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Les deux plus grands conteurs de toute l’Angleterre parvinrent au château de Camyliard vers la fin d’un après-midi d’automne. — Il se prétend roi, dit Merlin. — Et pourquoi non ? (Nynève contempla la masse lugubre du château fort avec un respect mêlé d’effroi.) C’est bien le genre de demeure où peut loger un roi. Mais pas moi. Même pour tous les titres du monde. N’ayant que quinze ans à l’époque, il lui restait encore beaucoup à apprendre sur les hommes, mais elle était déjà assez belle pour exercer son pouvoir sur eux. Le château de cette lande d’ouest dressait sa façade de granit sombre sur un mamelon défoncé. Depuis les remparts, sur trois côtés, on voyait les flots gris et agités de l’Atlantique lécher voracement les falaises. Au nord, le pays de Galles ; au sud, la France. Des rochers prisonniers se débattaient dans l’océan occidental, abandonnés par la terre vaincue. Des vestiges d’une Lyonnaise[1] engloutie étaient visibles dans toute la passe séparant la pointe de Cornouailles des îles Sorlingues. L’Angleterre s’étendait à l’est de la forteresse. Là, les Romains, inquiétés chez eux, avaient replié leurs forces pendant de nombreuses années. Cela ne concernait pas Camyliard. Les Romains n’avaient jamais pénétré aussi avant en Cornouailles, et le roi Lodegrance régnait sans partage.
— Ils se sont tous mis à s’intituler roi. Le moindre petit noblaillon d’Angleterre. Dès les Romains partis, ils ont la folie des grandeurs. Des paons sans cervelle, voilà ce qu’ils sont. Ce qu’il nous faudrait, c’est un caractère assez fort pour les unifier. Il tombait un fin crachin, et Nynève était impatiente de se remettre en route, mais Merlin traînait les pieds, agitant la brindille de saule qu’il appelait pompeusement sa baguette.
— Un meneur d’hommes ! s’écria-t-il, s’adressant à la brande déserte avec un enthousiasme strident. Un homme de courage et de sagesse, doué de la force du lion et de la douceur du cerf.
— Est-ce que tu as déjà vu des cerfs à la saison du rut ?
— Un cerf femelle, mais mâle sous tous les autres rapports. Qui les rassemble tous dans la paix et la tolérance. Un homme comme…
— Comme toi, Merlin ? demanda Nynève d’un ton sceptique.
— Comme Arthur ! Un changement surprenant s’opéra en Nynève. Elle s’empourpra.
— Oui, dit-elle.
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