Extraits

— Mais ici, c’est interdit. Vous devriez le savoir maintenant. Vous n’êtes pas autorisés à venir près du Coffre à Jouets. Vous comprenez ?

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?, demanda Ethan.

Pendant une brève seconde, un sourire flotta sur les lèvres de Jessamine.

— Des cauchemars et des rêves.

Au matin, les filles s’alignèrent dans la salle de bain, démaquillèrent le rouge de leurs joues et de leurs lèvres avant d’en remettre. Sophronia se pencha pour tracer les cercles écarlates sur les joues de Philomena.

Je m’aspergeai en vitesse le visage d’eau et l’essuyai avec l’une des fines serviettes toutes rêches.

Le petit déjeuner se composait d’un porridge grumeleux, bouilli dans une énorme casserole de la cuisine. Sophronia essaya de l’arranger autant qu’elle le pouvait, fronçant les sourcils, car elle devait forcer pour enfoncer sa cuillère dans la mixture.

Sophronia et Missouri servirent le repas. Ethan et moi levâmes les mains pour refuser le plat, mais nous eûmes quand même droit à notre part.

Sophronia se précipita pour mettre un disque sur un gramophone qui joua alors une musique classique que je ne reconnaissais pas. La mélodie crissait dans l’air alors que l’aiguille sautait et grésillait. J’aurais encore préféré écouter le bruit des ongles que l’on fait crisser sur un tableau.

Jessamine tapait des mains et les filles tournoyaient dans la pièce dans un genre de valse qui ne nécessitait aucun partenaire. Philomena semblait y prendre plaisir, faisant voler sa robe jaune citron autour d’elle.

— C’est « Hotel California », remarqua Ethan.

— C’est quoi ?

— Laisse tomber, juste une vieille chanson.

Les filles mangèrent la totalité de leur dîner, qui était assez maigre pour un repas, mais je devinais qu’elles devaient rationner la nourriture envoyée par Donovan.

Jessamine adressa un large sourire bienveillant à toute la table.

— Il est temps de remercier notre Bienfaiteur pour ce repas.

Les filles baissèrent la tête et murmurèrent :

— Merci au Bienfaiteur.

— Attendez… qui est exactement ce Bienfaiteur ?

Ethan scrutait les filles autour de la table.

— Vous parlez de ce Donovan ?

— Bien évidemment que non, se moqua Jessamine comme si la suggestion était idiote. Le Bienfaiteur nous donne notre nourriture et subvient à nos besoins.

— C’est une gigantesque Maison de Poupées. Et nous y sommes piégés.

La terreur me glaça le sang. Je ne pouvais pas, je ne fouillerais pas cette maison de nuit.

— On n’a pas le choix.

Le regard d’Ethan était déterminé. Lacey enfonça ses mains au fond de ses poches, gonfla ses joues et souffla fortement.

— Je résume… On va fouiller la maison flippante d’un gars flippant… pile au moment le plus flippant ?

— Vous serez toutes les deux avec moi, répondit-il, exaspéré. Je ne laisserais rien de mal vous arriver. Ensuite, on restera dans ma tente jusqu’au matin – elle est assez grande pour trois.

— Non.

Je me levai et enroulai mon écharpe autour du cou.

— On ne peut pas rester. Nos parents vont nous attendre.

— Bien. Rentrez chez vous, alors. Vous n’auriez jamais dû venir pour commencer, rétorqua-t-il, le visage dur.

Ici, le monde semblait différent. Dans cette canopée verte, si haut dans les montagnes, les oiseaux voletaient à la cime des arbres et les décoraient. Les bruits de la faune nous suivaient, faisaient échos en rebondissant sur les branches au-dessus de nous. Les odeurs nous entouraient, mélange de terre, de fleurs et d’épices qui prospéraient dans ce sublime paysage sous une douce lumière verte et éthérée. Cela m’apaisa.

Le gong de l’horloge se répercuta en échos dans la pièce. Je me rendis compte que j’avais rêvé – de poupées, de passages souterrains étroits et suffocants, de grognements et de cris terrifiants de chouette invisible.

Je m’éveillai dans un cauchemar bien pire.