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Extrait ajouté par Lipette 2018-12-03T19:48:37+01:00

- Je vais maintenant te dire pourquoi tu es une si mauvaise garde d'enfants : tu n'as aucune autorité naturelle. Les enfants sentent ce genre de chose.

- Et moi, je vais te dire pourquoi tu n'as pas d'amis : tu n'as aucune gentillesse naturelle.

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Extrait ajouté par ninon64 2018-12-08T15:49:05+01:00

La chance était avec moi. Je ne rencontrai que le Chat interdit qui se coucha devant moi pour que je lui gratte le ventre. Le Chat interdit s’appelait ainsi parce qu’il n’avait pas à être là. Les animaux domestiques étaient interdits à l’hôtel. Surtout les chats, que Roman détestait. Personne ne savait d’où sortait le Chat interdit. M. Rocher, le concierge, affirmait qu’il avait toujours été là. Il se comportait d’ailleurs comme si toute la maison lui appartenait. Il allait manger en cuisine et quand il avait besoin de caresses, comme à présent, il cherchait quelqu’un pour le grattouiller. Sinon, il avait pour habitude de se vautrer de façon super décorative sur les banquettes de fenêtre, les marches d’escalier ou les fauteuils et de s’intégrer de façon pittoresque dans l’ambiance. Il avait beau se déplacer à son gré dans la maison à la recherche de places, bien exposées de préférence, Roman Montfort ne l’avait bizarrement encore jamais vu. Parfois, j’avais observé leur manège avec étonnement : ils se rataient de quelques secondes, comme si le Chat interdit savait pile-poil l’instant où le propriétaire de l’hôtel apparaîtrait et où il devrait alors lever le camp. Quand de temps en temps des clients lui parlaient du joli chat brun-roux tigré, qu’ils avaient caressé au troisième étage ou vu dormir sur le piano à queue dans la salle de bal, Roman Montfort se demandait si un membre du personnel n’avait pas fait fi de son interdiction en se procurant un chat. Il visitait alors à l’improviste les quartiers du personnel en menaçant quiconque oserait contrevenir à ses ordres de « quelque chose d’encore plus grave que le simple licenciement ». Les spéculations divergeaient sur ce qu’il entendait par là. Mais comme il n’avait jamais vu de chat dans l’hôtel, il devait sans doute se poser des questions sur son état mental. À sa place, en tout cas, j’aurais pensé que mes employés plaçaient des chats factices rien que pour m’énerver et me pousser à la folie. De toute façon, c’était un vrai miracle que pendant toutes ces années, aucun membre du personnel n’ait pensé à trahir le chat auprès du patron, parce qu’il aurait à coup sûr offert une promotion pour ça.

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Extrait ajouté par marie49240 2023-04-28T11:42:55+02:00

Une journée n'avait pas à être parfaite pour qu'on en garde bon souvenir.

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Extrait ajouté par marie49240 2023-04-28T11:37:47+02:00

Tristan me secoua légèrement.

-Il faut te ressaisir, dit-il.

Sur ce, il m'embrassa. Plutôt fougueusement, presque avec désespoir. Il prit ma tête dans ses mains et pressa ses lèvres sur les miennes.

Cela me fit le même effet que l'alcool de poire du beau-frère du vieux Stucky. Le baiser enflamma mon corps et l'emplit d'une nouvelle chaleur.

-J'en ai envie depuis la première fois où je t'ai vue, chuchota t-il en me relâchant.

-O.K. ! O.K. ! Je suis réveillé, lâchais-je.

C'était vrai. De toute ma vie, je n'avais jamais été aussi réveillée.

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Extrait ajouté par Hepa 2019-01-03T21:39:43+01:00

- Gretchen ! Je suis Gretchen ! Tu trouvais toujours ce prénom si mignon.

Vraiment ? À sa façon de le prononcer, ça ressemblait plutôt à un éternuement raté.

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Extrait ajouté par SherCam 2018-12-16T20:08:19+01:00

Pour Tristan aussi, je me surpris un court instant à penser à ce que ça me ferait de l’embrasser. Pendant trois secondes, je fixai ses belles lèvres charnues. Il ne remarqua rien, trop occupé lui-même à fixer ma bouche. Que m’arrivait-il là ? C’était comme si Delia avait ouvert la porte à un enfer de pensées où tout tournait autour du baiser.

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Extrait ajouté par horselove 2018-11-25T13:23:39+01:00

Ce que j'ai voulu t'avouer tout à l'heure et que je n'ai pas osé faire... Fanny, je suis tombé amoureux de toi. Tu es la fille la plus merveilleuse, drôle, intelligente et courageuse que j'aie jamais rencontré.

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Extrait ajouté par miracl 2018-11-06T19:13:27+01:00

J’étais donc assise là, dans la neige, complètement épuisée, tandis que les sons de violons nous parvenaient depuis la salle de bal. Je portais au cou un diamant de trente-cinq carats qui ne m’appartenait pas et je tenais dans les bras un petit enfant qui ne m’appartenait pas plus.

Quelque part en chemin, j’avais perdu une chaussure.

On raconte qu’en situation de détresse, on ne ressent plus ni douleur ni froid en raison de l’afflux d’adrénaline, mais ce n’est pas vrai. La blessure à mon épaule me lançait terriblement, le sang dégoulinait de mon bras sur la neige, le froid mordait dou-loureusement mon pied. Les muscles me brûlaient d’avoir porté l’enfant, pourtant je n’osais pas le déposer de nouveau, de peur qu’il ne se réveille et ne révèle ainsi notre présence à nos poursuivants.

On raconte aussi que c’est dans les instants de grand danger que notre cerveau travaille le mieux et nous fait voir clairement les choses. Mais ce ne fut pas non plus le cas pour moi. Je ne savais plus qui était bon, qui était mauvais. Ma seule certitude était que le silencieux d’un pistolet étouffait bien le bruit de la détonation.

Et que pour un baiser, il y avait sans doute de meilleurs moments que celui-là.

J’ignorais totalement si le garçon qui venait de me le donner faisait partie des bons ou des mauvais, mais je sentis mes forces me revenir aussitôt.

Chapitre 1

– J’en ai envie depuis la première fois où je t’ai vue, chuchota-t-il.

Ma première journée dans ma nouvelle fonction menaçait d’être une vraie catastrophe.

– Tu es certainement la pire garde d’enfants du monde, Fanny Funke, dit Don alors que je passais à toute vitesse devant lui en criant :

– Eh, les enfants, ce n’est pas drôle ! Revenez vite ici, s’il vous plaît !

– Oui, s’il vous plaît… s’il vous plaît…, me singea Don. Sinon, on va me virer !

C’était bien possible. Pourtant, je ne m’étais laissé distraire qu’une minute. Pour ma défense : on peut perdre de vue plus vite qu’on ne le pense des enfants dans la neige quand ils font exprès de filer et sont vêtus de blanc de la tête aux pieds. Des vêtements de ce genre devraient être interdits par la loi. Les garnements ne pouvaient pas être allés bien loin : la couche de neige scintillant sur la pente était encore vierge. Mais à proxi-mité, du côté ouest de l’hôtel, il y avait assez de cachettes possibles pour de tout petits enfants malins en tenue de camou-flage. Ils pouvaient s’être cachés derrière des amas de neige ou des arbres isolés, des tas de bois et des avancées de murs.

Je plissai les yeux à la lumière vive. La météo avait annoncé pour le soir et les fêtes de Noël de nouvelles chutes de neige, mais le ciel était encore d’un bleu clair et la neige brillait à qui mieux mieux avec les fenêtres, les tours et les tourelles aux toits cuivrés. En revanche, la vallée en contrebas était depuis la veille dans un épais brouillard. C’est à ces conditions atmosphériques que l’hôtel devait son surnom de « château des Brumes ».

– Inhabituellement calme, n’est-ce pas ? lança Don Burkhardt junior, histoire de me rappeler que ce n’était pas le moment d’admirer les montagnes suisses. Il ne faudrait pas que ces chers petits soient morts de froid…

Assis sur le grand traîneau qui servait à transporter le bois de chauffage jusqu’à l’entrée de la cave, Don balançait ses jambes en léchant une glace qu’il avait dû se procurer en cuisine. Pour s’asseoir, il avait simplement renversé le bois devant la pancarte annonçant Bienvenue au château des Brumes.

Sa glace me donna une idée.

– Hé, les enfants ! m’écriai-je. Que diriez-vous d’une bonne glace ?

Mais personne ne répondit. Don ricana, amusé :

– Tu n’aurais pas dû te laisser distraire de tes obligations par ce saisonnier tchèque, Fanny Funke.

– Tu ferais mieux de ramasser le bois si tu ne veux pas avoir de problèmes, répliquai-je.

Don était peut-être petit et frêle pour ses neuf ans. Il avait aussi l’air inoffensif avec son nez en trompette et ses yeux bruns émouvants, pourtant je le redoutais secrètement. Rien de ce qu’il disait ne paraissait correspondre à son âge. C’était d’autant plus déconcertant qu’il avait une voix claire d’enfant et un charmant accent suisse doublé d’un léger zézaiement tout aussi charmant. Sa bizarre habitude d’appeler les gens par leur nom entier en ajoutant parfois des indications de lieu, de qualité ou d’âge – « Tu as une maille qui file à ton collant, Fanny Funke, dix-sept ans, d’Achim-lès-Brême » – avait quelque chose d’inquiétant, comme dans un film de mafia quand quelqu’un murmure à un type « Je sais où tu habites », pour déposer ensuite une tête de cheval devant sa porte. Si le type est chanceux.

Don et ses parents étaient des habitués de l’hôtel. Don y avait ses repères. Il passait toute la journée à errer de pièce en pièce,

• épier des conversations ou à faire des bêtises, tout en se com-portant comme si l’hôtel et tous ceux qui s’y trouvaient lui appartenaient. Que l’on soit client ou employé, Don savait mystérieusement tout sur tous. Même s’il avait épluché les dos-siers du personnel en douce, comme je le supposais, c’était effrayant de constater qu’il avait tout retenu dans les moindres détails. Monte-charges, bureaux ou caves, Don hantait de pré-férence les lieux interdits aux clients et, comme il était petit et mignon, cela ne portait guère à conséquence. Quand il ne par-venait pas à vous charmer par son regard de faon innocent, il vous intimidait en vous appelant par votre nom complet, en faisant au passage référence à son père richissime, Don Burkhardt senior, ou à ses relations amicales avec l’un des frères Montfort, les propriétaires de l’hôtel. En tout cas, c’est ainsi qu’il procédait avec moi. Il faut l’avouer, ses méthodes mafieuses se montraient efficaces, malgré mes efforts pour ne pas le montrer. Juste deux jours auparavant, je l’avais surpris en train d’essuyer délibérément ses mains barbouillées de cho-colat sur les tentures de velours brodé dans le petit lobby du deuxième étage. À mon indignation, Don avait répondu avec un sourire suffisant : « Oh, la décrocheuse scolaire Fanny Funke d’Achim-lès-Brême a manifestement un faible pour les affreuses tentures ! » Cela m’avait mise en rogne : toutes les tentures et tous les coussins de l’étage étaient réalisés dans le même tissu, magnifique, rouge foncé, brodé d’oiseaux et de vrilles florales en or mat. Pas besoin d’être spécialiste pour voir

• quel point ils étaient précieux, malgré les couleurs fanées par les années. En passant doucement les doigts sur le velours, on avait presque l’impression d’être caressée en retour.

◦ De plus, ne dois-tu pas garder tout propre ici, intérimaire Fanny Funke aux bizarres taches de rousseur ? » avait demandé Don, sachant bien qu’à ce moment-là, je n’étais pas chargée de la garde des enfants, mais de l’entretien. « Combien crois-tu que mon père laisse d’argent chaque année dans cet hôtel ? À ton avis, qui préféreront-ils mettre à la porte… toi ou moi ? À ta place, je me réjouirais qu’il ne s’agisse que de chocolat et je me dépêcherais de tout nettoyer avant que Mlle Müller ne te chapitre de nouveau. »

D’où tenait-il ces expressions ? Ma grand-mère elle-même ne parlait pas comme ça.

« À ta place, avais-je répliqué, je me dépêcherais de filer avant que je ne te donne des coups de plumeau sur les fesses ! »

Don était parti tout doucement, bien conscient d’avoir gagné. Car je craignais encore plus Mlle Müller, la gouvernante, que lui. En frottant les taches de chocolat sur les tentures de velours, j’avais ressenti un peu de gratitude : il ne s’agissait que de chocolat.

– Si quelqu’un va avoir des problèmes ici, c’est bien toi, dit alors Don en léchant sa glace. Tu as flirté avec Jaromir Nowak, trente-huit ans, porteur de moustache, au lieu de surveiller les enfants. Je peux en témoigner.

– Je n’ai pas flirté, rectifiai-je. J’ai juste vite aidé Jaromir à démêler cette fichue guirlande lumineuse, ce qui est tout à fait de mon ressort.

Je n’étais pas juste garde d’enfants. D’après le descriptif de l’em-ploi, la stagiaire à l’hôtel était polyvalente et apte à tout poste.

Don insista en secouant la tête :

– Tu as souri, tu t’es mis une mèche de cheveux derrière l’oreille, puis tu as présenté ta gorge… ce sont là des signes cor-porels féminins de parade nuptiale.

– Tu dérailles, m’énervai-je. D’abord, Jaromir est bien trop vieux pour moi. Et puis, il a en République tchèque une femme et des enfants qu’il aime beaucoup.

Même s’il avait eu vingt ans de moins et été célibataire, je n’aurais jamais flirté avec lui. Je ne flirtais pas, par principe. Le seul verbe « flirter » me hérissait.

– D’ailleurs…

Je stoppai là, réalisant soudain la joie que Don éprouvait de voir avec quelle véhémence je me défendais. Une fois de plus, je l’avais pris au sérieux. Or, c’était justement ce qu’il fallait éviter à tout prix.

– Alors ? demandai-je sèchement. As-tu vu les jumeaux ? Don changea aussitôt de tactique.

– Je sais même où ils se sont cachés, me glissa-t-il avec un clin d’œil complice que même Bambi lui aurait envié. Je te le dirai si tu ajoutes gentiment « s’il te plaît, s’il te plaît ».

– S’il te plaît, lâchai-je délibérément.

Don éclata de rire.

– Je vais maintenant te dire pourquoi tu es une si mauvaise garde d’enfants : tu n’as aucune autorité naturelle. Les enfants sentent ce genre de chose.

– Et moi, je vais te dire pourquoi tu n’as pas d’amis : tu n’as aucune gentillesse naturelle.

J’avais sorti ça avant de m’apercevoir à quel point c’était méchant. Honteuse, je me mordis la langue. Je devais vraiment être la pire garde d’enfants du monde si je parvenais, en un instant d’inattention, à perdre deux petits bouts de chou de six ans, et si, en plus, je ressentais le besoin pressant de démolir Bambi. Pourtant, j’avais sans doute obtenu ce poste de stagiaire en insistant sur mon expérience avec mes deux petits frères pour donner l’impression d’être particulièrement compétente et d’aimer les enfants.

– Aïe !

Don avait essayé de me faire un croche-pied depuis son traî-neau, mais je réussis à passer devant lui sans tomber. Aimer les enfants, tu parles ! Les gosses, c’était la peste. Mais pas le choix : j’en avais deux à rattraper, et vite. Quant au troisième, il me suffisait de l’ignorer.

– Les enfants, ohé ? appelai-je en essayant de prendre une voix détendue comme si nous ne faisions que jouer à cache-cache.

Rien ne bougea. Alors qu’avant ils ne pouvaient pas la fermer une seconde et m’avaient soûlée avec leurs rimes stupides. Si au moins je me rappelais leurs prénoms débiles… C’étaient des prénoms soi-disant à la mode anglaise, comme…

– Josh, Ashley ? Où êtes-vous ? Vous ne voulez pas terminer votre bonhomme de neige ? Je vous ai trouvé une belle carotte pour le nez.

Don ricana de nouveau :

– Tu ne connais même pas leurs prénoms, Fanny la loser. Tu peux te mettre ta carotte où je pense. Laisse tomber !

Je fis celle qui n’entendait pas. En aucun cas je ne renoncerais maintenant. Ces trois derniers mois, j’avais affronté bien d’autres défis. Et puis tout n’allait pas aussi mal qu’on aurait pu le croire à première vue. Mon job consistait à amuser au grand air les jumeaux Bauer (Laramy ? Jason ?) pendant que leurs parents bouclaient leurs bagages tranquillement puis réglaient leur note. À tout prendre, je ne faisais pas autre chose : ces satanés enfants s’amusaient certainement comme des fous parce qu’ils avaient réussi à filer se cacher. Au grand air.

– Déjà entendu parler de non-respect du devoir de surveil-lance, future ex-stagiaire Fanny Funke ? demanda Don tout en léchant sa glace. J’espère que tu es bien assurée. À ta place, je prierais pour que ces deux-là ne tombent pas dans une crevasse. S’il se met à neiger, les chiens ne réussiront même pas à suivre leur trace.

Je résistai à l’envie de me boucher les oreilles. Ce gamin devait être le diable en personne. À ma connaissance, il n’y avait pas de crevasses ici, pourtant je m’entendis piailler d’une voix angoissée :

– Vous voulez peut-être encore caresser un écureuil avant de partir ?

– Ils ne vont pas se faire avoir, dit Don en jetant son cornet à moitié mangé dans la neige. Ah, allez ! Je ne veux pas être méchant. Ils sont partis par là.

Il désigna la nouvelle patinoire que le vieux Stucky et Jaromir avaient installée à côté de l’antique manège pour enfants.

– Je crois qu’ils veulent se cacher dans la cave à skis.

Je n’étais pas tout à fait stupide. Au lieu de suivre la direction indiquée par Don, je partis résolument à l’opposé. De fait, au bout de quelques mètres à peine, j’entendis des rires étouffés et je vis bouger une branche de l’énorme sapin demi-lune auquel Jaromir et le vieux Stucky avaient accroché en novembre des guirlandes lumineuses dans une partie de grimpette périlleuse. C’est-à-dire que Jaromir avait grimpé, le vieux Stucky avait juste tenu l’échelle. Ce sapin tenait son nom de « demi-lune » des lumières placées dans les seules branches tournées vers l’hôtel. C’étaient les mêmes guirlandes que trente ans auparavant, m’avait-on dit, mais comme les arbres poussent plus vite en trente ans que les guirlandes, elles ne couvraient plus qu’une moitié de l’arbre. Ainsi, le soir, seule une partie du sapin rayon-nait et scintillait de tous ses feux, quand la partie tournée vers la vallée se fondait, sombre et calme, dans le ciel nocturne. Comme la lune. Le sapin demi-lune marquait en même temps la frontière entre les espaces verts soignés et la nature non apprivoisée. Ce qui toutefois, maintenant que tout reposait sous une énorme couche de neige, n’avait plus aucune importance.

L’arbre était la cachette parfaite pour qui ne mesurait qu’un mètre vingt. Les branches s’étendaient, épaisses et retombantes, jusqu’au sol. Il devait faire là-dessous agréablement sec et doux : un lit de mousse et d’aiguilles de pin à l’abri de la neige. Pour ne pas effrayer les enfants, j’avançai vers eux en serpentant.

– Ces super jumeaux Bauer savent vraiment bien se cacher, dis-je d’une voix théâtrale. C’est trop bête de ne pas pouvoir les trouver pour leur montrer la grande surprise que j’ai pour eux. Et il ne s’agit pas que d’écureuils…

Messes basses sous le sapin. Je ne pus réprimer un sourire. Cependant, ma joie fut de courte durée.

– Ne vous faites pas avoir, John et Ashley de Limbourg-sur-la-Lahn, cria derrière moi Don, qui avait quitté sa luge pour continuer à me pourrir la vie. Fanny n’a pas de surprise pour vous. Ni d’écureuils. Elle veut juste vous attraper. Et après, fini de rire ! Vous rentrerez chez vous avec vos parents ! Fichez plutôt le camp !

– John et Ashley sont assez intelligents pour ne pas écouter cet idiot de Don, dis-je, pleine d’espoir.

Mais les enfants, sortis à toute vitesse de leur cachette, traver-saient déjà le parking en criant et riant aux éclats. Don les applaudit. Il ne me restait plus qu’à courir à mon tour. Malheureusement, mes protégés filaient dans la mauvaise direction, vers la route. Ils sautèrent agilement la barrière de neige sale formée par les déneigeuses, traversèrent la chaussée puis escaladèrent un autre mur de neige de l’autre côté de la route.

– Non, c’est dangereux ! criai-je en grimpant derrière eux. Certes, la route n’était guère fréquentée car elle se terminait

• l’hôtel. Assez pentue cependant, elle serpentait dangereuse-ment vers la vallée. Mais le versant le long duquel elle grimpait en lacets était encore beaucoup plus raide, versant que les enfants se mirent à dévaler en riant joyeusement. Tels de petits singes rusés, ils se tenaient aux branches basses, dégringolant la pente à la force des bras. Contrairement à eux, la couche de neige plusieurs fois dégelée et regelée ne me portait pas et je m’enfonçais à chaque pas au moins jusqu’aux genoux.

– Arrêtez-vous ! hurlai-je, désespérée. S’il vous plaît !

– S’il vous plaît, crème au lait, lait de vache, vache à lait, braillèrent les jumeaux.

Don avait raison, je n’avais aucune autorité naturelle.

Les enfants abordaient déjà le lacet suivant au-dessus de la chaussée.

– Vous devriez vraiment vous arrêter, m’écriai-je en retirant vite mon pied enfoncé dans la neige. Il y a des ours ici !

– Ours, nounours, Grande Ourse, couscous… oups !

L’un d’eux était tombé et glissait de tout son élan à la ren-contre d’un arbre, mort de rire. Son frère trouva ça si amusant qu’il s’y essaya lui aussi.

– Ne faites pas ça ! criai-je, paniquée, les imaginant déjà en train de se briser la nuque contre un tronc d’arbre ou d’atterrir sous les roues d’une voiture.

Il me semblait d’ailleurs entendre un bruit de moteur et je redoublai d’efforts pour avancer. Du coup, je perdis l’équilibre.

• plat ventre dans la neige, je me transformai aussitôt en bob-sleigh humain. Mon poids et la surface lisse de mon manteau me firent descendre en flèche la pente et ni mes bras tendus en avant, ni mes hurlements – noooooooon – ne purent me stopper. Je passai comme un bolide devant les jumeaux, sautai par-dessus le banc de neige et j’atterris directement sur la chaussée à une telle vitesse que je n’eus même pas le temps de voir défiler ma vie en Technicolor. Les enfants s’envolèrent aussi par-dessus la congère avant de retomber sur moi. À en juger par leurs rires, ils ne s’étaient pas fait mal. Je n’en étais pas aussi sûre pour moi. Mais avant de pouvoir vérifier que j’étais encore en vie, j’entendis un crissement de freins. Suivi d’une voix furieuse :

– Vous êtes folle ou quoi ? Un peu plus, et je vous retrouvais sous mes roues !

Repoussant de mon visage la jambe d’un des jumeaux, j’essayai de lever la tête. À un mètre de moi se trouvait le pare-chocs d’une voiture. C’était un petit modèle vert foncé portant l’immatriculation de Zurich. La portière était grande ouverte et le conducteur, un garçon guère plus âgé que moi, se tenait juste devant nous. Il avait l’air mort de peur, ce que je comprenais parfaitement.

Effrayée, je me mis à claquer des dents à retardement. On l’avait échappé belle.

– Quelqu’un est-il blessé ? demanda le jeune homme.

En me relevant de mon mieux, je fus surprise de voir qu’il n’y avait pas de casse. L’atterrissage avait été brutal mais mon manteau doublé et mes gros gants m’avaient évité des écor-chures, voire pire.

– Je ne crois pas, balbutiai-je en examinant rapidement les jumeaux.

Pas de sang, pas de membres tordus, les canines leur man-quaient déjà avant, et ils avaient les yeux brillants et les joues rouges comme des enfants heureux.

– Encore ! crièrent-ils. C’était super génial !

Par mesure de sécurité, je plongeai les mains dans les capuches de leurs anoraks toujours aussi blancs.

– C’était tout ce qu’il y a de plus stupide et dangereux ! s’énerva le jeune homme. Vous auriez pu vous tuer.

Oh, mon Dieu, oui.

– Je suis vraiment désolée, bredouillai-je en claquant des dents. Quand on commence à glisser sur la pente, il est prati-quement impossible de…

– Et moi, je serais coupable, m’interrompit le garçon.

Il ne m’avait même pas écoutée et s’adressait manifestement plus à lui qu’à moi. Le regard dans le vide, il ajouta :

– Il y aurait une procédure judiciaire dans laquelle tous les témoins seraient morts, je devrais probablement aller en prison, on me retirerait mon permis, et mon père…

Il s’arrêta, tout tremblant. Je m’éclaircis la voix.

– Bon, réjouissons-nous plutôt d’être encore tous en vie.

Je risquai un sourire. J’aurais bien aimé aussi lui poser une main sur le bras pour le sortir de sa vision apocalyptique mais je n’osais pas lâcher les enfants.

– Encore une fois, je suis sincèrement désolée de t’avoir fichu une telle frousse. Pourrais-tu avoir la gentillesse de nous conduire tous à l’hôtel là-haut ? C’est bien là que tu voulais aller ?

Évidemment qu’il voulait aller là-haut, il n’y avait rien d’autre alentour. Il devait être l’un des six extras engagés pour le res-taurant pendant les vacances de Noël.

– Vous êtes des clients allemands, n’est-ce pas ?

– N’est-ce pas, papa, caca, barbe à papa, caramba, dit Ash… ou était-ce Joden qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau ?

Le garçon acquiesça comme si ça expliquait tout. Il ouvrit aux deux petits une porte arrière. Toujours en alerte, je ne lâchai leurs capuches que lorsqu’ils furent attachés.

– Voilà. C’est fait, soupirai-je de soulagement en fermant la porte et en souriant aux jumeaux. Des ceintures de sécurité pour enfants, on n’a rien inventé de mieux depuis la presse à imprimer.

– Tes frères doivent bien aimer se sauver, n’est-ce pas ?

– Oh, mais ce ne sont pas mes frères. Je ne suis pas une cliente de l’hôtel, je fais un stage d’une année ici et, aujourd’hui, c’est mon premier jour de garde d’enfants. Pas mon meilleur, comme tu l’auras sûrement remarqué, dis-je en riant. Moi et les enfants, ça fait deux. À vrai dire, je me suis bien mieux plu à la laverie, même si je me suis brûlée le premier jour avec la repasseuse. Et j’ai aussi abîmé une serviette monogrammée.

Normalement, je ne me montrais pas aussi bavarde avec des inconnus, ça devait tenir à ma frayeur surmontée et à ma pure joie de séjourner encore parmi les vivants. De plus, le visage de ce garçon m’inspirait confiance.

– Ne va surtout pas raconter que ces enfants ont failli se faire écraser sous ma surveillance, hein ? Sinon, ils vont me virer.

Je retirai mon gant pour lui tendre la main.

– Au fait, je m’appelle Fanny. Fanny Funke.

Un peu plus et j’allais ajouter « décrocheuse scolaire d’Achim-lès-Brême », tant j’étais déjà marquée par Don Burkhardt junior.

– Ben, dit le jeune homme en me serrant la main.

Mon flot de paroles semblait l’avoir un peu détendu car il souriait maintenant.

– Ben Montfort, compléta-t-il.

– Ah, c’est drôle, dis-je, les propriétaires de l’hôtel s’appellent aussi Montfort. Roman et Rudolf Montfort. Ce sont des frères…

Oh mon Dieu ! pensai-je alors en le fixant. Oh, oh ! S’il te plaît, ne dis surtout pas que tu fais partie de leur famille.

Comme s’il lisait dans mes pensées, Ben haussa les épaules.

– Désolé, dit-il.

Chapitre 2

Moi aussi, j’étais désolée. Ou, pour mieux dire, j’étais à plaindre. Et même beaucoup. Comme si ce n’était déjà pas assez grave d’avoir glissé sur une route avec deux jeunes enfants confiés à ma surveillance, il fallait que ce soit justement le fils de l’hôtelier qui ait failli nous écraser. Abattue, je contournai la voiture en passant en revue tout ce que je venais de raconter. Je lui avais présenté sur un plateau deux bonnes raisons de licen-ciement en capuches blanches et une serviette monogrammée bonne à jeter, mais ç’aurait pu être encore beaucoup plus grave. Si j’avais dit par exemple : « Montfort… comme les proprié-taires de l’hôtel ? Rudolf et Roman ? Ou comme je les appelle : Rudi le Mou et Roman l’Irascible ? »

Sur le siège avant se trouvait un sachet plein de carottes, que je pris sur mes genoux en m’asseyant.

Ben devait être le fils de Roman l’Irascible, l’aîné des deux frères. Je savais qu’il avait un fils d’un premier mariage, qui vivait chez sa mère à Zurich, mais je m’étais plutôt imaginé un petit garçon, non pas un jeune homme. Rudi le Mou n’avait pas de famille, il logeait seul dans un petit appar-tement en soupente au cinquième étage de l’hôtel. D’après Denise à la réception, tout le monde savait que, dans sa jeunesse, il avait perdu son grand amour dans des circons-tances tragiques et qu’il menait depuis une existence monacale. Denise ignorait malheureusement tout des circonstances exactes, mais cette histoire convenait bien à l’air avachi et au regard préoccupé de Rudolf. Cela dit, il faisait toujours un petit signe amical quand on le rencontrait et offrait à chacun un sourire mélancolique.

En revanche, le sourire de son frère était exclusivement réservé aux clients. En tant qu’employée, au mieux vous échappiez à son regard, au pire il vous passait un savon, parfois pour des raisons futiles. Jusqu’alors, il m’avait toujours consciencieusement ignorée mais, depuis le mois de septembre, je vivais avec la crainte d’être victime d’un de ses accès de colère.

Il était bien possible que ce soit pour aujourd’hui. Si Roman Montfort hurlait un bon quart d’heure à cause d’une tache de dentifrice sur un uniforme ou virait un employé qui avait laissé tomber des mégots devant la porte de service, que ferait-il d’une nounou qui jetait des enfants de clients devant les roues de la voiture de son fils ?

Tandis que Ben démarrait, je l’observai à la dérobée. On ne pouvait lui nier un certain air de famille, yeux bleus, front haut, nez fort, menton énergique, épais cheveux bruns… tout le por-trait de son père. En jeune. Et en gentil. Son seul profil inspirait la confiance. Malgré tout – ou justement pour ça –, la prudence était de mise. Je me garderais de le trouver inoffensif juste à cause de son visage sympathique. Il pouvait toujours cafter auprès de son père. Bon sang ne saurait mentir…

Peut-être oublierait-il ce qui venait de se passer si je l’embar-quais dans une conversation amusante. Je fis crisser le sachet de carottes.

– C’est super de ta part d’apporter quelques nez pour les bonshommes de neige, dis-je. On annonce de la neige pour ce soir.

Il sourit aussitôt.

– Les carottes sont pour Geschdi et Weschdi !

Ah, mon Dieu, j’allais avoir du mal à garder ma méfiance. Il aimait les animaux !

Geschdi et Weschdi étaient les chevaux de l’hôtel, des chevaux de trait tranquilles, de race norique. En été, ils galopaient sur les alpages, crinières au vent, volant la vedette aux vaches à clarines ; en hiver ils tiraient (apparemment avec enthousiasme) le traîneau antique astiqué par le vieux Stucky pour les clients de l’hôtel. J’espérais toujours que mon stage prévoyait aussi un passage à l’écurie : Geschdi et Weschdi étaient les chevaux les plus sympas que j’aie jamais vus.

– Oh, alors ils vont être contents, dis-je. Stucky les a mis à la diète parce que, d’après lui, ils ont pris un peu trop de graisse en restant à l’écurie.

C’était sans doute aussi ma faute car, de temps en temps, je leur avais apporté des bananes, qu’ils aimaient beaucoup. Du coup, ils m’aimaient aussi. Ils s’ébrouaient toujours joyeusement à mon entrée dans l’écurie et je me sentais toujours malheureuse quand je n’avais aucune friandise à leur donner.

– Pourtant, ils vont bientôt devoir travailler, remarquai-je, M. Rocher a déjà enregistré un tas de réservations pour les promenades en traîneau.

– Et ce sont toujours les gens les plus gros qui se font tirer, soupira Ben. Quand j’étais plus jeune, ça m’irritait. J’aurais presque préféré tirer le traîneau moi-même.

Ben Montfort prenait lentement les virages en épingle à che-veux vers le sommet, si lentement que les jumeaux sur la ban-quette arrière criaient : « Plus vite ! Plus vite ! » pour ensuite pouffer de rire en se cachant le visage.

– Tu viens donc voir ton père ? poursuivis-je un peu plus vail-lamment. Sauf erreur, il n’est pas là aujourd’hui.

Roman Montfort n’habitait pas à l’hôtel mais – je le savais aussi par Denise – avec son amie à Sion, à environ trois quarts d’heure de route. Comme il n’avait pas d’horaire fixe, on ne savait jamais s’il était au château des Brumes, quand il y mon-terait et pour combien de temps. En tout cas, je ne l’avais pas encore vu de la journée – raison supplémentaire de me réjouir, car j’aurais pu tout aussi bien atterrir devant les roues de sa voiture !

– Ce n’est pas grave. Je viens passer toutes mes vacances ici, dit Ben.

– Ici ? m’écriai-je.

– Jour et nuit, confirma-t-il en me jetant un bref regard de côté. Une objection ?

Non, bien sûr que non. Je me demandais juste où il allait dormir. Peut-être chez son oncle ? Pendant les vacances, l’hôtel affichait complet, chacune des trente-cinq chambres et suites était occupée jusqu’au dernier lit ; dans la 212 et la 213, nous avions même dû mettre un lit supplémentaire. Et les lits restants dans les chambres du personnel étaient tous occupés par les intérimaires.

– Tu as une chambre à toi à l’hôtel ? demandai-je prudemment.

– Bien sûr ! J’ai réservé la suite Duchesses, répondit Ben d’un ton moqueur… Pas de souci, j’ai toujours trouvé une place pour dormir. Finalement, je ne suis pas là pour dormir mais pour travailler, comme dirait mon père.

– Pour travailler? m’étonnai-je.

– Oui, pour travailler ! martela Ben avec une pointe d’agace-ment. Tu t’imagines ? Pendant mes vacances scolaires. Comme d’hab. Ce sont là mes dernières vacances avant le Matura, ou avant le bac, si tu veux. Tous les autres font la grasse matinée et sont gâtés par leurs parents, je serai le seul à me lever à 6 heures du mat, sans toucher un rond pour ça.

– À qui l’dis-tu ! murmurai-je.

Mais Ben s’était tellement énervé en parlant qu’il ne m’enten-dit pas.

– Tu es peut-être là pour un an, mais moi j’y suis stagiaire à vie. Oncle Rudolf m’a prévu cette fois pour remplacer Denise à la réception. Cela dit, je pourrais aussi mettre du chlore dans la piscine ou faire les lits. Je sais aussi manier une repasseuse, même la grosse Trulla.

– Oh ! fis-je, impressionnée. Pavel doit t’avoir en haute estime !

Avec ses rouleaux d’un mètre soixante de diamètre, la grosse Trulla était une relique de la laverie, comme la vieille Berta – une machine à laver du siècle dernier où on aurait pu loger une petite famille au complet.

– C’est vrai, dit fièrement Ben en souriant.

Du coup, il me fut définitivement sympathique, fils de l’irascible Roman ou non. Je ressentis soudain comme une chaude impression d’appartenance. S’il était un ami de Pavel, il était aussi mon ami. Pavel était le maître des machines à laver, des sèche-linge, des repasseuses et des plieuses dans la cave de l’hôtel, un géant musclé, barbu, au crâne chauve, aux bras tatoués de têtes de mort, de serpents et de pentacles, que l’on pouvait très bien s’imaginer comme portier d’une douteuse boîte de nuit satanique. En tout cas, jusqu’à le voir repasser avec ferveur le col d’un uniforme de femme de chambre en chantant l’Ave Maria. Pavel avait une merveilleuse voix claire de baryton ; ses cantates et ses arias d’opéra étaient légendaires. On pouvait au choix l’écouter ou chanter. (Pour une fois, l’abonnement au théâtre lyrique que mes grands-parents m’offraient à chaque anniversaire s’était enfin révélé utile.) À la fin de ma période de stage à la laverie, nous possédions bien le duo de Papageno et Pamina de La Flûte enchantée, accompagné par six machines à laver en phase d’essorage. Même si Pavel, dans son allemand approximatif, au lieu de « partager le doux sentiment est alors le devoir d’une femme », chantait toujours

• patauger le fou mal de dent est d’abord l’au revoir d’une larme », ce que personnellement je trouvais beaucoup plus joli, mystérieux et profond.

Ben aborda les derniers virages dans la forêt avec un peu plus d’élan. Devant nous, sur le haut plateau éclairé par le soleil de midi, le château des Brumes se dressait de toute sa beauté avec ses nombreuses fenêtres hautes, ses tours, ses corniches et ses balustrades de pierre. Comme toujours, cette vue me coupa le souffle. À Ben aussi, me sembla-t-il, mais son soupir avait peut-être d’autres raisons.

Une fois dépassée l’entrée du parking souterrain, au lieu de s’engager sur l’allée sinueuse menant au portail, il s’arrêta sur le parking situé devant.

– Je peux naturellement vous amener directement à la porte à tambour, proposa-t-il avec un sourire en coin.

Je lui renvoyai son sourire.

– C’est gentil, mais nous allons y aller à pied, n’est-ce pas, les enfants ?

– Là-bas, il y a ce débile de Don, dirent les jumeaux, le doigt pointé vers Don Burkhardt junior, qui se trouvait au soleil, les bras croisés, paraissant attendre quelque chose – nous, plus précisément.

Je gémis :

– Tirez-lui la langue, si vous voulez.

Les jumeaux ne se firent pas prier, léchant même au passage les vitres de la voiture.

– T’es vraiment balèze en pédagogie, remarqua Ben.

Il plissa les yeux pour mieux détailler Don Burkhardt.

– Serait-ce là le petit perturbé des Burkhardt ?

– C’est bien lui.

Don s’approchait maintenant de nous d’un pas nonchalant.

– Ça fait déjà trois semaines qu’ils sont ici, expliquai-je, parce que leur villa à Berne est en travaux. Je me demande comment ils s’y sont pris pour faire manquer l’école aussi longtemps au gamin. En Allemagne, ça ne pourrait pas se faire.

Ben haussa les épaules.

– Le vieux Burkhardt a probablement graissé la patte au directeur, dit-il. Et si ça ne suffit pas, il achètera l’école entière. Il achète tout ce pour quoi il n’a pas la patience d’attendre.

Ben me parut un peu amer et j’aurais aimé lui en demander plus, mais les enfants descendaient déjà de voiture. Je me hâtai de sauter derrière eux pour attraper leurs capuches blanches.

– Du reste, chienlit et idiotie… riment avec Donny, dis-je. J’entendis Ben pouffer de rire :

– Tu adores les enfants !

Je glissai encore la tête par la portière.

– En revanche, je sais bien manier la vieille Berta. Demande donc à Pavel !

J’aurais de nouveau bien aimé serrer la main de Ben, mais mes doigts cramponnaient les capuches, de sorte que je ne pus que baisser la voix pour lui dire sérieusement :

– Merci beaucoup. De ne pas nous avoir écrasés. Et de ne pas me dénoncer.

Un instant, Ben me regarda sérieusement lui aussi.

– Entre stagiaires, ça ne se fait pas, remarqua-t-il.

Je rayonnai. Je le savais bien, celui auquel Pavel confiait la grosse Trulla ne pouvait pas être un méchant.

– Je suis heureuse que tu sois aussi gentil bien que tu sois un sal…, commençai-je avec exubérance, mais je m’interrompis aussitôt.

Malgré mon élan de sympathie, il était peut-être encore un peu trop tôt pour lui dire combien j’étais heureuse qu’il ne res-semble pas à son horrible père.

– … bien que j’aie eu tellement peur avant, terminai-je de façon vaseuse en refermant la portière.

– Ah, tiens donc ! Fanny Funke d’Achim-lès-Brême aurait-elle transporté les petits qu’elle devait surveiller sans sièges pour enfants dans la poubelle d’un inconnu ?

Don était arrivé jusqu’à nous. Il suivit des yeux la voiture de Ben qui s’engageait sur le chemin menant à l’écurie. Apparemment, Ben voulait en priorité régler l’histoire des carottes.

Don poursuivit :

– Je me demande si M. et Mme Bauer de Limbourg-sur-la-Lahn vont apprécier… Veux-tu le leur demander ou dois-je le faire ? Les voilà, d’ailleurs !

Il désigna avec un mauvais sourire la Mercedes blanche des Bauer qui, arrivée sur le parking, s’arrêta près de nous. Mme Bauer en descendit et agita, tout excitée, son sac à main blanc Dolce & Gabbana.

– Ouh, ouh ! Vous voilà, mes petits flocons de neige. C’est parfait. Vous vous êtes bien amusés avec la gentille garde d’enfants ?

– Gentille garde d’enfants ! Tu parles ! ricana Don. Vous devriez plutôt être heureuse qu’ils soient toujours en vie.

Mme Bauer ne l’entendit pas parce que l’un des jumeaux se mit à crier : « Donny, ponny, macaroni, nikariki… », puis l’autre : « Encore, encore ! Je veux recommencer. »

M. Bauer était descendu pour me glisser jovialement dans la main un billet froissé.

– Merci beaucoup de vous être si bien occupée de nos petits diablotins !

– Ha, ha ! gloussa Don, c’est comme si on remerciait un requin de nous avoir juste croqué le petit orteil plutôt que la jambe tout entière.

M. Bauer ne lui prêta heureusement pas attention parce que ses fils, pendus à ses jambes, lui parlaient d’un super toboggan en pente raide.

– Je l’ai fait avec plaisir, dis-je en le pensant vraiment à ce moment-là.

Pleine de sympathie, je regardai les deux chérubins – mince, comment s’appelaient-ils déjà ? – monter en voiture avec leurs parents et me faire signe en partant.

Quand ils eurent pris le virage vers la vallée, Don soupira de déception.

– Ah, tu as une pomme de pin dans les cheveux, Fanny Funke, m’apprit-il alors, et ça te donne franchement l’air débile.

En faisant mine de ne pas avoir entendu, j’entrepris de dérou-ler le billet que M. Bauer m’avait glissé dans la main. Cent francs suisses ! J’en eus le souffle coupé.

– C’est pas vrai ! s’écria Don.

– Eh bien, ma première journée de pire garde d’enfants ne s’est pas si mal passée, remarquai-je.

Tout en sachant que c’était stupide de savourer ainsi cette petite victoire, je ne pus m’empêcher de passer ma main dans les cheveux de Don.

– N’est-ce pas, mon petit Donny ?

Don pinça les lèvres (cette mimique aussi lui donnait l’air mignon), puis il zézaya :

– Heureusement que les vacances ne font que commencer.

Je frissonnai. Don sourit.

– Tu sais quoi ? me lança-t-il. Je vais dire à mes parents que j’ai besoin qu’on s’occupe aussi un peu de moi à partir de demain. Toi et ta collègue, vous allez certainement faire des super jeux avec nous.

Et avec un regard de ses yeux bruns de faon super candides, il ajouta :

– J’ai comme l’impression que, ces prochains jours, tu vas encore vivre des choses peu réjouissantes, Fanny Funke.

J’avais, hélas, la même impression. Quelle poisse !

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Extrait ajouté par unpalaisdelivres 2023-08-06T21:21:17+02:00

"C'est le nombre de livres qui effraie les gens, m'avait dit M. Rocher avec un clin d'œil en réponse à mon étonnement. Ils se sentent toujours mauvaise conscience parce qu'ils voient combien ils ont fort peu lu."

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Extrait ajouté par marie49240 2023-04-28T11:42:46+02:00

Pour ma défense : on peut perdre de vue plus vite qu'on ne le pense des enfants dans la neige quand ils font exprès de filer et sont vêtus de blanc de la tête aux pieds. Des vêtements de ce genre devraient être interdits par la loi.

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