs…

Volnay l'examina. Derrière ses lèvres entrouvertes, il lui semblait voir poindre de petites canines pointues. Il sentit soudain le plat de mains contre sa poitrine, le poussant de plus en plus fort vers l'eau. Parmi elles, se trouvaient celles de la meneuse : de longues mains aux ongles longs et peints, les poignets chargés de bracelets clinquants

- Il me fallait rester vierge pour les épousailles ! Vous savez combien se monnaye à Venise un hymen bien fermé ? Et le mariage pour quoi faire ? Ne pas s'occuper de politique, éviter de briller dans les conversations, rester sur un modeste quant-à-soi et s'occuper de l'entretien de la maison ! Les premiers habitants de cette ville si merveilleuse mariaient leurs filles aux enchères. Mais les choses ont-elles réellement changé sous le voile hypocrite dont on l'affuble désormais ? Un meuble, voilà ce que je serai si je ne marie pas avec vous ! Vous, au moins, vous m'auriez comprise et prise pour ce que je suis.

Elle exhala doucement et Volnay pâlit, touché malgré lui. Il ne s'était jamais senti comme une planche de salut pour Flavia.

- Vous êtes-vous jamais intéressée à moi pour moi-même et non par rapport à vous ? demanda Volnay d'un ton douloureux.

En ce doux mois de mai 1760, l’obscurité s’installait, nimbant Venise d’une lueur antomatique. Dans le clair-obscur vaporeux, la ville semblait se désagréger. Les lumières des lampadaires brillaient faiblement, illuminant les funambulesques broderies de dentelles gothiques des palais.

Les silhouettes noires se pressaient dans le cimetière autour d’une forme féminine evanescente. On pouvait sentir dans l’air doux leur attente : trouverons-nous plus sauvage que nous ?