Extraits

Indifférent à l'ours de Kodiak gigantesque qui se dressait derrière lui, Dan Prior sirotait se troisième tasse de café. L'homme et l'ours faisaient face tous deux à la porte que les premiers passagers en provenance de Salt Lake City venaient de franchir en rouspétant. L'avion avait du retard, et Dan poireautait dans le hall depuis une bonne heure. Sur ce plan-là, l'ours le battait à plate couture : on l'avait abattu le 13 mai 1977, puis empaillé et placé là sans doute afin de faire comprendre à tous les voyageurs de passage à Great Falls qu'ils avaient intérêt à filer doux.

Depuis des temps immémoriaux, la vallée avait été particulièrement accueillante pour les loups. Traités en animaux sacrés par les Blackfeet qui avaient longtemps peuplé la région et honoraient en eux le grand chasseur, les loups n'ignoraient pas qu'elle servait de refuge l'hiver aux cerfs et aux wapitis, et l'été de voie de passage entre les montagnes et les vastes plaines où ils formaient des meutes pour traquer les bisons qui s'y déplaçaient en troupeaux immenses. Aux alentours de 1850, l'homme blanc se lança dans le massacre à grande échelle des bisons. En l'espace de trente ans, il allait en exterminer soixante-dix millions de têtes.

- Les loups étaient là bien avant vos vaches ! C'est des vaches qu'il faudrait nous débarrasser, pas des loups !

Un grondement de colère agita la salle. Buck, souriant jusqu'aux oreilles, attendit calmement qu'il se soit apaisé avant de rétorquer :

- A ce que je vois, nous avons des citadins parmi nous ce soir.

C'est Dan qui lui avait enseigné cette manière de s'informer des pratiques alimentaires d'un loup, au temps où ils travaillaient ensemble dans le Minnesota. On place les crottes dans des collants noués aux deux bouts que l'on a pris soin d'étiqueter au préalable, on passe le tout à la machine, et à la fin du cycle il ne reste plus que des poils et des débris d'os. La clientèle des laveries automatiques ne voyant pas ça d'un très bon oeil, il est préférable de choisir une heure creuse. A l'issue de son lavage de l'autre soir, Helen avait décelé dans toutes ses laissées,mêlés à des poils de cervidés, une assez grande quantité de poils de bovins.

Tout ce qui vient, de la Force du Monde est circulaire. Le ciel est un cercle, il paraît que la terre est une boule, les étoiles sont rondes aussi. Le vent, au sommet de sa force, tourbillonne. Les oiseaux font leurs nids en rond, car ils ont la même religion que nous. Le soleil monte en cercle, et redescend en cercle. La lune fait la même chose. Ils sont ronds tous les deux. Même les saisons forment un grand cercle au cours de leur transformation, et elles reviennent toujours à leur point de départ. Une vie d’homme est un cercle qui va de l’enfance à l'enfance. Et il en va ainsi de tout ce qui est animé par la Force.

Black Elk, Sioux Oglala (1863-1950)

"Certains disent que sur le lieu d'un carnage l'odeur persiste pendant des années. D'après eux, elle imprègne le sol, si bien qu'avec le temps toute la végétation en porte le témoignage."