Extraits

" En général, messieurs, les gens adorent la violence ; et tout ce qu'ils veulent, dans un meurtre, c'est une belle effusion de sang ; un spectacle tapageur leur suffit. Mais le connaisseur éclairé a des goûts plus raffinés. "

Le bras de Tony retomba le long de son corps.

- Oh, merde, dit-il.

Carol sourit.

- Vous pensiez que c'était qui ? Des cambrioleurs ? Des journalistes ?

Tony se détendit.

- Je suis désolé, dit-il. Vous passez la journée à essayer de pénétrer l'esprit d'un cinglé, et vous finissez par être aussi paranoïaque que lui.

- Un cinglé, répéta Carol d'un air songeur. Serait-ce un terme technique utilisé par les psychologues ?

- Uniquement entre ces quatre murs, dit Tony, qui repartit vers son bureau et reposa l'agate à sa place. Qu'est-ce qui me vaut l'honneur ?

Ok, bricoleur. De moi à toi, sans témoins. Nous allons sauter les préliminaires, la joute oratoire après laquelle tu finis par décider de me parler. Allons droit au but. Tout d'abord, je tiens à te dire combien je suis impressionné. Je n'ai jamais vu un travail plus soigné, plus propre. Et je ne veux pas seulement parler des corps. Mais de tout. Tu as parfaitement réussi ton coup. Jamais un témoin. Non, laisse-moi reformuler ça. Pas un humain qi ait interprété ce qu'il a vu ou entendu. Parce qu'il a dû y avoir des gens qui ont vu ou entendu quelque chose. Seulement, ils n'ont pas fait le rapprochement. Comment t'es-tu arrangé pour être aussi peu repérable ?

Une fois au bureau, Tony étudia rapidement les documents restants, tout en prenant des notes. Puis il ferma les stores et demanda à sa secrétaire de bloquer ses appels. Il installa son fauteuil de l'autre côté du bureau, afin de se trouver face au fauteuil des visiteurs. Sur un côté du bureau, il mit son magnétophone, toujours éteint. Puis il alla se placer dos à la porte et contempla la pièce. Un poème qu'il avait lu lui revient en mémoire. Un poème à propos d'une qui se scindait en deux à l'orée d'un bois et de l'importance de choisir l'embranchement le moins fréquenté. D'aussi loin qu'il se souvînt, il avait toujours été attiré par la route la moins passante, celle qu'empruntaient ses patients, le chemin qui conduisait dans les sous-bois, et non par le chemin le plus large, où filtrait le soleil.

Il faut que je comprenne pourquoi tu choisis cette route-là, bricoleur. Moi, tu vois, je sais pourquoi cette route m'attire. Mais je ne suis pas comme toi. Je peux revenir quand je veux. Je peux choisir la route ensoleillée. Je n'ai pas à être dans les sous-bois. Je ne fais qu'étudier les empreintes de tes pas. Ou du moins, c'est ce que je dis au monde.

Mais nous savons ce qu'il en est, n'est-ce pas ? Tu ne peux pas m'échapper, bricoleur. Je suis exactement comme toi, tu vois. Je suis ton image reflétée dans un miroir. Seul le fait de te traquer m'empêche d'être comme toi. Je suis là, je t'attends. Fin du voyage.

Tony resta dos à la porte encore un moment, goûtant cet aveu qu'il s'était fait à lui-même.

Finalement, il s'assit dans son fauteuil et se pencha en avant, les coudes sur les genoux, les mains l'une dans l'autre détendues.

"Nous séchons nos larmes et découvrons que cet acte choquant et indéfendable d'un point de vue strictement moral, s'avère, une fois confronté aux principes du bon goût, être une performance des plus méritoires."

« Aucun artiste novice n’aurait pu avoir une idée aussi audacieuse que ce meurtre en plein midi, au cœur d’une grande ville. Ce n’est pas un obscur boulanger, messieurs, ni un ramoneur anonyme, soyez-en sûrs, qui a exécuté cette œuvre d’art. Je sais qui il est. »

« Après coup, toutes ses connaissances dirent que sa dissimulation était si parfaite que si, marchant dans les rues, il avait bousculé quelqu’un sans le vouloir, il se serait... arrêté pour présenter ses excuses, tel un gentleman.

Fomentant les pires projets en son être diabolique, il aurait cependant pris le temps de s’assurer, avec bienveillance, que l’énorme maillet accroché sous son élégant surtout, en vue du petit travail qui l’attendait une heure et demie plus tard, n’avait pas causé le moindre mal à l’étranger qu’il avait heurté. »

" Les gens commencent à voir que pour réussir un meurtre, il faut autre chose que deux crétins : celui qui tue, celui est tué. Autre chose qu'un couteau, un sac à main, une ruelle obscure. Une mise en scène, des messieurs, plusieurs participants, de la lumière, de l'ombre, de la poésie, du sentiment sont à présent considérés comme autant d'éléments indispensables à des tentatives de ce genre."

" Quant à la masse des gens qui lisent les journaux, ils se satisfont de tout, pourvu que ce soit assez sanglant. Mais l'esprit sensible est plus exigeant."

" La vérité, c'est qu'il me plaisait, et je résolus de m'attaquer d'abord à sa gorge."